Le film (confiné) de la semaine : « L’Enfant d’en haut » de Ursula Meier 

Dans la lignée de ses aînés, grands cinéastes exigeants comme Maurice Pialat avec « L’Enfance nue » en 1969 ou les Frères Dardenne avec « Rosetta » en 1999, Ursula Meier, jeune réalisatrice franco-suisse de « L’Enfant d’en haut » prend en 2012 un pari risqué (récompensé à Berlin par l’Ours d’Argent). Elle choisit en effet de suivre le quotidien de Simon, 12 ans, petit voleur, vivant seul avec Louise, sa grande soeur instable et précaire, dans une vallée industrielle de Suisse, au pied des montagnes enneigées, sources de richesses au pouvoir d’attraction irrésistible. Un portrait attachant et complexe d’un gamin déchiré entre la nécessité de trouver des moyens de survie, son besoin de lien social et son désir insatiable d’affection. En dépit d’un certain manichéisme, le drame, porté par un duo d’acteurs en symbiose, Kacey Mottet Klein- Prix d’interprétation au festival international du film de femmes de Salé- et Léa Seydoux, se métamorphose en conte troublant sur la solitude cruelle d’une enfance saccagée.

 

Simon au pays des monts et merveilles

 

 Cadré caméra à l’épaule, un gamin silencieux, visage fermé, concentration extrême, s’affaire. Mais il nous faut un certain temps pour comprendre ce qui l’occupe. Au milieu des vacanciers insouciants, non loin des cimes et des pistes skiables, entre remonte-pentes et terrasses ensoleillées des restaurants en plein air, notre chapardeur aguerri (qui a toutes les apparences vestimentaires d’un jeune skieur, en particulier, large anorak, bonnet et cagoule) subtilise à la vitesse de l’éclair, paires de skis et moult accessoires. Des objets qu’il dissimule au fur et  à mesure dans des caches provisoires, près des poubelles des restaurants, dans les caves ou les sous-sols avoisinants de cette station huppée, fréquentée par une clientèle aisée. Chaque jour, Simon, 12 ans, effectue le trajet qui le mène en télésiège et cabine vitrée vers le ‘haut’ pour rassembler assez d’équipements de skis à revendre à des potes voisins ou à la sauvette à des automobilistes sur le bord des toutes. En bas, non loin des barres HLM où il vit avec pour seule famille sa  grande sœur.

 

Louise, belle fille fébrile, longue chevelure blonde mal peignée et tenue approximative, s’amourache facilement (et brièvement) d’amants qui n’en valent pas la peine, en dépit des couleurs tape-à-l’œil (jaune, rouge) et des  supposées grosses cylindrés de leur véhicule). Rebelle à toute autorité, elle perd bientôt son travail et se retrouve, mine de rien, dépendante de l’argent issu du business du petit frère. Simon, entre autres rôles non conformes à son âge, devient de facto ‘soutien de famille’.

 

Envers du décor, montée des périls, aspirations en suspens

 

Jamais la réalisatrice ne porte un jugement sur les magouilles, les ruses et autres compromissions auxquelles la loi de la survie (et la dureté du sort) conduisent le comportement du ‘petit criminel’. Dans le même temps, elle met en scène l’ambivalence des adultes que rencontre le gamin déterminé : la fausse complicité avec une riche anglaise l’invitant à sa table aux côtés de ses deux ados de fils car elle croit un moment qu’ils appartiennent au même monde, le  cynisme du chef cuisinier d’un restaurant décidant de profiter du petit trafiquant démasqué plutôt que le remettre entre les mains de la police…

 

Et certains  saisonniers n’hésitent pas à mégotter sur les prix de marchandises qu’ils savent illicites auprès d’un môme qui défend parfois ses intérêts avec la maturité d’un vieux routier.

 

Ursula Meier regarde ses personnages, et les premiers d’entre eux, Simon et Louise, se débattre dans un univers hiérarchisé et marchandisé où les frontières séparant les différentes positions sociales paraissent figées tandis que quelques places à gagner chez ceux d’en bas demandent des efforts surhumains et provoquent des catastrophes intimes, bien difficiles à réparer.

 

La mise en scène des montagnes sous la neige, de la clarté lumineuse et aveuglante du soleil, et le suivi du trajet aérien, source de rêverie silencieuse et contemplative, ne se réduit pas à l’évocation d’un blanc paradis pour nantis. La forme, épousant le regard attentif de Simon, accompagne  la vie intérieure d’un enfant perdu, sa fascination pour le paysage et son immensité qu’il aspire à parcourir, une fois lesté de son obligation de chaparder, son envie de l’ embrasser dans sa totalité, en toute liberté.

 

A sa manière, détournée, sans pathos ni apitoiement, l’étrange relation, chaotique, désordonnée, oscillant entre violence et tendresse, reliant Simon et Louise , telle que mise en scène par la cinéaste, concentre sous nos yeux le manque d’amour que ces deux-là s’efforcent maladroitement de combler, dans un brouillage des places et des rôles. Comme s’ils pouvaient à eux seuls faire famille, conjurer leur détresse et affronter la misère du monde.

 

Ainsi « L’Enfant d’en haut », au delà de ses maladresses et de ses excès, nous donne-t-il matière à penser : un conte dramatique à l’image des temps que nous vivons.

 

Samra Bonvoisin

« L’Enfant d’en haut », film de Ursula Meier 2012 visible sur  le site france.tv jusqu’au 30.04.21

 

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 10 mars 2021.

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