Loi Blanquer : Le juste milieu penche pour le privé 

"In medio stat virtus". Voilà une formule que JM Blanquer reprend volontiers. Et il le fait le 14 février, dans cette 4ème journée de débat sur la loi Blanquer. Journée difficile puisque le ministre doit affronter des opposants remontés sur le financement des maternelles privées, puis sur l'accompagnement des enfants handicapés. En résumé de la journée : cadeaux du côté du privé, bourse serrée du côté des handicapés. Le "juste milieu" du ministre penche fortement...

 

Un cadeau royal au privé

Trois questions sont étudiées par l'Assemblée le 14 février : le financement des maternelles privées et ses conséquences pour les communes, le contrôle des enfants de 3 à 6 ans instruits à domicile, la mise en place de pôles de gestion des accompagnateurs d'enfants handicapés (PIAL). Point commun à ces trois sujets : pour la première fois la droite de l'assemblée et le ministre sont en désaccord frontal.

L'Assemblée aborde avec l'article 4 le point central de la loi Blanquer. Si la loi a déjà accepté l'idée de l'instruction obligatoire des enfants de 3 à 6 ans, cela concerne au final peu d'enfants (25 000). Mais cela change radicalement le statut des maternelles du privé sous contrat. Du coup leur financement par les communes devient obligatoire et elle doivent bénéficier des mêmes avantages que les maternelles du public.

C'est l'effet principal de la loi : permettre un transfert massif d'argent public vers l'école privée. La loi stipule que " L’État attribue à chaque commune les ressources correspondant à l’augmentation des dépenses obligatoires qu’elle a consenties en application des dispositions des articles L. 212-4, L. 212-5 et L. 442-5 du code de l’éducation au cours de l’année scolaire 2019-2020 par rapport à l’année scolaire précédente dans la limite de la part d’augmentation résultant directement de l’abaissement à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire".

L'instruction obligatoire à 3 ans est surtout un affichage puisque 98% des enfants concernés sont déjà scolarisés. Mais c'est un cadeau pour le privé. On estime que cette mesure coutera au total au moins 100 millions par an, peut-être 150, qui seront versés aux communes qui devront faire face à ces nouvelles dépenses de fonctionnement scolaires. Sur cette somme la moitié au moins correspondra à la prise en charge par les communes des écoles maternelles privées et ira aux écoles privées. En clair les communes devront rémunérer des Atsems dans les écoles privées comme dans le public. L'impact même de la loi sur ce point est probablement sous estimé car ce financement par l'argent public va permettre aux écoles privées de baisser leurs demandes aux familles et les rendre plus attractives pour toute l'offre primaire. Cela va créer un effet d'aubaine qui pourrait se traduire par une hausse encore plus importante des financements.

Mais toutes les communes ne seront pas a égalité devant l'obligation de financement. L’État devra compenser ces frais supplémentaires. Selon une décision du Conseil d’État, dont le Café avait rendu compte le 24 août, les communes qui ont donné leur accord à la conclusion d'un contrat d'association avec une maternelle privée ne seront pas aidées par l’État même si elles n'ont rien payé jusque là à l'école maternelle privée.  L’État n'aidera que les communes qui n'ont jamais donné d'accord à l'ouverture d 'une école maternelle privée. D'une certaine façon, les communes les plus favorables au privé sont pénalisées par une mesure globalement très favorable au privé !

Second problème pour les communes : elles doivent déjà faire face aux dédoublements des Ce1 Rep à la rentrée. "On ne pourra pas tout faire", argumente M Lagarde (UDI), d'autant que l'Etat a plafonné les dépenses de fonctionnement des communes. A droite, MM Reiss et Hetzel plaident contre "l'injustice " faite aux communes. Le mode de calcul pose aussi problème. Un amendement UDI (1138) est adopté contre l'avis du gouvernement. Il prévoit que le versement aux communes est recalculé chaque année. Après adoption le ministre exige un nouveau vote qui aura lieu à la fin des débats.

C'est le seul accroc arrivé au texte gouvernemental. L'Assemblée adopte cet article qui, pour la première fois depuis les années 1990, modifie l'équilibre entre public et privé au bénéfice de ce dernier.

 

Peines renforcées pour l'instruction à domicile

L'article suivant oppose nettement la droite et le gouvernement. Il introduit un contrôle renforcé des enfants de 3 à 6 ans instruits à domicile. Les Républicains et l'extrême droite plaident pour la liberté des familles. A gauche, G Pau Langevin veut un contrôle plus efficace, ce qui passe par des demandes d'autorisation préalable à l'instruction en famille et l'octroi à tous les enfants d'un numéro d'identification. "À défaut il y a des trous dans la raquette" : des enfants échapperont au contrôle et seront instruits clandestinement.

Le gouvernement ne va pas s'intéresser aux raquettes mais va renforcer les peines prévues. Un amendement gouvernemental (1112) prévoit que les fausses déclarations d'instruction à domicile soient punies d'un an de prison et 15 000€ d'amende. L'assemblée adopte un autre amendement de M Pupponi (826) punissant d'une amende de 7500€  les parents qui inscrivent leur enfant dans une école clandestine.

 

Les PIAL mis en place à la rentrée

Mais c'est sur le point suivant que le ministre va faire face à l'opposition la plus tenace. Par l'amendement 1058 le ministre veut généraliser les PIAL, des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, expérimentés depuis la rentrée 2018. "Ces pôles coordonneront les moyens humains dédiés à l’accompagnement des élèves en situation de handicap au sein des écoles et établissements de l’enseignement public et privé sous contrat". Il maintient aussi les AESH dans des contrats à durée déterminée de 6 ans.

