Denis Sestier : « Alors c’est bientôt la reprise ? » 

Voilà la phrase - exprimée avec plus ou moins de compassion et/ou d’ironie selon le degré d’affection pour l’Education nationale de celui ou celle qui la prononce - que tout enseignant entend des dizaines de fois à la fin du mois d’août. Elle sonne le glas des vacances et l’approche de la rentrée.  Evoquer ladite rentrée sans sombrer dans le marronnier n’est pas chose facile. Surtout en période de rentrée où la concurrence est vive. Essayons néanmoins de la cerner en quelques mots-clés.

 

Clés

 

Justement : la rentrée c’est le jour où l’on ressort le trousseau de clés de l’établissement : classes, salles de travail, de reprographie… le trousseau personnel qui s’était allégé durant les vacances s’alourdit à nouveau et déforme les poches du pantalon qui désormais remplace le short estival. … C’est bien la rentrée ! Les clés sont aussi - comme les codes des photocopieuses et du réseau - le graal après lequel les nouveaux collègues vont courir durant la pré-rentrée à moins qu’une équipe administrative accueillante n’ait déjà tout prévu !

 

Collègues

 

C’est toujours agréable de retrouver ses collègues après la pause estivale. Auprès des anciens collègues, il y a aussi de nouveaux arrivants à découvrir et à accueillir. Ceux qui sont nommés à titre définitif, qu’ils soient satisfaits du poste ou pas, sont dans une situation plus enviable que ceux, de plus en plus nombreux, nommés à titre provisoire (stagiaires, TZR) voire très provisoire (contractuels) et qui découvrent souvent au tout dernier moment leur affectation, leurs classes, leurs manuels et les conditions matérielles dont ils vont devoir s’accommoder. Pour eux la rentrée est beaucoup moins facile que pour les autres. Cette précarisation va croissant et n’est pas un progrès : les équipes sont moins stables, les projets plus difficiles à mettre en place et à maintenir d’une année sur l’autre, des enseignants travaillent sur deux voire trois établissements et les personnes souffrent de cette instabilité.

 

Emploi du temps : le retour

 

La rentrée c’est surtout ces quelques jours si singuliers durant lequel élèves et professeurs font le deuil de leurs vacances, du temps libre  et non contraint. L’inscription des journées dans un emploi du temps précisément est ce qui marque la rentrée pour les élèves comme pour les enseignants.

 

On moque souvent l’attente un peu anxieuse de leur emploi du temps par les enseignants le jour de la prérentrée. Mais il ne s’agit pas prioritairement d’une question de confort personnel. L’EdT a des implications pédagogiques : avoir cours en sixième ou en seconde de 8 à 10 h le mardi n’offre pas du tout les mêmes perspectives de travail que d’avoir les mêmes élèves de 16 à 18 le vendredi après 2 heures d’EPS. C’est aussi le moment où l’on découvre  (et avec un peu de chances on peut encore corriger) les petites aberrations administratives qui vous collent un cours de 9 à 10 puis de 11 à 12 le même jour et avec la même classe. Cela ne pose aucun problème dans le logiciel d’Emploi du temps ou le tableau administratif mais pédagogiquement... comment dire… c’est pas top !

 

Enfin c’est aussi une question d’organisation du travail : avoir cours dès 8 heures le lundi implique une organisation différente que si l’on commence le lundi à 14 heures. De la même manière un emploi du temps massé ou au contraire très dispersé aura une influence sur le travail de l’enseignant qui n’a toujours pas de bureau (souvent évoqués, jamais livrés) à sa disposition dans l’établissement et où le travail personnel est plus ou moins facile à organiser.

 

Pour les élèves aussi la découverte de l’emploi du temps est un moment clé. Il détermine leur organisation personnelle, leur heure de lever (encore plus importante s’ils ont un long temps de transport). Il est marqué par de bonnes surprises (Trop cool, on commence à 10 heures le lundi!) mais aussi de mauvaises (la loose, c’est quoi ce trou de 10 heures à 16 heures le vendredi?)

 

Bref l’emploi du temps ce n’est pas un détail ni un élément de confort mais un cadre de travail qui peut faciliter l’année… ou pas.

