Jérome Krop : Histoire des élèves en France 

"Les élèves sont les grands absents de l'histoire du système éducatif". Jérome Krop, Stéphane Lembré, Jean-François Condette et Véronique Castagnet-Lars publient deux volumes sur une terra incognita de l'éducation : les élèves. Deux volumes pour découvrir les logiques institutionnelles dans l'accueil des élèves et de leurs inégalités depuis le 17ème siècle, la sociabilité juvénile, le disciplinaire au quotidien, les engagements lycéens et finalement le rôle des élèves dans la construction de l'Ecole. Alors sujet ou objet dans l'histoire de l'Ecole ? Jérome Krop, maitre de conférence à l'Inspé de Lille, qui co-dirige le tome 2, fait le point sur une histoire qui reste à écrire.

 

Pourquoi écrire une histoire des élèves ?

 

Les élèves nous sont apparus les grands absents de l'histoire du système éducatif. D'ailleurs les sources qui donnent accès à leur parole sont rares et nous avons du, au préalable, faire un gros travail de recensement des sources pour accéder à la parole et à la sociabilité des élèves dans les établissements.

 

Par exemple, nous avons consulté les archives des associations d'anciens élèves, les sanctions prises contre les élèves, la presse lycéenne, les tracts. On retrouve tout cela dans le tome 2 qui parle plus particulièrement de la sociabilité lycéenne.

 

Par exemple le travail de Jean-François Condette sur l'évolution des règles disciplinaires montre qu'il y a au 19ème siècle une contestation lycéenne avec une réforme en 1890. Cela permet de replacer dans le temps long la contestation lycéenne à qui on attribue l'origine de mai 1968.

 

Un autre article montre qu'il y avait une presse lycéenne très revendicatrice pour les droits des jeunes dès 1880, avec un mouvement national lycéen. On trouve trace dans l'ouvrage des violences scolaires aussi loin qu'à l'époque des guerres de religion.

 

Comment a évolué la participation des élèves à la gestion des établissements et du système éducatif ?

 

L'ouvrage donne une synthèse très complète de cette question sous la plume de JF Condette. C'est à partir de 1968 qu'on institue une participation des élèves à la vie des lycées. L'article rend compte de l'évolution institutionnelle avec une période d'expansion au moment de la  massification scolaire dans les années 1980.

 

Comment ont évolué les normes disciplinaires dans le quotidien des établissements ?

 

Dans le temps long on part d'une situation disciplinaire dans le lycée napoléonien qui évoque la caserne. Et c'est la multiplication des révoltes lycéennes à la fin du 19ème siècle. Elles sont parfois impressionnantes comme en 1883 où dans un grand lycéen parisien on assiste à une véritable insurrection avec intervention des sergents de ville. Il y a une réforme en 1890 puis un autre tournant en 1968. Et en 1968 l'idée du lycée caserne réapparait dans les slogans lycéens. On conteste alors l'interdiction des cheveux longs par les garçons ou le port du pantalon par les filles. Ces mesures sont considérées comme vexatoires.

 

Les élèves ont-ils faut évoluer les pratiques pédagogiques ?

 

C'est une question difficile. Car il est difficile de départager ce qui relève de l'intervention des élèves de ce qui provient d'une réflexion interne des structures scolaires. Les deux sont liées. Le malaise lycéen peut conduire à une évolution pédagogique. Mais ce n'est pas le seul facteur. C'est la différence avec l'évolution de la discipline. Par exemple les réformes pédagogiques de 1968 sont en germe bien avant 1968. Le travail sur les réformes, avec le ministre de l'éducation nationale, a commencé au colloque d'Amiens en mars 1968.

 

Les instances représentatives des lycéens font l'actualité en ce moment. Comment évaluer le rôle des CAVL , du CNVL dans le système éducatif ? S'agit-il d'une représentation démocratique ?

