Bien-être : Jean-Louis Durpaire : Plaisir et mathématiques à l’école primaire  

Depuis une quinzaine d’années, l’enseignement des mathématiques opère un changement de cap en intégrant mieux les questions de mémorisation et d’automatismes aux apprentissages fondamentaux. Faire des mathématiques en y prenant du plaisir prend un sens nouveau et devient d’un accès plus aisé pour les élèves. Il s’agit de donner priorité au calcul et d’apprendre en jouant avec les nombres et non de chercher une didacticité  de jeux extérieurs (échecs etc.) Jean-Louis Durpaire, auteur (avec Denis Butlen) de Enseigner les mathématiques à l'ère du numérique, évoque ce plaisir des maths.

   

Le plaisir, moteur des apprentissages : oui, mais comment ?

 

Le rapport Torossian-Villani « 21 mesures pour l'enseignement des mathématiques » (février 2018) a utilisé le terme « plaisir » 21 fois, trois fois plus que « mémorisation », autre terme essentiel. Un paragraphe est même intitulé « L’importance du plaisir ». La première des 53 recommandations est «  Prendre en compte la dimension affective de la relation pédagogique. Ne pas oublier que l’apprentissage n’est pas une opération exclusivement intellectuelle. » (page 6)

 

Cette proposition est particulièrement juste à l’école primaire et pertinente pour les mathématiques. La même activité peut être vécue comme fastidieuse ou prendre un tour très ludique. Ainsi, dès l’école maternelle et au CP,  apprendre à décomposer le nombre 5 de toutes les manières possibles : 4 +1, 3 +2 , 5 +0 , mais aussi 1 + 1 + 1 + 1 + 1, 1 + 2 + 2… peut constituer un bel exercice que l’on renouvelle tous les jours avec d’autres nombres, ainsi que le préconise Gérard Sensevy (Inspe de Bretagne)  à travers la recherche Arithmétique et compréhension à l’école. Bien que répétitive, l’activité est source de créativité : « le Journal du nombre requiert une certaine quantité d’expériences mathématiques pour que l’élève soit en possibilité́ d’écrire des mathématiques « nouvelles » par rapport à̀ ce qu’il sait déjà̀ faire. Le Journal doit devenir une habitude, habitude de production et d’enquête, pour les élèves. »

 

Créativité et répétition ne s’excluent pas. Il est important de comprendre le rapport entre la répéti-tion, la compréhension et le plaisir qui en découle. Le plaisir en mathématiques se trouve lorsque l’élève comprend ce qu’il fait, qu’il réussit dans une tâche (donc que celle-ci est mise à sa portée) et qu’il éprouve l’envie de continuer.

 

Le plaisir, ce n’est pas que chercher ?

 

En effet, il y a du plaisir à chercher, mais lorsque la tâche est trop loin des connaissances des élèves, l’ennui vient vite et l’élève passe à autre chose… Les programmes de la période 1980-2008 encourageaient à l’excès les activités de recherche sur des « situations-problèmes » complexes; il s’agissait à l’époque de partir des « solutions personnelles élaborées par les élèves » pour « déboucher sur une nouvelle connaissance (notion ou procédure) » (programmes 2002). Le rapport de l’Inspection générale « L’enseignement des mathématiques au cycle 3 de l’école primaire » (Durpaire, 2006) avait souligné la difficulté de cette entreprise en évoquant des « élèves  souvent débordés, perdus devant des situations trop larges » et en rappelant cette réflexion fort ancienne de Hans Aebli : « Celui qui veut appliquer le principe de la recherche par l’élève doit tenir compte du fait que cette méthode est de beaucoup la plus difficile des formes d’enseignement » et également à celle-ci : « Lorsque la matière est trop ardue pour la classe, le maître a toujours la possibilité́ de simplifier les questions à tel point que pour y répondre, il ne soit pas nécessaire d’avoir compris l’ensemble des rapports en jeu ».

 

Les programmes de 2008 et en  continuité les suivants (2015, 2018) ont donné une place plus réa-liste à « Chercher » en en faisant une (et seulement une) des six compétences majeures des mathé-matiques : chercher, modéliser, représenter, calculer, raisonner et communiquer. A l’école primaire « calculer » doit ainsi mobiliser largement l’attention des élèves et des enseignants.

 

Et on peut jouer sur les nombres ?

 

A l’école primaire, comme aux autres niveaux et dans la vie de tous les jours, on calcule à la main, dans la tête ou à la machine ; ce que l’on appelle le calcul posé, le calcul mental, le calcul instrumenté. Les 3 formes sont indispensables, tout dépend du type de calcul à effectuer. Apprendre déjà à choisir quelle forme on va utiliser relève d’un apprentissage. Pour un adulte, il est évident que 1000 + 10 est plus rapide à effectuer mentalement que par écrit ou avec une calculette. En est-il de même pour un élève de fin cycle 2 ? De cycle 3 ?  De même 299 + 3 ou 627 -12 devraient être plus rapides mentalement. Encore faut-il avoir été entrainé.

 

Cette activité d’entrainement est source de plaisir dès lors que la progressivité des exercices est proposée, à commencer par la systématisation des compositions-décompositions dès l’école maternelle. Le calcul mental s’apprend par une activité quotidienne, suivie où chaque élève en découvre l’intérêt et la puissance.

 

Les élèves sont amenés à éprouver du plaisir dans des exercices didactiques bien pensés. Comme l’écrivait Guy Brousseau (“Les doubles jeux de l’enseignement des mathématiques”, 2002)),  « Il n’y a pas lieu non plus de vouloir inconsidérément remplacer des activités didactiques en classe par des «jeux» directement importés de l’extérieur. (…) L’opinion répète que la pratique du jeu d’échec développerait les qualités  mathématiques de ceux qui s’y livrent. Mais je ne connais aucun sujet de mathématique qui serait mieux connu, pratiqué ou aimé après quelques heures de ce jeu, qu’après quelques heures de travail mathématique spécifique. »

 

Jean-Louis Durpaire

inspecteur général de l’éducation nationale honoraire

Membre professionnel du Laboratoire BONHEURS (Université de Cergy)

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 06 février 2020.

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