Philippe Meirieu : Enseigner : un métier de résistant 

"Le professionnel citoyen est celui qui refuse la réduction bureaucratique de sa mission à ses compétences et se revendique partie prenante de son institution". Invité par le Snuipp Fsu dans le cadre des "Universités  virtuelles" le 26 novembre, Philippe Meirieu a partagé sa vision émancipatrice du métier enseignant. Il a opposé l'idée d'un métier d'expert porté par une mission à celle d'un technicien porteur de services en regrettant que l'évolution actuelle pousse vers celle-ci.

 

Des enseignants inquiets et déprimés

 

Peut-être le plus frappant de cet échange entre P Meirieu et les centaines d'enseignants qui le suivent en visio conférence, ce sont les questions des enseignants. " Je découvre après plus de 15 années en élémentaire qu’il subsiste davantage dans les écoles maternelles une priorité à l’événement, à la formalisation, au comprendre… Ce qui se fait dans nos écoles maternelles semble ne plus être transposable à l’élémentaire, face aux contraintes grandissantes dont y sont accablés les enseignants… Les enseignants ne se formatent-ils pas eux mêmes, plus particulièrement en élémentaire?" Ou encore : "Nos supérieurs IEN, n'apprécient pas du tout lorsqu'on réfléchit et qu'on se questionne ou qu'on questionne les pratiques imposées. Comment faire cela sans se faire mal voir, voire subir des sanctions? Trop de gens qui préfèrent nous faire appliquer des consignes, même absurdes, du moment qu'elles viennent d'en haut". " Je n'y arrive pas avec le nombre d'enfants par classe. Je n'ai pas le temps d'un retour sur mes pratiques, d'une analyse des situations didactiques que je propose. J'en suis désespérée".

 

Contre le "lire écrire compter" de JM Blanquer

 

Face à ces questions, Philippe Meirieu pose les bases de la discussion sur le métier enseignant.  Comment définir le métier d'enseignant ? Philippe Meirieu se réfère aux textes fondateurs : Ferdinand Buisson, Jules Ferry. Ces textes vieux de plus d'un siècle résonnent avec les déclarations du ministre actuel. C'est comme si F Buisson répondait au "lire, ecrire , compter" de JM Blanquer. "L'instruction primaire n'est plus cet enseignement rudimentaire de la lecture, de l'écriture et du calcul que la charité des classes privilégiées offrait aux classes déshéritées", écrit Ferdinand Buisson dans son Dictionnaire. "C'est une instruction nationale embrassant l'ensemble des connaissances humaines... La démocratie moderne a pris conscience d'elle-même , elle sait que c'est la condition de son avenir".

 

L'école : mission ou service ?

 

P Meirieu oppose l'école ambitieuse avec celle que l'on voit apparaitre. D'un coté une école portée par une mission, qui forme des citoyens avec des enseignants dégagés des pressions locales et de l'autre une école réduite à des services, qui évalue ses enseignants amenés à suivre des protocoles et qui est tributaire des parents.

 

Aussi pour P Meirieu le moment est venu de résister. Et pour lui cela passe par construire du commun notamment par la construction de valeurs communes et faire intérioriser l'exigence  de précision et de vérité par ses élèves. "Qu'est ce qui vaut la peine d'être enseigné ? Ce qui libère et ce qui unit".

 

Un métier complexe

 

P Meirieu confirme que le métier est devenu complexe. Mais il l'a toujours été. "Nous sommes toujours amené à prendre des décisions en déplaçant le curseur entre des polarités pédagogiques afin de rétablir l'écosystème apprenant", explique P Meirieu. La complexité du métier tient dans son équilibre entre son projet initial , les contraintes institutionnelles et les événements imprévisibles de la classe.  C'est un métier de concepteur qui implique une liberté pédagogique.

 

Un appel à résister

 

P Meirieu a été interrogé et est intervenu sur la politique éducative actuelle. Notamment sur la réforme de l'éducation prioritaire. "Nous sommes face à un ministre qui joue les parents contre les enseignants. Ce n'est pas tolérable. Il faut faire des parents nos alliés dans la transformation de l'école". En conclusion P Meirieu a fait appel au feu qui habite les enseignants en citant Régis Debray. "Ce qui nous rassemble c'est ce qui nous dépasse... On ne vit qu'avec un indémontrable chevillé au corps et si tu veux aller jusqu'au bout de toi -même, préserve en toi  la part du feu". Nul doute que les paroles de Philippe Meirieu aient rallumé les flammes.

 

François Jarraud

 

La vidéo sera prochainement sur la page Facebook du Snuipp Fsu

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 27 novembre 2020.

Commentaires

  • delacour, le 27/11/2020 à 10:30

    "Nos supérieurs IEN, n'apprécient pas du tout lorsqu'on réfléchit et qu'on se questionne ou qu'on questionne les pratiques imposées. Comment faire cela sans se faire mal voir, voire subir des sanctions?"

     Ce n'est pas nouveau, c'est exacerbé. J'ai subi cela. Employant une approche de l'écrit basée sur la communication, ayant bénéficié de bonnes notes et de passages au choix, tout s'est stoppé lorsque l'inspecteur a interdit la propagation de ma trouvaille. Je n'ai plus été inspecté, sinon juste pour ne pas bénéficier des points de non-inspection qui m'auraient valu une promotion.

    Mais je ne regrette rien, même si j'ai perdu de l'argent (beaucoup), je n'ai pas perdu mon âme.

    Je ne conseille donc pas cette attitude qui n'a pas fait avancer le problème d'un iota.

    Je conseille vivement de se taire, de ne pas discuter les "ordres", mais de travailler intelligemment avec les élèves et d'attendre le jour où un bulletin de vote pourra changer cela (si c'est possible !). Nous ne sommes pas des robots.

    Par contre, je suis heureux de constater qu'on commence à s'interroger sur le b-a ba, la cause de mes pertes salariales et de ma mise sur la touche. (voir le site ecrilu dont la hiérarchie, à quelques exceptions près, ne veut rien entendre, circulez, il n'y a rien à voir, même si le succès est interrogateur.)


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