 

Imprévisibilité

 

Toute année scolaire est largement imprévisible et le travail de préparation du professeur est bien souvent bousculé, chahuté et parfois mis à bas par les impondérables : la classe, les décisions inopinées de l’administration, les test de positionnement (qui évidemment tombent toujours sur votre cours), la grève, le blocage, les visites médicales, les sorties scolaires imprévues (des autres collègues bien sûr, les nôtres n’étant jamais un problème !) ou la neige.  Bien souvent les belles préparations et les programmations millimétrées se fracassent sur le mur de la réalité obligeant à de douloureux arbitrages et à des improvisations ou des adaptations toujours acrobatiques. L’année passée en a offert un exemple éclatant et celle qui s’annonce réservera aussi n’en doutons pas son lot de surprises. La seule chose qui soit prévisible en fait c’est qu’on ne pourra pas tout prévoir. Du coup et en l’absence d’informations fiables à l’heure où ces lignes sont écrites le mieux à faire est encore d’organiser la rentrée comme si elle devait se dérouler normalement.

 

La seule adaptation à une situation imprévisible est que je prévois des activités de classe qui pourront être menées dans la classe aussi bien qu’en autonomie et à distance et qui vont s’appuyer sur les enseignements de l’année passée, qui ont été nombreux.

 

VAE

 

Ce qui est probable c’est que je n’investirai pas le créneau de la classe virtuelle du type visio-conférence dont le bilan ne me semble pas spécialement satisfaisant et ce quel que soit le système utilisé. Non seulement la classe virtuelle, telle qu’elle est souvent présentée par ses promoteurs (mais est-elle ainsi pratiquée ?), consacre implicitement le modèle du cours-conférence dans lequel l’enseignant s’adresse en bloc à des élèves supposés écouter et prendre des notes. D’une efficacité déjà discutable en présentiel, on peut encore plus en douter à distance, quand, pour des raisons technico-pratiques, caméras et micros des élèves sont généralement coupés et que les difficultés de connexion des uns ou des autres sont monnaie courante. On ne peut légitimement s’interroger sur l’efficacité du dispositif lorsque les interactions sont à ce point limitées. Sans parler des problème d’intrusions et de « chahuts numériques » et donc de désorganisation des classes virtuelles qui n’ont, semble-t-il, pas été si rares même s’il est impossible d’en avoir une estimation fiable.

 

En revanche, les réunions en visio-conférence sont très utiles lorsqu’elles réunissent de petits groupes d’élèves volontaires dans lesquels chacun peut s’exprimer afin de travailler sur des points précis, l’explicitation d’une consigne, des difficultés repérées ou l’orientation par exemple. C’est une utilisation qui mérite d’être poursuivie et approfondie. Mais quel outil sera disponible à la rentrée ?

 

Pour le reste, mon expérience de l’an passé et les échanges que j’ai pu avoir avec mes élèves et de nombreux collègues montrent que certaines modalités généralement simples et de bon sens ont été particulièrement utiles :

- des plans de travail structurés et des consignes clairement explicitées, diffusés de manière régulière via un outil simple d’accès. La diffusion par mail par exemple a été d’une grande utilité notamment lorsque les outils institutionnels montraient des signes de faiblesse.

- des activités adaptées à la situation, « faisables » sans trop d’aide et ne nécessitant pas obligatoirement d’outils numériques. Ils ne sont en effet pas toujours disponibles, pas toujours au niveau, pas toujours compatibles, pas toujours maîtrisés. Par ailleurs est-il vraiment judicieux d’envisager l’enseignement à distance comme une série de longues sessions devant écran ?

 

En revanche, l’outil numérique, ordinateur, tablette ou téléphone est incontournable pour la transmission des activités et des productions, le suivi individualisé, la communication et le maintien du lien entre l’élève et l’école. Le plus simple et sans doute le plus efficace reste de prévoir des activités de difficulté progressive avec un noyau obligatoire et des compléments facultatifs, la partie obligatoire pouvant être réalisée le cas échéant sans outil numérique. Le manuel, lorsque les élèves en sont dotés est de ce point de vue un support à ne pas négliger. Certaines activités complémentaires et facultatives en revanche peuvent intégrer des activités nécessitant des outils numériques. L’important est que tous puissent réaliser les tâches essentielles.

 

- un suivi personnalisé notamment par mail nécessitant un temps de travail non négligeable de l’enseignant mais débouchant souvent sur une relation renouvelée avec les élèves (en tous cas ceux qui sont restés en contact avec l’école). Et on a observé cet apparent paradoxe que malgré la distance il a été fréquent d’avoir avec les élèves des relations plus approfondies car plus personnalisées qu’en classe. A cela deux raisons : en classe, accaparé par la gestion du groupe et limité par le saucissonnage horaire, le temps manque pour développer des relations individuelles. Ces restrictions sont grandement atténuées quand un élève et son enseignant peuvent communiquer plusieurs fois dans la semaine et aux horaires qui leur conviennent.

