Lisa Cognard : Connaître ses émotions pour mieux enseigner et mieux apprendre ? 

"Il a été démontré scientifiquement que certaines émotions favorisent les apprentissages alors que d’autres les limitent voire les bloquent ". Mieux connaître ses émotions que l’on soit élève ou enseignant : telle est la proposition faite par Lisa Cognard dans un ouvrage à destination des enseignants, comme de tout adulte s’occupant d’enfants. Elle l'évoque dans cet entretien.

 

Vous avez récemment écrit, en collaboration avec Pascale Haag, un ouvrage intitulé « A l’école de leurs émotions. Aider les élèves à mieux les connaître et les vivre », pouvez-vous nous en expliquer le message principal ?

 

Pour remettre ce livre dans son contexte, il a été écrit initialement pour répondre aux demandes d’enseignants avec qui nous avons mené une recherche-action intitulée "Aide-moi à apprendre avec mes émotions" en 2019-2020. L’objectif de cette recherche-action était d’accompagner pendant une année une école maternelle située dans le 19e arrondissement de Paris dans la mise en place de son projet d’école centré sur la question des émotions. Ce livre, qui devait être un simple recueil théorique sur les émotions, était donc au départ destiné aux enseignantes de cette école. Au fil des mois et des avancées de nos recherches, nous nous sommes rendu compte que le champ de recherche sur les émotions était très large et avons décidé d’en faire un petit livre pour partager cette synthèse avec le plus grand nombre.

 

Je pense que si nous devions tirer un message principal du livre, c’est que les émotions des élèves et celles des enseignants doivent être prises en compte à l’école. L’école est un lieu de socialisation où de nombreuses émotions naissent, s’expriment ou restent intériorisées. En raison de l’effet, scientifiquement prouvé, des émotions sur les apprentissages des élèves, il est primordial de les prendre en compte dans les pratiques pédagogiques. Il est donc important que les enseignants et, plus généralement, tous les membres des équipes éducatives travaillant avec des élèves, soient formés pour mieux connaître les émotions et la façon dont l’enfant apprend, au cours de son développement, à les identifier et à les réguler. Il est également essentiel que les enseignants sachent comment les intégrer dans les apprentissages.

 

Vous y abordez la question de la socialisation émotionnelle des enfants. Qu’est-ce que c’est ? Quelle est la place de l’école dans cette socialisation ?

 

La socialisation émotionnelle est un processus d’intériorisation des normes de notre société sur nos émotions. Par exemple, dans quels contextes et de quelle manière est-il approprié de les exprimer ou, au contraire, de les garder pour soi. C’est un processus non conscient, qui prend place en observant et en imitant les personnes qui nous entourent et de ce qui est considéré comme convenable ou non.

 

L’école a une place importante dans ce processus car c’est le deuxième lieu de socialisation des enfants après la sphère familiale. Les interactions des élèves avec leurs camarades et avec les adultes présents dans l’école donnent lieu à toutes sortes d’émotions – agréables ou moins agréables d’ailleurs –, qui leur permettent de construire cette socialisation émotionnelle. Les prendre en compte dans le cadre scolaire, et ce dès le plus jeune âge, apparaît donc primordial pour permettre aux élèves de se familiariser progressivement avec leurs émotions.

 

Selon vous peut-on éduquer au bien-être en aidant les élèves à connaître leurs émotions, à développer une « intelligence émotionnelle » ?

 

Oui, la connaissance des émotions est étroitement liée au bien-être. L'expression “intelligence émotionnelle” a fait son apparition dans les années 1980 et a été popularisée par la suite par Daniel Goleman et d’autres psychologues. Cette notion englobe notamment le fait de savoir reconnaître ses émotions et les contrôler, et également être capable de reconnaître les émotions des autres et d’agir en conséquence.

 

Par exemple, un élève qui n’est pas en mesure de réguler ses émotions peut en souffrir. Imaginons le cas d’un enfant qui se met en colère et tape un camarade : il peut ressentir de la honte et de la culpabilité, du fait qu’il n’a pas pu réfréner un comportement violent, tout en sachant pertinemment quel était le comportement attendu. L’école a donc un rôle à jouer, complémentaire de celui des parents, pour accompagner les élèves dans la reconnaissance de leurs émotions, de celles des autres et leur permettre de nouer des relations harmonieuses avec autrui. L’éducation au bien-être peut passer par l’enseignement de techniques psycho-corporelles comme la respiration ou la relaxation, mais aussi par la verbalisation des émotions en enrichissant la palette lexicale de l’enfant pour lui permettre de mettre des mots sur ce qu’il ressent. Par conséquent, accompagner les enfants dans le développement de leur intelligence émotionnelle, c’est également les accompagner dans leurs apprentissages scolaires.

 

Il a été démontré scientifiquement que certaines émotions favorisent les apprentissages alors que d’autres les limitent voire les bloquent. En limitant en classe les situations potentiellement anxiogènes – comme les évaluations sommatives –, en respectant dans la mesure du possible le rythme d’apprentissage de l’élève, et en favorisant les situations qui peuvent susciter des émotions positives – par exemple, la coopération en pairs ou l’auto-correction, les enseignants jouent un rôle déterminant sur les apprentissages de leurs élèves. Créer un environnement émotionnellement favorable aux apprentissages peut commencer par la création d’un environnement bienveillant et de confiance mutuelle dans la classe.

 

Les émotions des enseignants doivent aussi être prises en compte et un chapitre de votre livre est dédié à ce sujet. Pouvez-vous nous expliquer en quoi est-ce important pour vous ?

 

Tout d’abord, parce que c’est un point qui est souvent absent des débats sur les émotions même si certaines recherches commencent à s’intéresser à ce sujet, comme en témoigne un récent numéro de la revue Recherches en éducation: « Apprendre avec le cœur : les émotions dans la formation enseignante ». La formation des enseignants et enseignantes est encore bien souvent focalisée sur la transmission des savoirs et accorde peu d’importance au développement émotionnel de l’élève. Les professionnels de l’éducation sont donc à la recherche d’outils et de supports pour leur développement professionnel.

 

De plus, au cours d’une journée, il sont confrontés à de nombreuses émotions, parfois contradictoires – les leurs et celles de leurs élèves. Cela peut être déroutant pour les enseignants qui n’y sont pas préparés. Dans un climat de classe qui peut parfois être tendu ou agité, il n’est pas toujours facile pour les enseignants de composer avec leurs propres émotions. Il est donc important de mettre ce sujet en lumière pour permettre aux enseignants de libérer leur parole et oser évoquer les difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés en classe.

 

Propos recueillis par Line Numa-Bocage,

Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS CY-Cergy Paris Université

 

 

Par fjarraud , le jeudi 04 mars 2021.

Commentaires

  • RobinKoller, le 06/06/2021 à 11:25
    Très bon partage merci ! 
    Je suis de l'avis que l'aromathérapie peut aider les élèves à se socialiser, se détendre...

    Personnellement j'utilise un diffuseur d'huile essentielle dans ma classe pour détendre les élèves. 

    http://diffuseurs-huiles-essentielles.fr/



  • ceaireu, le 13/03/2021 à 11:24
    Merci, c'est passionnant ! 
    J'ai fini par trouver votre livre sur le site de l'éditeur, l'Instant présent.
    (chez les mastodontes on trouve mais seulement avec le titre du livre)

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