Le film de la semaine : « Mon meilleur ami » de Martin Deus 

Jeune réalisateur argentin, Martin Deus aborde de façon originale un sujet abondamment traité au cinéma : le trouble du désir à l’adolescence. Après plusieurs courts-métrages dédiés à la confusion des sentiments liés à cet âge de la vie, il évoque ici avec délicatesse la recherche de l’orientation sexuelle à travers la naissance d’une amitié singulière entre deux garçons que tout oppose. A partir de l’écriture d’un scénario, en partie autobiographique, l’auteur de « Mon meilleur ami » confronte Lorenzo, son jeune héros, garçon fragile, fils studieux et choyé, à Caito, adolescent frondeur et cabossé, en conflit ouvert avec la société et la famille. Entre cadrages intimes des deux protagonistes et trouées aventureuses dans les paysages solaires de la Patagonie, Martin Deus capte avec finesse les traces visibles des bouleversements intérieurs des adolescents au fil d’une relation affective ambivalente, mélange composite d’attirance, de rejet et d’incompréhension. Une rencontre physique et mentale dont la fiction préserve l’étrangeté et le mystère. Les avancées du droit en témoignent : le machisme, les discriminations sexuelles et l’homophobie, toujours prégnantes dans l’Argentine d’aujourd’hui, commencent à reculer. « Mon meilleur ami », par la générosité de son propos et la légèreté de son style, porte un regard neuf sur le territoire inconnu des premières fois. Une exploration des affres du désir adolescent qui dépasse les frontières de son pays d’origine. 

 

Confrontation troublante

 

Lorenzo (Angelo Mutti Spinetta), frêle garçon plus enclin à la lecture qu’à la pratique du football, coule des jours paisibles et studieux, entouré par des parents aimants, dans une bourgade de Patagonie aux couleurs chaudes. Jusqu’au moment où son père décide d’accueillir chez eux Caito (Lautaro Rodriguez), un garçon rebelle et énigmatique, le fils d’un vieil ami (toujours chéri en dépit de l’éloignement et de chemins divergents). D’abord rétif face à cette intrusion –une crainte renforcée par la consigne paternelle de ne jamais laisser seul son camarade de chambrée-, Lorenzo se laisse progressivement gagner par une attirance inédite au point de faire de Caito son ‘meilleur ami’ sans avoir conscience des répercussions profondes de ce rapprochement avec un adolescent imprévisible, à la fois transgressif à l’extérieur et taiseux quant à sa vie intime.

 

Pas d’événement majeur dans l’éveil de Lorenzo à de nouveaux horizons, à une appréhension différente des choses et des êtres. Même si un week-end de camping sauvage en pleine (et splendide) nature renforce le lien et le partage, Lorenzo ne nomme pas des émotions dont nous percevons les effets sur les tressaillements de son visage et les tremblements de son corps. Au-delà du trouble que l’ami athlétique et frondeur suscite, la fiction interroge, plus que la révélation supposée d’une orientation homosexuelle, la nécessité de remettre en cause les règles, la salutaire transgression des interdits et le goût du risque qu’incarne Caito aux yeux de Lorenzo.  Ainsi le récit d’apprentissage épouse-t-il les contours indécis de la confusion des sentiments, dans toutes ses déclinaisons, de la curiosité à l’emballement, de l’attrait irrésistible à la douleur de l’inachèvement.

 

Mise en scène au diapason d’une révolution intime 

 

Originaire de La Plata en Argentine, Martin Deus revendique le choix de la Patagonie comme patrie métaphorique d’un rêve d’enfance, celle du personnage principal, avec lequel il entretient une proximité envieuse. Le cinéaste, qui a grandi sagement dans le respect des diktats parentaux, plaide en faveur de l’expérience formatrice de Lorenzo : bouleversé par la confrontation avec Cairo, le jeune héros met à mal l’esprit de sérieux inculqué par ses parents et le cadre d’une éducation stricte. Selon le réalisateur, certains adolescents, comme Lorenzo, ‘ont besoin qu’on les secoue, qu’on leur apprenne à vivre autrement sans sentiment de culpabilité’. A ce titre, les partis-pris de mise en scène mettent en lumière avec légèreté la complexité et la singularité d’un chemin d’apprentissage adolescent, lequel ne se réduit pas à l’éclosion de la sexualité. Ambivalence du désir, danger de la drogue et autres addictions, remise en cause de l’autorité parentale, goût du secret résonnent comme des enjeux majeurs dans le trajet périlleux et incertain d’un être en formation.

 

Cadrages serré sur les visages et les corps, échanges aux paroles rares, séquences intimes en intérieur primant sur quelques scènes paysagères au cadre grandiose, montage elliptique-, le style minimaliste et impressionniste tisse des correspondances souterraines avec les mouvements intérieurs du héros, des liens invisibles avec la révolution intime que Lorenzo traverse et que la partition musicale aux accents lyriques (composée par Mariano Barrela) ponctue à bon escient.

 

A sa manière discrète et délicate, « Mon meilleur ami » reflète avec intelligence les changements en cours dans la société argentine d’aujourd‘hui : l’évolution des rôles au sein de la famille, l’ouverture d’esprit en matière d’éducation, les prémices encore timides d’un recul du machisme et de l’homophobie…Le film de Martin Deus nous propose surtout une œuvre  généreuse qui célèbre l’âge des possibles et son mystère irréductible.

 

Samra Bonvoisin

 

« Mon meilleur ami », film de Martin Deus-sortie le 27 mars 2019

Sélections, récompenses : Prix Ecrans Juniors Cannes 2018, multi-primé dans de nombreux festivals (Etats-Unis, Cuba, Belgique, Italie, Pays-Bas, France)

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 27 mars 2019.

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