La réactivité des enseignants et la durée des délais de réponses sont des éléments qui ont été relevés par de nombreux élèves comme étant de nature à favoriser leur investissement et leur travail. On comprend aisément pourquoi.

 

- un retour sur les travaux demandés. Rien de plus démotivant pour un élève que de ne pas recevoir le moindre retour sur un travail qu’il a réalisé, parfois avec beaucoup de coeur et d’investissement. A l’inverse la multiplication des productions liée à la mise en activité systématique rend, dans certains cas une correction individuelle détaillée absolument impossible. Quand plus de 150 élèves renvoient une, deux ou trois productions dans la semaine on voit bien la difficulté pour l’enseignant. En revanche, un petit mot accusant réception et donnant une appréciation globale sur le travail de l’élève puis un retour collectif (sous la forme d’une capsule vidéo ou d’une activité d’auto-correction) intégrant des extraits de travaux d’élèves permet à chacun de situer son travail et au professeur d’apporter les compléments essentiels. C’est l’occasion de développer les capacités d’autoévaluation des élèves qui est au final l’un des objectifs majeurs de l’enseignement : rendre un individu autonome dans l’organisation, la réalisation et l’évaluation de son travail. 

C’est sur la base de ces réflexions que je prépare ma rentrée en cherchant à prévoir des activités multimodales et à approfondir l’explicitation des tâches à réaliser. Une autre priorité sera, dès le début de l’année, de multiplier les occasions de former les élèves aux gestes techniques de base avec les outils numériques : envoyer un mail avec une pièce jointe, exporter un fichier en PDF, utiliser et enregistrer un PDF modifiable, retourner et redimensionner une image après en avoir réduit la taille, retrouver ou déposer un fichier dans l’ENT ou un enregistrement audio dans son téléphone … Autant de procédures simples dont l’inégale maîtrise a compliqué les échanges de travaux durant le confinement et qui font partie pourtant du minimum vital aujourd’hui. L’occasion de rappeler peut être aussi, que former les élèves au numérique ce n’est pas seulement les faire travailler dans des systèmes spécifiques et protégés (certes utiles) mais c’est aussi – surtout ? -  les former aux usages raisonnés et éclairés des outils du quotidien.

 

Relancer la machine

 

Mais le plus dur dans la semaine de la rentrée, phase finale d’un décollage dont le countdown a commencé aux environs du 15 août, est de relancer la machine. Pour l’enseignant bien sûr mais surtout pour les jeunes qui lui sont confiés. Ce sera sans doute encore plus vrai cette année avec des enfants et adolescents dont certains n’ont pas remis les pieds à l’école depuis le 13 mars.

 

Il s’agira de prendre la mesure d’éventuelles difficultés. Pour cela, notamment en 2nde, les toutes premières heures seront consacrées à des activités courtes et simples, individuelles et en groupes, pour prendre le temps d’observer les élèves au travail. En outre de courtes productions (textes, schémas, croquis, frises...) rapides à évaluer pour l’enseignant mais souvent riches d’enseignements  permettront de repérer très vite, à l’échelle de la classe et et d’une manière réellement utile les acquis mais aussi les difficultés qui pourraient exister.

 

Susciter de l’intérêt et de l’enthousiasme, créer de la surprise et de l’envie, mettre en mouvement ce groupement singulier, mouvant et multiforme qu’est une classe sont les objectifs des premiers jours. Pas facile quand les contraintes de programmes, de réformes et d’examens, les difficultés matérielles, les effectifs pléthoriques... ne favorisent pas l’innovation. Mais on n’a guère de prise à court terme sur ces aspects-là qui forment le cadre du travail. C’est à l’intérieur du cadre qu’il reste des marges de manœuvre pour essayer de mobiliser les jeunes qui nous sont confiés : le choix des activités de classe, des projets, des outils utilisés, des modalités de l’évaluation au quotidien, le climat de classe, les relations interpersonnelles… tout cela dépend de l’enseignant lui-même et résulte des choix qu’il fait dans l’exercice de sa liberté pédagogique. C’est ce qui fait, au fond, l’essence même de ce métier si particulier.

 

Il faudra en tous cas, cette année encore plus que les précédentes, faire preuve à la fois de maîtrise professionnelle, de conviction et de créativité pédagogique pour faire en sorte que la rentrée soit le prélude d’une année productive et en même temps agréable et enrichissante pour les élèves comme pour leurs enseignants.

 

Denis Sestier

Professeur d‘histoire-géographie à Caen

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 28 août 2020.

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