Ce que font les besoins éducatifs particuliers aux enseignants 

Apparus dans le cadre d'une réforme des systèmes éducatifs au tournant du siècle, les "besoins éducatifs particuliers" connaissent un développement important et perturbant pour les enseignants. C'est ce que montre un dossier de la revue Agora Débat / Jeunesse (n°87). Il revient sur la genèse de ces besoins et montre leur flou. Il souligne surtout les effets négatifs de leur mise en place sur le travail enseignant. "La délégitimation des pratiques pédagogiques des enseignants, l’inflation de leurs tâches bureaucratiques ou encore la désorganisation de leurs territoires professionnels s’inscrivent dans un contexte plus général d’empilement des réformes éducatives sur plus d’une dizaine d’années".

 

Une croissance rapide alimentée par le flou

 

Comme le soulignent Serge Ebersod et Maïtena Armagnaque, qui ont dirigé ce dossier de la revue Agora Débat / Jeunesse (n°87), la proportion d'élèves qui relèvent des "besoins éducatifs particuliers" (BEP) ne cesse de croitre au point de représenter déjà 18% des élèves en Ecosse. Cette croissance accompagne le flou de la définition des BEP qui s'impose au gré d'une redéfinition de l'Ecole et de son rôle.

 

" À l’origine, les BEP ont été conçus en Angleterre dans une perspective pédagogique façonnée par la psychologie, avec pour enjeu de remettre en cause les verdicts médicaux jusqu’alors dominants dans l’enseignement spécialisé", rappelle M Woollven (Université de Clermont). "Cinquante ans plus tard, la notion a été diffusée à l’échelle internationale...Les BEP sont liés à une conception managériale de l’éducation. Tels qu’ils ont été institués par les institutions internationales, ils portent l’accent sur l’efficacité individuelle et collective de l’éducation. L’optimisation des ressources devient alors une norme scolaire".

 

Un bouleversement de l'ordre scolaire

 

C'est entrer dans l'impact des BEP sur le travail enseignant. C'ets ce à quoi s'attachent Serge Katz et Frédéric Charles (Univ. de Picardie), Florence Legendre (Univ. de Reims) et Pierre-Yves Connan (URCA). Ils montrent la croissance en France de la scolarisation des enfants en situation de handicap : quasi doublement de la scolarisation en classe ordinaire de 2006 à 2017 qui fait qu'en moyenne la moitié des classes est concernée.

 

Or cette croissance "bouleverse l'ordre scolaire". " Nombreux sont aussi les professeurs des écoles interrogés dans la phase des entretiens qui affirment que l’accueil d’élèves désignés comme « handicapés » constitue une difficulté très importante dans la pratique professionnelle. Sur le terrain, la « mise en oeuvre des principes revendiqués par les politiques inclusives » passe d’abord par un bouleversement de l’ordre scolaire", écrivent-ils.

 

L'absence de moyens

 

"L’apparent conservatisme d’enseignants défendant le travail de classe ne peut se comprendre sans tenir compte de la faiblesse des moyens alloués à la différenciation pédagogique. Pour les professeur des écoles en effet, focaliser son attention sur les cas problématiques sans   contrevenir à l’avancement collectif du programme nécessiterait de bénéficier d’une baisse d’effectifs. Or, la prise en charge des élèves à BEP s’effectue sinon à moyens constants, du moins à effectifs constants... Le déni par l’institution d’une déficience des moyens alloués débouche logiquement sur un déni de compétence de ses agents, en réalité confrontés à des obstacles parfois insurmontables". A ces difficultés s'ajoutent les tâches bureaucratiques liées aux différents dispositifs.

 

Pour les auteurs, " Si les nouvelles normes qu’implique « l’école inclusive » prétendent redéfinir la professionnalité enseignante en transformant explicitement le mandat de professeur des écoles, cette « redéfinition » se traduit dans les faits par une remise en cause de la licence accordée à ce groupe professionnel. Ce processus, loin d’être accepté, est à l’origine de ce que, en détournant les termes juridiques, on pourrait désigner comme un « conflit de qualification », soit ici un différend entre l’employeur et ses agents... Car, au-delà des questions de handicap ou de BEP, la délégitimation des pratiques pédagogiques des enseignants, l’inflation de leurs tâches bureaucratiques ou encore la désorganisation de leurs territoires professionnels s’inscrivent dans un contexte plus général d’empilement des  réformes éducatives sur plus d’une dizaine d’années".

 

Quand le besoin particulier exclut...

 

Un autre exemple de cette évolution du métier enseignant est donné par les dispositifs d'excellence, comme le Parcours excellence, installés en éducation prioritaire depuis les années Sarkozy. Là aussi beaucoup de flou entourent les dispositifs et la définition des élèves qui y entrent. " Ce dispositif interroge d’une manière toute particulière la notion d’inclusion, puisque, pour la plupart des élèves considérés comme à besoin éducatif particulier, c’est l’insertion sociale et scolaire avec les autres élèves qui est visée, alors qu’ici c’est au contraire leur distinction qui est recherchée. La catégorie « élèves à besoin éducatif particulier » est donc bien une « désignation instable et globale »", écrivent Renaud Cornand, Alice Pavie et  Ariane Richard-Bossez (Univ. d'Aix Marseille). " L’introduction d’un nouveau besoin éducatif autour de l’excellence en éducation prioritaire peut être interprétée comme une réponse aux difficultés à faire face à l’hétérogénéité du public scolaire dans un système scolaire massifié en recréant de nouveaux espaces, en marge de la classe, plus homogènes. Cela questionne plus largement les conceptions de la justice scolaire".

 

François Jarraud

Agora - Débats / Jeunesse n°87, La fabrique du besoin éducatif particulier

 

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Par fjarraud , le jeudi 04 mars 2021.

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