Claire Lommé : A quoi sert la Semaine des maths ? 

La semaine des mathématiques est terminée. J’ai l’impression de sortir d’une essoreuse : depuis dix jours en fait nous avons enchaîné interventions, rallyes, concours et projets, sans relâche. Dix jours où chaque heure est un nouveau défi pour les élèves, mais aussi pour moi. A l’occasion, je mesure comme c’est confortable d’avoir de l’expérience professionnelle : lorsqu’il s’agit d’animer autant des nouvelles activités sur un temps si court, activités jamais déployées encore dans mes classes, je ressens fortement la fatigue cognitive. Veiller aux mots prononcés pour lancer la recherche, réfléchir à la formulation de la consigne, observer les réactions des élèves au travail pour réorienter ou réorganiser, en même temps vérifier la compréhension de tous, assurer ceux qui traînent un peu, permettre à ceux qui ont de l’avance de continuer à en prendre, sans limite, et puis aussi analyser les productions, mais quel boulot !!! Après vingt-cinq ans de métier, beaucoup de gestes sont devenus automatiques, beaucoup de réflexions sont simplifiées par la rencontre de multiples situations transposables. Là, je suis bien fatiguée. Et j’ai appris encore, tellement. Sans compter que nous avons fêté dignement les mathématiques : « madame, j’ai l’impression d’avoir fait que des maths, cette semaine ! », m’a déclaré gaiement un élève en partant vendredi. Alors rejouons le film.

 

Vendredi, communiquer

Le vendredi précédent, Marie Lhuissier est venue dans mes classes conter les mathématiques. Les mathématiques sont aussi créatives, poétiques, tellement propices à la rêverie et l’imagination… Voir mes élèves aussi attentifs, écouter la belle qualité de leur silence puis toutes les questions et toutes leurs réponses à Marie était un très beau moment. Les regarder envisager qu’un conte mathématique va leur être présenté, aussi : aucun élève ne m’a dit « quoi ? Un conte mathématique ? Non mais enfin on fait des maths, là, pas du français ! ». En revanche, toute la semaine, mes livres de poésies, de contes, de pièces de théâtre mathématiques ont été empruntés sans discontinuer. Et j’ai reçu beaucoup de dessins pour la classe.

 

Lundi, chercher

Lundi, c’était le rallye académique de l’IREM. J’ai pu me poser et regarder les élèves, pendant ces heures-là, parce qu’ils ont été autonomes. C’était des moments précieux, comme quand T a défendu sa solution, a écouté C lui expliquer que non, il se trompait, et pourquoi, qu’il a réfléchi longuement en silence sous le regard de C, et qu’il a compris, d’un coup, comme une lumière qui s’allume. T et C étaient alors heureux, ont bondi de leur chaise et sont venus indiquer qu’ils avaient trouvé et étaient sûrs d’eux sur ce problème-ci. Ou comme quand Y, souvent en difficulté en mathématiques, a livré tranquillement une solution tellement claire, avec un naturel désarmant, mettant un terme aux discussions enflammées de ses camarades : « ah bah oui, il a raison, Y ».

Chercher, c’est difficile, car cela met en danger : rien n’assure qu’on trouve, et, pire, on peut trouver quelque chose de faux. Mais quel plaisir, pourtant, de s’avancer au bord de cet inconnu, qui en fait n’a rien d’un précipice.

 

Mardi, représenter

Nous avons testé de nouveaux outils pédagogiques, le mardi. La consigne était « je vous explique, vous essayez, on fait le bilan : est-ce une activité qui en vaut la peine ? Pourquoi ? Qu’avez-vous appris ? ». Nous avons joué à soustraire des nombres relatifs, à comprendre comment fonctionnent des algorithmes, à démontrer, à comprendre la fraction, le tout avec des cartes, des plateaux, des dés, tout un tas de bazar. Nous sommes passés de la manipulation de playmobils et de Lego au tracé sur des cartes plastifiées, pour aboutir à des traces écrites. Nous avons multiplié les types de représentations, transformé les écritures, questionné les objets mathématiques. Nous avons fait des dessins, des figures, sorti des objets pour vraiment voir, posé des mots sur nos représentations mentales pour les partager.

 

Mercredi, calculer

Mercredi, jour de la Course aux nombres. Nous nous étions entraînés depuis septembre, mais la première manche a été plus ou moins facile selon les niveaux de classe. Calculer, quelle aventure ! On peut calculer à partir de supports tellement différents, en suivant des chemins si variés, avec des nombres de natures différentes… Quand on parle de « calculer », on pense parfois à l’énonciation de la comptine numérique pour les petits, au fait de poser des opérations pour les plus grands. Mais calculer c’est bien plus que cela. Calculer est lié à toutes les autres compétences : pour calculer, j’ai besoin de toute mon intelligence.

 

Jeudi, modéliser

Le jour du rallye M@ths en vie est arrivé. Deux classes de cycle 3, deux classes de cycle 4. Quel ouragan ! Le moins que je puisse dire, c’est que mes classes étaient motivées… et que la fatigue commençait à me gagner. En contemplant ces élèves qui vont chercher des petits bâtonnets dans la boîte à problème, des dés dans la trousse à hasard, la « super-grande-règle » dans le placard, qui investissent tout l’espace de la classe (et pourtant elle est grande, ma classe !), j’ai ressenti un mélange de bonheur et de sidération. Ils avaient tout ce qu’il leur fallait sous la main, savaient où le trouver et n’avaient aucun doute qu’ils pouvaient s’en servir. Mais au fond, ils n’avaient pas du tout besoin de moi.

Ces rallyes ont été riches du point de vue de la modélisation : on part d’une photo, assortie d’une toute petite consigne. Il faut résoudre le problème, et les élèves perdent leurs repères : rien dans cette consigne ne leur indique quel est la notion ou la compétence mathématique engagée. On n’est pas dans l’exercice scolaire, mais dans la vie. Il faut modéliser cette situation et comprendre à quels outils mathématiques se ramener pour résoudre la question puis revenir au contexte. Un régal à contempler, et un exercice manifestement difficile.

 

Vendredi, raisonner

Ce nouveau vendredi s’est terminé par deux heures de cogitation intensive : un nouveau rallye de problèmes, d’abord, avec des difficultés assez consistantes qui ont obligé les élèves à confronter leurs propositions. Il a fallu raisonner dur, et avant cela, accepter de déconstruire sa vision propre pour en envisager une autre. Les arguments les plus puissants ont été les plus purement logiques, parfois les plus abstraits. Et puis nous sommes revenus au conte de Marie Lhuissier, en dernière heure de l’après-midi, et nous avons construit, décomposé, décortiqué le flexagone. Partis d’un conte, nous sommes arrivés à l’objet, puis au graphe qui représente son fonctionnement si mystérieux… « Je pensais pas qu’on réfléchirait comme ça pour comprendre la clef magique, madame. Mais en fait on s’en est pas vraiment rendus compte ».

 

Ouf, la semaine des mathématiques est terminée. Je vais me poser un peu et reprendre mes projets là où je les ai laissés pour m’engouffrer dans ce tourbillon joyeux. Zut, la semaine des mathématiques est terminée. Je vais réfléchir à la prochaine.  En attendant, nous allons continuer à découvrir, explorer, comprendre, apprendre les mathématiques. « Pour devenir encore plus intelligents, madame ! »

 

Claire Lommé

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 23 mars 2021.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces