Parcoursup déçoit aussi la Cour des Comptes 

"L’amélioration de la réussite étudiante nécessite l’élaboration d’une stratégie de gestion des capacités d’accueils davantage attentive aux profils des différents bacheliers, en particulier ceux issus des enseignements technologique et professionnel". En septembre 2019, le Café pédagogique avait souligné les "déceptions" de la 2de année de Parcoursup. Le rapport que vient de publier la Cour des Comptes sur l'accès à l'enseignement supérieur montre qu'à coté d'une réussite technique, Parcoursup n'a ni réussi la démocratisation de l'enseignement supérieur, ni amélioré la réussite des étudiants et la qualité de l'orientation. La Cour n'en tire pourtant pas tous les enseignements. L'amélioration de l'orientation en lycée passe pour elle par son inscription dans les obligations professionnelles des enseignants (ORS). Elle demande à Parcoursup davantage de transparence , dont la publication des algorithmes locaux, et la création d'outils  d'aide à l'orientation. Et elle assiste quasi muette à la montée de la concurrence entre les universités et de la sélection sociale qui l'accompagne.

 

Un bilan général négatif

 

Au chapitre de la réussite de Parcoursup, la Cour n'inscrit que son bon fonctionnement. Encore tient -il du miracle. L'enquête de la Cour montre que le logiciel est surexploité, bourré de failles et que la protection des immenses bases de données de générations entières d'élèves est très fragile. Les règles de la RGPD se seraient d'ailleurs pas respectées.

 

La Cour adresse trois critiques graves à l'application de la loi ORE qui a bouleversé l'orientation post bac et mis en place Parcoursup. La première c'est que l'orientation au lycée est "la grande oubliée de la réforme". La seconde c'est le manque de transparence et d'équité de la procédure d'affectation dans Parcoursup. Enfin les financements destinés à l'accompagnement des étudiants, ce qu'on appelle la réussite étudiante, ont souvent été détournés de leurs usages et ces programmes semblent avoir peu d'efficacité.

 

Les mauvais résultats de l'orientation au lycée

 

En ce qui concerne l'orientation au lycée, la Cour souligne que les professeurs sont peu intéressés à la faire. Un tiers des lycéens ne bénéficient d'aucun conseil pour leur orientation malgré le doublement des professeurs principaux. Deux élèves sur trois déclarent ne pas avoir eu d etemps spécifique pour la présentation du supérieur. La fameuse Semaine de l'orientation semble rarement mise en place. La Cour sait bien pourquoi : les 54 heures ne sont pas financées et pas inscrites dans les grilles horaires. Les enseignants ne sont pas formés.

 

La réponse de la Cour ne vise pourtant que les enseignants. Elle recommande l'inscription de l'orientation (les 54 heures) dans les obligations de service des enseignants avec une prime à la clé. Voilà qui pourrait être écouté par le ministère au moment où il cherche des contreparties pour ne pas céder de revalorisation sans travail supplémentaire. La Cour évalue à 75 millions une prime de 1000€ pour tous les professeurs principaux. La Cour a d'autres idées du même ordre : passer les psychologues EN aux 35 heures soit 300 heures de travail supplémentaire gratuit (gain 35 millions) ou encore utiliser les enseignants en sous service  et supprimer les décharges qui subsistent. Cela permettrait de récupérer 10 000 emplois.

 

La Cour se rend bien compte que la réforme du lycée est e train de faire disparaitre la classe et les professeurs principaux ce qui va rendre plus inexistant encore l'orientation. Mais elle n'a pas trouvé de solution... De même elle n'évoque pas les responsabilités des régions qui ont maintenant en charge directement l'orientation scolaire mais qui semblent incapables de la mettre en place.

 

Pourquoi il faut publier les algorithmes locaux

 

La partie la plus intéressante est sans doute celle consacrée à Parcoursup. Car la Cour a eu accès à la totalité du code , des attendus, des algorithmes locaux et des données de Parcoursup.

 

Alors que la ministre de l'enseignement supérieur a vanté la publication du code de Parcoursup, selon la Cour seulement 1% du code a été publié et plutôt la partie la moins intéressante.  La Cour souligne le manque de transparence de Parcoursup. Au delà du code, elle demande la publication des algorithmes locaux. La Cour montre que, contrairement à la loi qui impose un examen humain des candidatures, les procédures locales d'examen des voeux sont de plus en plus automatisées et sur des critères qui restent inconnus des candidats. Les lettres de motivation ne sont jamais regardées.

 

Les paramètres utilisés pour classer les candidats sont "parfois contestables" écrit la Cour. "Les paramétrages des commissions d'examen des voeux (CEV) peuvent parfois intégrer des éléments, non directement liés au cadrage national et/ou local, et visant, par exemple, à prioriser certaines disciplines ou filières sur d’autres, ou à proposer automatiquement, selon les filières, une inscription pour des modules de remédiation (on trouve dans le rapport le poids des différentes disciplines dans les annexes NDLR). Les CEV ont parfois intégré d’autres paramètres, tels celui du lycée d’origine. Des établissements du secondaire se trouvent alors priorisés dans le classement par rapport à d’autres, sur la base de critères plus ou moins aléatoires, tels celui lié à sa réputation, ou celui, plus objectif, du pourcentage de réussite au baccalauréat". La Cour demande que le lycée soit dorénavant anonymisé. Pour elle la publication des algorithmes locaux apporterait de l'efficacité àl'orientation et diminuerait la défiance.

