Bien-être : Sonia Mejri : Les manuels, l'Islam et le vivre ensemble à l’Ecole  

 A l’école de la république vivent ensemble des publics pluriculturels et pluricultuels. Comment construire un vivre-ensemble prenant en compte cette pluralité des publics ? Dans notre société c’est plutôt sous l’angle d’un problème posé par l’islam en France que l’on s’interroge, et non sous l’angle d’une incapacité de la République française à penser les mutations du vivre ensemble. Comment l’école participe t-elle de ce débat ? Le manuel scolaire constitue un analyseur parmi d’autres. Un manuel est à la fois un support de transmission de connaissances et la conservation de ce qu’une société choisit de dire d’elle-même et un outil de socialisation. Quelle est l’image de soi et quelle est l’image de l’Autre que construisent les manuels ? Et, spécifiquement, quelles sont les représentations de l’islam que l’école produit ? De nombreux travaux scientifiques ont mis en évidence les constructions stéréo-typiques que les manuels scolaires contemporains destinés aux élèves continuent à construire Certes, le manuel n’est qu’un outil et il serait intéressant de voir comment les enseignants l’utilisent, se l’approprient, s’en inspirent, s’en désolidarisent parfois. Néanmoins, par-delà les pratiques pédagogiques et didactiques des professeurs, il est un instrument majeur qui contribue à normer les pratiques enseignantes. Les manuels destinés aux élèves et aux enseignants constituent donc un corpus intéressant pour saisir les représentations communes qu’ils véhiculent ; car ils participent, au-delà de leur rôle didactique, à la socialisation des élèves. C’est le travail de recherche de Sonia Mejri . Après un parcours d’historienne, elle  poursuit des recherches en sciences de l’éducation, en étant également professeure des écoles spécialisée. Sa thèse soutenue en 2019 porte sur « Les conceptions et les images de l’Islam et des Arabes dans les manuels scolaires d’histoire en France (1948-2008). La constitution d'une altérité stéréotypée.”

 

Sonia Mejri, pouvez-vous présenter en quelques mots votre objet  de recherche et vos principaux résultats?

 

Cette recherche se base sur l’un des éléments les plus durables, constants et universels dans le système scolaire : le manuel. La thèse développée soutient que l’enseignement de l’histoire de l’Islam des Arabes tel qu’il est conçu dans les manuels scolaires d’histoire en France, entre 1948 et 2008, constitue une image de l’Autre stéréotypée et que l’histoire véhiculée dans ces manuels présente une conception de l’altérité déformée et figée. Basée sur la combinaison de deux analyses et croisée à une grille de stéréotypie, cette étude apporte un regard différent sur la représentation de l’altérité dans les manuels.

 

En ce qui concerne les manuels et les programmes, j’ai pu noter une évolution générale de l’outil manuel. En effet, les manuels scolaires, leurs usages en classe, leurs rôles dans l'éducation de l'élève se sont considérablement modifiés au fil du temps. Les objectifs ont changé, de même que leurs concepteurs et que leurs conceptions. L’autonomie et le pouvoir d’influence des manuels scolaires sont à souligner. Ils montrent à la fois leur autonomie dans les savoirs dispensés et leur influence. Par ailleurs, et bien que le monde qui nous entoure connaisse des changements rapides et profonds, l’enseignement de l’histoire ne s’aligne pas sur le même temps historique. Parfois même, il recule et semble se trouver déstabilisé dans la tourmente des questions socialement vives.

 

En ce qui concerne la représentation de l’Islam et des Arabes stéréotypés, l’altérité est conçue de trois manières. Tout d’abord, elle représentée comme figée, confuse et simplifiée, notamment dans l’enseignement de l’histoire des peuples considérés comme étrangers, qu’ils vivent ou non en France. Ensuite, l’altérité est perçue comme un danger, comme une menace.

 

Remarquons également que l’Islam, en tant que fait religieux et en tant que religion associée au peuple arabe (les minorités arabes non-musulmanes ne sont quasiment pas évoquées), est perçu comme un danger pour différentes raisons selon les époques. Les critères élaborés pour analyser les manuels scolaires mettent en évidence que les auteurs semblent considérer l’islam comme une menace pour l’Occident (ou pour les musulmans eux-mêmes), de manière plus ou moins subtile. Enfin, l’altérité est conçue comme essentialisée et uniforme. Ces stéréotypes sont surtout présents dans la représentation de l'Islam en France.

