Le film (confiné) de la semaine : « Le Soupirant » de Pierre Etaix 

A l’orée des années soixante, le cinéma français fait feu de tous bois. Entre le triomphe des Jeunes Turcs de La Nouvelle Vague et les comédies populaires des artisans ‘à l’ancienne’, version « Tontons flingueurs », un drôle de zigue, magicien et affichiste, clown et comédien, auteur et scénariste, créé la surprise avec « Le Soupirant » [1962]. Les spectateurs ravis tombent alors sous le charme du premier long métrage de Pierre Etaix, poète burlesque, dans le sillage de Jacques Tati et la veine de grands inspirateurs comme Buster Keaton, Charlie Chaplin et Max Linder. A partir d’un script coécrit avec le jeune Jean-Claude Carrière, l’artiste aux talents multiples, derrière et devant la caméra, nous embarque dans une quête éffrénée. Sur injonction parentale, un jeune parisien de bonne famille troque l’étude scientifique du cosmos (en chambre) pour la découverte de la gente féminine (dans la capitale) et la rencontre de l’épouse idéale. Outre la mécanique éblouissante de l’enchaînement de gags visuels, l’originalité de la bande son suggérant le bruissement du monde et le charivari d’un songeur, Etaix campe un petit homme imprévisible portant smoking, à l’élégance décalée, au sourire rare, au cœur candide. Et « Le Soupirant », en mêlant les arts du cirque et du music-hall, les manières du burlesque du temps du muet et les atouts du parlant, invente un comique renversant où l’amour existe pour qui garde la tête dans les étoiles.

 

Des astres aux femmes, contrariétés et obsessions du rêveur

 

Terrain insolite aux anfractuosités et crevasses insolites, troncs et ramifications géantes, sols bosselés noirs découpés par des lueurs blanchâtres. D’étranges paysages ‘lunaires’ qui nous font songer au cinéma des origines, celui de Georges Méliès. En fait nous sommes dans la vaste chambre d’un jeune homme en pleine observation de gravures ou d’illustrations. Penché sur un carnet dont il découpe une page (une pin-up en maillot de bain) pour la retourner et la punaiser (c’est une vue du ciel)  au mur d’une pièce rempli d’objets faisant référence à une passion visiblement envahissante : l’étude scientifique des astres. Deux accessoires indispensables à sa concentration en chambre complètent l’entrée en matière : la cigarette (l’enrobant d’un nuage de fumée un temps propre à nous faire croire à une expérience de laboratoire en cours) et un bouchon enfoncé dans chaque oreille (rendant la communication avec son père déroutante et le rasage incertain surtout lorsque le rasoir sort de la prise  électriquesans entraîner aucune variation sonore audible).

 

Les propos du père, un fumeur de pipe soucieux de la paix des ménages, se sont envolés dans le silence créé par l’isolement du garçon, lequel a ôté ses bouchons au moment de l’injonction essentiel : il est temps pour lui de trouver une femme à épouser. Sa mère, grande bourgeoise conformiste et peintre à ses heures est aussi de cet avis et rend l’injonction impérieuse. Pendant ce temps-là, une belle blonde, aide familiale au pair et suédoise ne parlant pas un mot de français, joue du piano et répond dans sa langue sans rien à la demande du fils de la maison : ‘Voulez-vous m’épouser ?’.

 

Qu’à cela ne tienne. Notre héros, à la fois impassible et confiant, s’élance à la découverte du monde (à quelques encablures de la vaste propriété familiale au-delà de la grande grille en fer forgé) et à la rencontre de quelques femmes (dans Paris, de terrasses de café en cabaret dansant ou salle de music-hall en passant par les parcs et jardins).

 

A l’image du Candide de Voltaire, il scrute chaque personne croisée, s’efforce de développer l’art de l’imitation, utilisant à sa façon les armes de la séduction observée chez les hommes avec des succès divers et des retournements déroutants.

