Une année à Henri IV 

Que se passe t-il quand la sociologue se consacre aux élèves les plus favorisés, et non aux défavorisés ? Et quand elle borde cette question avec le regard d'un anthropologue. C'est ce que fait Sarah Pochon (Université d'Artois) quand elle pousse la porte du lycée Henri IV de Paris. Dans un récit touchant, qui n'est pas une thèse mais relève plutôt du récit d'explorateur, elle nous fait découvrir les élèves et les professeurs de Henri IV et tente d'expliquer le secret de leur excellence.

 

Un regard d'anthropologue

 

Il suffit de pousser la porte. C'est ce que fait Sarah Pochon, professeure d'EPS dans un lycée professionnel du nord et autorisée à faire une enquête ethnographique dans le "meilleur lycée de France". Situé près du Panthéon, au coeur du Vème arrondissement parisien, le lycée Henri IV est à la fois un collège de secteur, un lycée à recrutement national continué par de nombreuses CPGE. Sarah Pochon raconte l'exploration des locaux, jardins, bibliothèques et salles de cours et les rencontres qu'elle y fait avec le regard neutre mais bienveillant de l'ethnologue.

 

"Me voilà donc prête à prendre le contre-pied des recherches généralement menées en  sociologie de l’école pour porter mon attention sur un monde scolaire réputé, prestigieux, puissant et performant... Mon objectif est d’aller voir à quoi ressemble cet établissement dit « d’excellence », une fois qu’on est dedans, une fois que l’on passe sa porte. Qui sont ses élèves, que font-ils, d’où viennent-ils ? Comment deviennent-ils les meilleurs, est-ce si facile de représenter une élite scolaire ? Existe-t-elle ici, où tous réussissent, cette recette qui garantit le succès ?" Son enquête s'appuie sur ses observations, un questionnaire rempli par 700 lycéens et des entretiens avec des élèves et des enseignants.

 

Et tout de suite elle pointe la singularité des lieux. Jamais elle n'a vu un établissement scolaire comme cela. Un établissement devant lequel les touristes se font photographier. Le lycée est luxueux mais aussi très bien équipé avec piscine, salles de sport, piano, bibliothèques etc.

 

Des élèves différents

 

Et elle commence à regarder les élèves. Ce qui la frappe d'abord c'est que les élèves sont blancs. C'est ensuite leur démarche. "Je prête désormais attention au corps des élèves. Déformation professionnelle d’enseignante d’EPS, sans doute. Le corps peut en effet renseigner sur le statut social ; c’est un langage. J’essaie alors de décoder une première partie de l’identité des élèves, en scrutant ce qu’on appelle leur hexis corporelle, c’est-à-dire leur choix de posture, leurs vêtements, leur manière de se coiffer, de se maquiller — leur apparence, en somme. La majorité des élèves que je croise sont grands, minces, filiformes, élancés"...  Autant de différences avec ses élèves de lycée professionnel.

 

C'est que le recrutement du lycée est socialement marqué. En théorie c'est le mérite, le niveau scolaire qui ouvre la porte de l'établissement. Mais pour le collège il faut habiter le secteur  qui est un des plus chers de Paris. Pour le lycée, le recrutement est national et le lycée sélectionne les meilleurs dossiers parmi des dossiers qui viennent de milieux privilégiés. ON a à Henri IV une ségrégation géographique (un quart des lycéens viennent du Vème et 80% de Paris) et une ségrégation sociale : le taux de pères inactifs est  de 1%, 70% appartiennent à des CSP très favorisées. Il y a bien des "cordées de la réussite" pour intégrer le lycée qui travaillent avec des centaines d'élèves. En 2017 elles ont fourni 5 dossiers dans un établissement de 2600 élèves.

 

Mais ce sont des traits de caractère qui attirent l'attention de la sociologue. "Au contact des lycéens d’Henri-IV, j’ai pu mesurer une autre compétence qui paraît indissociable de leurs parcours : leur niveau d’ambition. La détermination est ce qui les caractérise particulièrement". La compétition est constante mais elle s'accompagne aussi du développement de compétences relationnelles réelles.

 

"Les élèves semblent baigner dans un milieu social qui les ouvre aux savoirs savants, en même temps qu’à une culture éclectique, typique des classes supérieures : musique et conservatoire, lecture, sortie au musée, théâtre. Le temps des loisirs semble être organisé de manière à ce que les activités entrent en correspondance avec les activités scolaires — au contraire des jeunes  moins favorisés... qui sont pour beaucoup les seuls responsables de leurs loisirs, dont le champ se limite souvent à discuter en bas des immeubles". 60% pratiquent une activité extrascolaire qui est toujours une activité physique liée à une pratique artistique.

 

Un enseignement différent

 

Dès l'entrée au collège les élèves sont préparés à l'idée d'études longues et à l'ambition scolaire qui deviennent "naturelles". Les cours qui leurs sont offerts sont approfondis bien au-delà des programmes officiels. Les professeurs racontent qu'ils vont plus loin que les programmes et cela dès le début des enseignements du lycée. Un écart énorme de connaissances se creuse entre les élèves du lycée et ceux des autres établissements.

 

"Les enseignants consacrent une large partie du temps de classe à arbitrer entre faire avancer le savoir et maintenir une bonne ambiance d’apprentissage. Puisqu’il faut bien souvent éduquer avant de pouvoir enseigner dans les établissements dans lesquels la culture de l’élève, les normes et les valeurs qu’il a incorporées dans sa famille (on parle de socialisation primaire) vont s’opposer à la culture et aux normes de l’école (on parle alors de socialisation scolaire). Il faut se préparer à l’imprévu, voire à l’imprévisible. Rien de cela à Henri-IV".

 

On arrive au dernier caractère de ce lycée . A Henri IV les élèves n'ont pas de carnet de correspondance. Le lycée n'en a pas besoin et accorde beaucoup de liberté à des élèves pour qui la discipline n'est pas nécessaire tant le rapport au travail est acquis.

 

Finalement ce qui frappe chez ces élèves de "zone d'éducation privilégiée", c'est leur totale soumission à l’ordre scolaire. "Ces élèves se conforment à ce qu’on attend d’eux, se soumettent à l’autorité enseignante et exécutent le travail scolaire, parce qu’ils ont appris leur « métier d’élève » et qu’ils l’exercent « correctement » (ils sont travailleurs, besogneux, investis, impliqués, obstinés)."

 

François Jarraud

 

Sarah Pochon, Derrière la grande porte : une année à Henri-IV. Editions du Détour, ISBN 979-10-97079-69-7

 

Extrait du livre

L'EPS dans les beaux quartiers, thèse de S Pochon

 

 

Par fjarraud , le vendredi 19 mars 2021.

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