 

Des résultats comparables à APB

 

Quels sont les résultats de Parcoursup ? D'après la Cour, qui a eu accès à toutes les données, elles sont du même ordre qu'APB. Le taux d'acceptation des propositions est de l'ordre de 65% comme APB. Le taux de réussite aux examen du 1er semestre, qui devrait augmenter grace à une meilleure affectation des lycéens, est resté stable à 30%. "L’objectif d’une plus grande réussite en licence fixé par la loi ORE n’est donc pas encore atteint". La qualité de l'orientation dans une filière est stable. "Au total, pour trois candidats utilisant la plateforme au niveau national, un seul y a trouvé sa filière d’élection, y a été affecté, y a réussi et y est resté", comme pour APB.

 

Par contre Parcoursup a de mauvais résultats au niveau équité. La Cour démontre que les quotas boursiers sont peu efficaces. "Si Parcoursup a permis d’augmenter le nombre de propositions faites aux boursiers par rapport à APB grâce à la fin de la hiérarchisation des voeux, il n’a provoqué qu’une légère hausse du nombre d’acceptations de propositions dans l’enseignement supérieur par ces candidats. En 2017, 67 % d’entre eux acceptaient une proposition sur APB, contre 70 % en 2019... Les quotas n’ont pas, par ailleurs, entraîné une plus grande diversité sociale dans les formations de l’enseignement supérieur où les boursiers étaient peu représentés. La répartition  des boursiers par filière reste très inégale. Ainsi, 22 % des admis en STS étaient boursiers en 2019 contre 5 % des admis en formations d’ingénieur ou 12 % des admis en CPGE, une situation qui n’a pas sensiblement évolué par rapport à APB".

 

Dégradation de la situation des bacheliers professionnels et technologiques

 

En septembre 2019, le Café pédagogique avait pu montrer que la situation des bacheliers technologiques et professionnels ne s'était pas améliorée et même s'était détériorée. Les tableaux de la Cour montre que le ratio affectés sur candidats abaissé en 2019. "Faute de créations de capacités d’accueil suffisantes dans les formations les plus adaptées à leur profils – les STS et les IUT -, une partie significative de ces bacheliers se retrouvent orientés par défaut en licence, où leur taux de réussite est très inférieur214, ou se voient contraints de renoncer à l’enseignement supérieur", écrit, elle aussi, la Cour. Elle montre que l'effort financier s'est porté partout sauf sur les BTS et IUT. Alors que depuis 2000 le nombre de bacheliers professionnels a doublé, le nombre de place en BTS a augmenté de 7% quand en CPGE l'augmentation est de 32%. Notons que le problème ne date pas de 2017.

 

Avec son regard comptable, la Cour estime "qu'il serait à la fois plus respectueux du projet de ces bacheliers et plus profitable pour leur insertion professionnelle de mieux allouer les capacités en STS plutôt que de les orienter par défaut à l’université". Non seulement les quotas n'ont pas produit d'effets, mais "la situation s'est détériorée en 2019... en raison d'un volontarisme insuffisant pour appliquer les quotas". La Cour estime que les classes passerelles vers les BTS relèvent d'un gaspillage des deniers publics.

 

Cela pose aussi la question plus générale de l'accompagnement des étudiants grâce aux "oui si" prévus par Parcoursup. Plus de 800 millions y sont affectés. Mais la Cour relève que les formations existant ne sont pas efficaces et que  cet argent est souvent utilisé à autre chose. "Un effet d'aubaine" pour les établissements.

 

Un enseignement supérieur soumis à la concurrence où les inégalités sociales augmentent

 

En conclusion, la Cour dresse le portrait d'un enseignement supérieur où la concurrence brouille la barrière légale entre filières sélectives et non sélectives. "En réalité, une formation devient sélective lorsque la demande des candidats est plus forte que la capacité d’accueil de la filière concernée. Cela a été le cas en 2019, pour près de 20 % des formations non sélectives en tension, représentant près de 30 % des candidats admis. À l’inverse, une proportion significative des formations sélectives a admis tous les candidats".

 

Il faut citer la conclusion qu'en tire la Cour. "Dans une logique d’attractivité, certaines formations pourraient utiliser la variable de la capacité d’accueil afin d’augmenter leur sélectivité et accroître ainsi leur taux de réussite, en attirant les meilleurs candidats. Il n’est donc pas exclu, à terme, que Parcoursup exacerbe des situations d’émulation entre établissements, déjà à l’oeuvre en matière de recherche, et qui pourraient se généraliser désormais au niveau des formations de premier cycle. L’académie de Paris, qui concentre la majorité des filières en tension, illustre ce phénomène. La part d’admis ayant eu une mention très bien au baccalauréat dans les filières non sélectives y est passée de 29 % en 2017-2018, dernière année d’APB, à 40 % en 2018-2019, première année de Parcoursup. Cet accroissement de la concurrence entre les établissements, s’il venait à se confirmer, nécessiterait de la part des recteurs (ou plus largement du MESRI) une vigilance redoublée, sauf à laisser s’ériger, dès les formations de premier cycle, un système universitaire à deux vitesses, au détriment des étudiants inscrits dans des universités moins prestigieuses, ou bénéficiant de moins de visibilité".

 

Au final la réforme impulsée par la loi ORE n'aura pas amélioré les affectations des jeunes. Elle aura aggravée la situation des bacheliers technologiques et professionnels. Et elle aura accru la concurrence dans le supérieur jusque entre les universités , fragilisant encore davantage l'avenir des jeunes des milieux populaires. Sous le camouflage fallacieux de l'efficacité, Parcoursup participe de la guerre sociale qui est en marche dans le pays.

 

François Jarraud

 

Le rapport

Les déceptions de l'An II de Parcoursup

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 28 février 2020.

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