Maxime Travert : 2S2C, quel avenir pour l’élève ? 

Il a souvent été question d’évoquer le dispositif 2S2C au sujet de l’encadrement de ce dernier, mais qu’en est-il de la place réservée à l’élève ? Peut-on se soumettre au propos de JM Blanquer pour lequel ce dispositif serait « l’avenir de l’Ecole » ? Pour Maxime Travert (Professeur des Universités, Aix-Marseille Université) « il y a des risques dans la volonté de faire du sport, de la santé de la culture et de la citoyenneté (2S2C) : « l’avenir de l’école » en déléguant cette ambition à des structures, péri scolaires, qui vont agir à distance des établissements scolaires. »

 

Vous évoquez le danger de déléguer au local un enseignement qui mérite d’être envisagé au niveau national. Pourquoi ?

 

En effet, envisager que l’enseignement du sport, de la santé, de la culture, de la citoyenneté soit placé sous l’unique responsabilité des acteurs locaux et qu’il se déroule en dehors des établissements scolaires, me semble dangereux. Il peut exister entre ces deux niveaux d’intervention des actions complémentaires, mais les finalités poursuivies sont guidées par le projet éducatif scolaire. En déplaçant la responsabilité de ce type d’enseignement d’un univers éducatif national à un autre plus local, on change radicalement les ambitions poursuivies. On expose un projet commun de société, de femmes et d’hommes à former aux contraintes multiples liées au contexte local. Dans un pays que l’on décrit de plus en plus fragmenté, marqué par de nombreuses fractures, sortir de l’école ces quatre enseignements qui font partie intégrale de notre bien commun, qui rassemblent et fixent notre communauté nationale, me semble pour le moins hasardeux.

 

N'y a t-il pas aussi un risque de ne percevoir l’élève que sous le dogme des matières traditionnelles ?

 

Si le risque est la présence d’un danger qui provoque une réaction réfléchie cet aspect est un autre danger lié à ce projet. Vider l’école d’enseignements intégrant le sport, la santé, la culture et la citoyenneté c’est retirer de son environnement éducatif des enseignements disciplinaires qui présentent, au-delà de leurs singularités, la caractéristique de lier l’ensemble des disciplines entre-elles. Parce qu’elles convoquent l’élève dans sa complexité, son corps, son bien-être, ses émotions, ses liens avec les autres, elles ne peuvent se concevoir sans les relations qui les unissent entre elles et aux autres univers disciplinaires. En leur absence, l’offre éducative deviendrait cloisonnée, formelle et réduite à la simple transmission de contenus disciplinaires instrumentaux.

 

Plus que l’élève perçu dans une vision moniste, l’Ecole va aussi se couper du monde qui l’entoure ?

 

Le troisième danger contenu dans ce projet c’est d’accentuer la distance qui sépare l’école de la société dans laquelle elle est implantée. Mettre un ensemble de pratiques sociales (le sport, la santé, la culture, la citoyenneté) à la périphérie de l’école, c’est assécher sa relation avec le monde. Par ricochet, c’est jouer sur le sens que les élèves accordent à leur présence en son sein. Peut-on imaginer une école qui n’intègre pas directement dans ses enseignements des situations ordinaires, appartenant à différents domaines de la vie sociale et auxquelles les élèves sont confrontés quotidiennement ?

 

Ce dispositif 2S2C répond-il vraiment aux besoins des élèves ?

 

Rendre dépendantes ces ambitions éducatives (le sport, la santé, la culture, la citoyenneté) d’une offre locale, dans une France marquée par de multiples inégalités territoriales, c’est renforcer les disparités culturelles et c’est également se détacher des besoins réels des élèves. C’est, pour moi, le quatrième danger que j’associe à ce projet. Comment envisager un avenir pour l’école sans que celle-ci place au premier plan l’avenir de l’élève ? Qui, mieux que l’enseignant et l’équipe éducative à laquelle il appartient, peuvent apprécier, au gré des difficultés que rencontre l’élève et des paliers qu’il franchit, les contenus culturels et d’enseignement qui sont nécessaires à ses besoins dans le domaine sportif, sanitaire, culturel et citoyen ? En basculant sur une logique de l’offre, dans un contexte territoriale qui renforce les inégalités culturelles, sociales et citoyennes ce projet s’écarte des besoins réels des élèves et par conséquence de leur avenir.

 

Seul un renforcement de la place du sport, de la santé, de la culture et de la citoyenneté au sein de l’école, au service d’une ambition nationale et porté par une volonté de justice sociale et culturelle, peut le laisser entrevoir.

 

Propos recueillis par Antoine Maurice

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 28 mai 2020.

Commentaires

  • SegoLem, le 30/05/2020 à 14:47
    Vraiment ne je ne parviens pas à entendre ces propos qui me semblent si réducteurs de notre profession. Voilà enfin une occasion inespérée de donner de sens, d'ancrer davantage dans la réalité nos enseignements. A l'heure d'un numérique qui contribue déverticaliser les sociétés, à réticulariser nos rapports les uns aux autres et où le sens du collectif (au sens citoyen) se perd, voilà enfin une opportunité d'oeuvrer pour mieux coéduquer ! C'est à un profond changement de posture que tous les acteurs de la communauté éducative sont invités. Et penser qu'il n'y aient que les équipes éducatives qui sachent ce dont un élève a besoin aujourd'hui me parait bien présomptueux. 
    Une école qui se coupe du monde extérieur avec cette mesure ? Pour moi c'est aujourd'hui qu'elle est coupée du monde extérieur n'ayant que bien peu de conscience de ce que le numérique bouleverse au sein de nos sociétés.  
    Demandez aux élèves ce dont ils rêvent pour l'école de l'avenir. Ils rêvent de plus d'une heure d'art par semaine, d'activités manuelles, de sport, de temps pour réfléchir et penser différemment. 
    Je rêverais de pouvoir arpenter ma belle région pour faire découvrir les merveilles de culture et d'histoire qu'elle recèle mais je n'ai pas ce temps. Laisser cette possibilité, pour décongestionner des classes, apprendre différemment, puis réintroduire au sein de la classe les apprentissages faits à l'extérieur voilà la dynamique qui me fait espérer en l'Ecole de l'avenir. 
    Vivre la citoyenneté (d'ailleurs ce n'est pas le terme le C de citoyenneté à mon regret, mais juste celui de civisme) en leur faisant nettoyer un espace de leur ville, planter des arbres, travailler avec Emmaüs ou participer à d'autres actions au sein de leurs espaces de vie, quoi de plus pertinent pour parler de citoyenneté aujourd'hui ? 
    Bref votre première phrase me fait bondir, je ne vois pas pourquoi cela placerait ces thématiques sous "l'unique responsabilité des acteurs locaux"... Il appartient aux enseignants justement de faire vivre ces différentes formes d'apprentissage, de créer du lien avec leurs environnements en incitant nos élèves à être davantage curieux. 
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