 

Sylvie Condette dans l'ouvrage montre qu'une difficulté de la démocratie lycéenne tient au fait que l'engagement des lycéens est toujours le fait d'une petite minorité des élèves. C'est constant et c'est lié à la position sociale du lycéen qui se socialise pendant une période transitoire au lycée, seulement 3 ou 4 ans. Beaucoup ne prennent pas le temps de s'impliquer. Beaucoup ne s'investissent même pas lors des élections.

 

Finalement qui décide de la place des élèves dans le système éducatif ?

 

 Ce sont rarement les élèves. Les adultes, le pouvoir politique ou les enseignants, ont plus de poids dans le fonctionnement du système avec des exceptions comme dans les lycées autogérés comme le montre le livre. Par exemple le lycée autogéré d'Oslo dans les années 1970 a été mis en valeur par la télévision.

 

Mais il faudrait de nouveaux travaux pour ce qui concerne la période de la massification , c'est à dire à partir des années 1980. Nos avons besoin de travaux sur la façon dont les élèves ont pu accélérer des mutations dans les lycées à cette époque.  Par exemple étudier le mouvement lycéen des années 1990 qui a exprimé un malaise lycéen et qui représentait une génération qui ne serait pas entrée au lycée 10 ans plus tôt. L'expression de ce malaise a surement accéléré les tentatives de rénovation pédagogique, par exemple la création des modules au lycée.

 

Peut-on dire que les élèves sont des acteurs de l'histoire de l'école ?

 

Tout à fait. Même si on a du mal à avoir accès à leur point de vue, ils ont participé aux transformations du système éducatif dans le temps long. Leur influence est indéniable.

 

Mais c'est encore une histoire qui reste à faire. L'historien a du mal à entrer dans la classe et à analyser les interactions pédagogiques entre les enseignants et les élèves dans le passé. Il est certain que quelque soit l'époque , les enseignants ont tenu compte de la jeunesse.

 

Les deux tomes que nous venons de venons de publier balaient largement les champs de la participation des élèves à l'histoire de l'enseignement. Mais il reste beaucoup à faire notamment pour trouver de nouvelles sources pour analyser plus en détail la vie des lycéens, des établissements et des classes. La classe reste l'angle mort de ce travail. Aussi cette histoire doit se poursuivre.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Jean-François Condette et Véronique Castagnet-Lars, Histoire des élèves en France, volume 1, Parcours scolaires, genre et inégalités (XVII-XXèmes siècles), Presses universitaires du Septentrion, ISBN 978-2-7574-3081-1

Jérôme Krop et Stéphane Lembré, Histoire des élèves en France, volume 2, Ordres, désordres et engagements (XVI-XXèmes siècles), Presses universitaires du septentrion, ISBN 978-2-7574-3082-8

 

Volume 1

Volume 2

 

Comment est née la méritocratie républicaine ?

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 18 décembre 2020.

Commentaires

  • caroudel, le 18/12/2020 à 09:54

    Les adultes croient qu'ils sont capables de se glisser dans la tête des enfants afin de proposer à leur place.

    Si les écoles casernes par classes comprimées (raisons financières) sont déjà une de leur invention, ils ont encore plus failli en pédagogie. On pensait l'élève historien, alors qu'il confondait encore le matin et l'après-midi, géographe alors qu'il se perdait en ville ou dans le supermarché, mathématicien alors qu'on le faisait réciter la comptine des nombres (ou des chiffres), scientifique, alors qu'il imaginait des liens de causalité inexistant, décodeur du français pour lire alors qu'il ne savait pas écrire les mots….   

     Si la pédagogie était greffée sur la genèse de la pensée enfantine ça se saurait.

    Piaget n'a malheureusement pas voulu se mêler explicitement de pédagogie, mais ce n'est pas une raison pour faire comme si ses observations étaient obsolètes en organisant des biais de raisonnement.

    Merci aux collègues de lever le voile sur ce mystère.


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