Sylvain Connac : Les pédagogies Freinet 

Peut-on parler de Freinet quand on n'est pas le mouvement Freinet ? Sylvain Connac, spécialiste reconnu de la coopération à l'Ecole, pense que oui. En mettant "pédagogies" au pluriel, son ouvrage, rédigé avec Bruce Demaugé-Bost, Bernadette Guienne, Isabelle Huchard et Isabelle Quimbetz (Editions Eyrolles), marque qu'il se démarque du mouvement Freinet. L'ouvrage ne manquera donc pas de faire polémique Il nous livre une vision "ouverte" ou "plurielle" de la pédagogie Freinet (au sens large) dans un livre qui trouve un bon équilibre entre théorie et pratiques de terrain.  Il s'explique de ces choix dans cet entretien.

 

Pourquoi ce livre en ce moment précis ?

 

C'est conjoncturel. Il y a des rencontres avec des enseignants avec qui je travaille depuis longtemps. Mes travaux de recherche m'ont conduit à travailler sur la coopération et donc à prendre en compte le patrimoine des époux Freinet. Et puis il y a la sollicitation d'un éditeur qui voulait croiser les regards entre chercheurs et praticiens chercheurs.

 

Votre ouvrage est un livre théorique ou pratique ?

 

Ce qui est pédagogique est forcément théorique et pratique. On ne peut pas parler de l'approche Freinet sans revenir sur des éléments de construction historique. Et comme on est dans le champ pédagogique, il faut bien mettre en oeuvre et expliquer comment cela se développe. Des enseignants montrent donc concrètement comment ils font en classe. Cela va d'Isabelle Huchard, en grande section de maternelle, à Bernadette Guienne qui enseigne en collège.

 

On a donc une double entrée. Par les apprentissages : comment on organise avec les enfants le rapport au savoir dans une dimension de création et pas uniquement de subordination. Il y a aussi tout ce qui relève de l'engagement social. Par exemple comment ils organisent des conseils coopératifs d'enfants. Les enseignants expliquent cela de façon précise.

 

Un chapitre est consacré à la pédagogie institutionnelle. C'est de la pédagogie Freinet ?

 

L'ouvrage met pédagogie au pluriel. On est dans une approche complexe dans la logique des pédagogies post modernes.  Notre projet d'ouvrage c'est  d'essayer de créer une unité parmi des éléments qui sont souvent mis en opposition par les histoires humaines. On explique comment la pédagogie institutionnelle est une forme de pédagogie Freinet. Ce faisant, on fait le choix de ne pas s'engager dans le développement d'une pédagogie Freinet "pure". Pour nous cette radicalité pédagogique n'a plus de sens aujourd'hui où la réflexion pédagogique est attaquée. On tend vers une sorte de pluralisme pédagogique pour accueillir toutes les personnes. Mais je serais étonné que notre conception ouverte et pluraliste soit critiquée de la part des tenants du mouvement Freinet.

 

Freinet c'est aussi un mouvement politique ?

 

La pédagogie Freinet est une pédagogie politique. Mais une pédagogie est toujours politique. L'approche Freinet accorde une priorité aux opprimés, à la fragilité, à ceux qui sont en situation de difficulté sociale. C'est une pédagogie populaire.

 

Pourtant  vous n'avez pas inclus dans l'ouvrage la pédagogie critique, comme celle de P Freire.

 

Je n'ai pas trouvé de lien personnel entre Freire et Freinet. Mais il y a des liens pédagogiques, notamment sur les valeurs.

 

La pédagogie Freinet c'est une pédagogie pour le premier degré ?

 

C'est lié à son histoire : ce sont des instituteurs qui ont créé le mouvement Freinet. Mais cette pédagogie émerge dans le second degré. On est très sollicités pour accompagner des projets de classe coopérative dans les collèges et les lycées. Ces enseignants préfèrent parler de classe coopérative car ils refusent le dogmatisme et l'enfermement pédagogiques. Ceux-ci sont d'ailleurs absents des écrits de Freinet.

 

Récemment F Ramus, choisi par le ministre pour faire partie de son "conseil scientifique",   attaquait la pédagogie Freinet et ses résultats. Pour vous, la pédagogie Freinet est-elle menacée aujourd'hui ?

 

Non si on lui accorde cette dimension d'ouverture. O Houdé , par exemple, dont la discipline (les sciences cognitives) est fortement mise en valeur aujourd'hui, observe les élèves d'un point de vue individuel. Il n'y a pas d'IRM observant le cerveau en interaction sociale. Si F Ramus attaque Freinet c'est probablement un problème de connaissances. Ce n'est pas facile de s'approprier une connaissance fine de ces approches pédagogiques. Comme il n'y a pas de consensus sur la pédagogie Freinet, on peut en avoir une interprétation fausse.

 

Mais des revues scientifiques comme "Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle" ou "Recherches en éducation" donnent de l'importance à cette dimension sociale des apprentissages. Les recherches scientifiques ne sont pas que quantitatives.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Sylvain Connac, Bruce Demaugé-Bost, Bernadette Guienne, Isabelle Huchard, Isabelle Quimbetz. Les pédagogies Freinet. Origines, concepts et outils pour tous. Editions Eyrolles, 2019, ISBN 978-2-212-57018-2

 

Feuilleter le livre

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 27 mars 2019.

Commentaires

  • fanbouh, le 27/03/2019 à 14:13
    Entièrement d'accord, c'est une pédagogie vivante qui se construit avec les enfants. C'est plus un état d'esprit que des techniques!

  • caroudel, le 27/03/2019 à 09:20
    Il n'existe pas une pédagogie, mais des pédagogies. Et avant de critiquer telle ou telle pédagogie il faut s'informer correctement.
    Montrer de l'ouverture d'esprit et ne pas momifier Freinet mais faire vivre son acuité intellectuelle, voilà l'enjeu pour tous les pédagogues. Sans être "freinétiste" on peut très bien intégrer son esprit dans sa pédagogie. Et y trouver des éléments concrets à mettre en œuvre.
    Merci pour cet essai. 
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