 

Si la construction du vivre-ensemble est un objectif scolaire, comment les manuels peuvent-ils y contribuer ? Se réduisent-ils selon vous à diffuser des savoirs ?

 

De nombreuses études (Nasr, 2001 ; Mc Andrew & Oueslati, 2010 ; Costa-Lascoux & Choppin, 2011) et des rapports (Sellier, 2007 ; l’UNESCO, 2005 ; la HALDE, 2007) mettent en avant l’importance du rôle des manuels scolaires dans la reproduction des clichés, la persistance des stéréotypes et parfois du racisme sous des formes plus subtiles. Les résultats liés à ma recherche donnent des résultats similaires. Les relations entre la France et l’Islam sont très anciennes. L’histoire véhiculée dans les manuels scolaires met en avant les clivages et les extrêmes, renforçant une image stéréotypée de l’Autre ainsi que les croyances dans un conflit entre deux mondes.

 

Le manuel scolaire est source de savoirs, de connaissances et de représentations pour l’élève. Il est aussi le vecteur des compétences jugées nécessaires par la société. Le manuel a donc un rôle à jouer dans la contribution d’une vision plurielle de la société et dans des représentations plus diversifiées de l’Autre.

 

N’oublions pas que le manuel est aussi un outil influent et un support pour l’enseignant surtout lorsqu’il maîtrise peu le sujet. Même s’il est soumis à des programmes, il est très autonome dans les choix de contenus. Les auteurs peuvent donc prendre le temps (ce qui est rarement le cas) pour concevoir un outil représentant l’Autre tel qu’il est, et non tel qu’ils pensent qu’il est. Les choix d’iconographies et de textes peuvent mettre l’accent sur des représentations plus diversifiées et apporter un regard sur d’autres pans de l’histoire du monde arabo-musulman, tel que l’étude des grands penseurs musulmans du XIXe siècle, par exemple.

 

Les manuels doivent entreprendre une représentation plurielle de l’Autre, permettant aux futurs citoyens de faire face à leur propre culture, origine, religion et de s’ouvrir au monde interculturel présent tout autour d’eux. Cette réflexion, associée à d’autres disciplines, peut aider chaque élève à construire une identité plurielle et riche d’emprunts en se percevant comme alter. L’avantage de la laïcité est que les religions sont enseignées comme des faits historiques et des faits de civilisation, dans leur grande diversité. Les réinterprétations et les stéréotypes véhiculés dans les manuels scolaires laissent les enseignants seuls face aux questions socialement vives mais aussi face à un modèle uniforme de l’altérité : la femme voilée et soumise, le musulman intégriste et terroriste. Il est important de mettre à disposition des enseignants des outils permettant de développer chez les élèves l’esprit critique et la confrontation des points de vue.

 

A votre avis et même si cela dépasse le cadre de votre recherche, quels peuvent être les effets de ces stéréotypes sur la construction psychique et sociale des adolescents ?

 

L’école est ce lieu de partage des savoirs et de circulation des idées, actrice primordiale dans l’apprentissage du pluralisme, de la diversité, de l’acceptation des différences. Mais comment apprendre la diversité dans des écoles où plus de 80% des élèves sont français, de descendants étrangers, ou étrangers ? Si les jeunes restent dans un microcosme, l’école est d’autant plus importante qu’elle est la première ouverture au monde. Mais les adolescents ne peuvent pas tout apprendre dans les livres, un part importante s’apprend aussi en action, dans le quotidien. En favorisant la diversité et l’ambition, la construction du futur citoyen en sera favorisée.

 

Par ailleurs, les conséquences de ces stéréotypes peuvent avoir des effets néfastes, les premières victimes étant ces groupes essentialisés. Notons, de plus, que l’école n’est plus la seule source de l’apprentissage et de l’éducation. L’influence extérieure à l’école est importante : médias, réseaux sociaux, Internet. Ces protagonistes jouent un rôle important dans la constance des représentations stéréotypées. Enfin, le regard que l’Un porte sur l’Autre ne doit pas occulter la réciprocité dans une relation où les deux sont impliqués, la volonté partagée de se connaître vraiment et de s’accepter pour mieux vivre ensemble.

 

Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS

(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)

Université de Cergy-Pontoise

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 14 mars 2019.

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