 

Des questions à répétitions

 

Comment échapper aux assauts d’une noceuse que n’impressionne ni les limousines décapotables ni les appartements de luxe (elles possèdent les deux attributs de la richesse) ? Comment la faire tenir debout dans un ascenseur alors que, complètement saoule, elle ressemble à une poupée en chiffon émettant des sons bizarres pour signifier en vain le désir de coucher avec celui qui la déplace en tentant d’échapper aux invités de ses parents prêts à emprunter le même ascenseur au terme d’une soirée mondaine ?

 

Jamais les revers ou les déconvenues ne découragent notre héros impavide. Chaque fois, son cœur bat aussi fort même pour une femme qui -nous disons-nous- n’est pas du tout son genre. Après l’avoir vue à la télévision, saisi d’une passion hypnotique, il met tout en œuvre pour déclarer sa flamme à Stella, une chanteuse vedette de music-hall, au regard charbonneux surplombé de faux-cils et au corps capiteux enchâssé dans un fourreau scintillant. Lettre d’admiration (traitée à la chaîne par un groupe de vieux préposés à l’abondant courrier de la star), participation avec d’autres fans à une séance de dédicaces (sans succès), entrée (déguisé en technicien avec accessoire) dans les coulisses du music-hall au point d’entraîner des perturbations dans les numéros encours, applaudissement solitaire dans une salle vidée de ses spectateurs (après le show de son idôle) jusqu’à l’arrivée des employés venus débarrasser le plateau. Il faut une découverte majeure (que nous ne révèlerons pas) pour que le fan renonce à son fol espoir, si bien ancré que l’intérieur de sa chambre était rempli d’objets, de photographies et de statues publicitaires en arton grand format à l’éffigie de la ‘femme de ses rêves’.

 

Par quels tours et détours du désir, surgissant à retardement avec la force de l’évidence, le petit homme, à l’élégance désuète, à la souplesse d’acrobate et à la détermination constante, s’approche-t-il enfin de celle qu’il aime sur un quai de gare ?

 

Poésie du quotidien, miracle du burlesque

 

Ici on ne parle pas beaucoup et les bavards inutiles sont facilement renvoyés hors champ. Mimiques expressives, soupirs légers, rires de gorge ou gloussements confus constituent un tapis sonore au même titre que des chants d’oiseaux, des crissements de pas ou des fracas de vases sur le sol, un monde de bruits ponctué de morceaux musicaux dans la variété des durées et des styles. Comme si la bande son nous donnait parfois à entendre l’univers intérieur d’un héros tête en l’air, entre immersion dans l’imaginaire de l’enfance et résistance intime à la banalité et à l’ordinaire d’une société codifiée, à l’intérieur de laquelle notre homme joue l’agent perturbateur, à son corps défendant.

 

Un personnage ‘lunaire’ qui a des difficultés avec des objets du quotidien : un briquet récalcitrant, une cigarette allumée mettant le feu à un rideau et déclenchant des nuées de fumée, un dessous de tasse agrémenté de confiture à la place d’un sablé à manger…

 

Rien ne l’arrête pourtant dans la quête d’une dulcinée : courir comme un enfant entre les arbres d’un parc pour jouer à cache-cache avec une séductrice farceuse, sauter par la fenêtre de sa chambre et atterrir au sol en bondissant pour prendre de vitesse un train qui va partir, danser avec un vase rempli de fleurs dans les bras…

 

Pierre Etaix, cinéaste, dès ses débuts, enchante l’ordinaire en inventant, sans renier l’influence de Jacques Tati (qu’il admire, avec qui il a travaillé) et des autres maîtres, un comique original, touchant davantage à l’intime et aux songes. Le rire naît naturellement de l’inadaptation au monde de son personnage principal et des ruses conscientes et inconscientes déployées pour vaincre l’adversité.

 

Le héros décalé, double assumé du réalisateur, nous touche par la virtuosité avec laquelle tous les arts du spectacle aimés et pratiqués par Pierre Etaix sont déployés ici sur le grand écran du « Soupirant ».

 

Samra Bonvoisin

« Le Soupirant », film de Pierre Etaix visible sur le site francetv jusqu’au 01.08.21

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 24 mars 2021.

Commentaires

  • Delwyn2021, le 23/11/2021 à 10:24
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