Ces PIAL avaient été présentés au Sénat en 2018 par Philippe Thurat, sous directeur du budget de la Dgesco. Le problème du ministère c'est que le recrutement des AESH lui échappe puisque l'affectation d'un accompagnateur est décidée par les MDPH sur rapport des personnels de santé. Le ministère veut reprendre en main cette gestion et limiter la croissance du nombre de ces accompagnateurs. Selon P Thurat, un rapport non publié de l'IGAENR envisage une procédure d'accord préalable de l'administration de l'éducation nationale à l'avis de la MDPH. En attendant le ministère veut revoir la gestion des accompagnateurs en passant d'un gestion basée sur les élèves à une gestion par établissement. Chaque établissement, ou groupe d'établissements, aura un volume d'emplois qu'il affectera selon les besoins. Ce sont les PIAL. L'objectif est de limiter les affectations personnelles des AESH au profit d'affectations collectives. Et ainsi réduire leur nombre.

Ce projet rencontre une vie opposition sur le terrain. Un collectif des AESH  dénonce "une logique comptable" et "la destruction du projet d'école inclusive". Pour le collectif, le transfert de la gestion des AESH aux PIAL aboutit au transfert de la réalisation du projet personnel de scolarisation (PPS) de la MDPH à une équipe éducative non formée au diagnostic.

La mesure est aussi très critiquée par les syndicats. La Fsu souligne "les fortes inquiétudes" générées par les PIAL chez les Aesh et les familles. "Une volonté de rationaliser à tout prix le temps de travail des AESH plutôt que d'améliorer leur situation ou celle des élèves qu'ils accompagnent". Pour le Se-Unsa , "cette organisation ne doit pas remettre en cause le passage par la notification MDPH, garantie d'une distribution juste des aménagements et des moyens d'accompagnement".

Le 14 février, JM Blanquer doit faire face à deux adversaires. À gauche, C Bouillon avait déposé une proposition de loi qui a été totalement vidée de signification par la majorité LREM. Elle prévoyait des garanties pour l'attribution d'un accompagnateur à chaque rentrée  et un statut meilleur pour les AESH. À droite, A Pradié a vécu la même aventure : une proposition de loi rejetée par la majorité. Il a le don pour faire de l'humour aux dépens du ministre et dénoncer certaines attitudes suffisantes.

Des amendements déposés par les Républicains et par La France Insoumise, dénoncent le passage de la gestion individuelle à une gestion mutualisée des accompagnateurs et  visent la suppression des PIAL. Ils sont rejetés. "On est à la fin du suspense... Je vous ai entendu répéter que des mesures fortes allaient arriver. Je pensais que vous ne pourriez pas jouer avec le feu avce cette brutalité. Vous n'allez pas vous en sortir avec si peu", prévient A Pradié en s'adressant au ministre.

Celui-ci plaide sur les efforts faits et dénonce l'attitude de l'opposition. "Depuis 2005 il y avait consensus". Il souligne la hausse du budget consacré au handicap alors qu'avant lui "c'était zéro".  Cela fait bondir C Bouillon qui rappelle la loi de 2013, le PLF 2014 avec la création des AESH, la bascule en 2016 des AVS vers les AESH, les créations de postes. Il rappelle que "E Philippe n'a voté aucune de ces mesures". Au final, la majorité n'adopte que l'amendement gouvernemental et des amendements de rédaction de l'opposition. Un amendement 946 de la majorité impose l'inscription du principe de l'école inclusive dans le règlement intérieur des écoles et établissements.

Au bout de la 4ème journée de débat sur la loi Blanquer , l'Assemblée arrive juste à l'article 6 d'une loi qui en compte 25. Seulement un quart des amendements a été étudié. Il reste à étudier notamment l'établissement international, l'école du socle et la suppression du Cnesco. Les inégalités et l'autoritarisme seront encore au menu.


François Jarraud


Loi Blanquer  : notre Dossier

Les PIAL présentés au Sénat en 2018



Par fjarraud , le vendredi 15 février 2019.

Commentaires

  • prognon, le 19/04/2019 à 18:30
    Bonsoir,
    Etant défenseur de l'enseignement public et enseignant dans le privé sous contrat, je suis toujours surpris que 60 ans après la promulgation de la loi Debré, certains soient encore prêts à critiquer le privé dès qu'une réforme est entreprise. Analyser les problèmes de l'éducation nationale sous le seul prisme d'un privé intrinsèquement privilégié et d'un public fragilisé par les errements du système et à fortiori victime. Mais de qui ? Si ce n'est aujourd'hui d'un Nosferatu prompt à vampiriser notre école démocratique, laïque au demeurant élitiste et à réformer. Alors, oser affirmer avec aplomb que la loi Blanquer est un "cadeau royal au privé" est la marque d'une désinformation primaire et d'une ignorance coupable. Notre école et notre collège de la banlieue toulousaine dont les locaux ressemblent plus à un décor de la bataille de Raqqa qu'à un local sensé accueillir des enfants et adolescents - je reconnais user là de la même désinvolture que M. Jarraud - ne correspond en rien à ce que votre article laisse supposer dans un contexte où les excès sémantiques succèdent aux interprétations primaires et complotistes. Au demeurant, je reconnais en tant qu'enseignant et représentant syndical, que nous sommes dans une situation critique aussi bien pour le privé que le public avec un ministère qui se gargarise de préceptes néolibéraux et totalement sourd aux revendications des acteurs de l'éducation nationale. Bonnes vacances, malgré tout.
    N. Prognon
  • ouaips, le 15/02/2019 à 18:08

    Le terme de « cadeau » au privé me semble injuste et résulte d’une conception de l’instruction uniquement basée sur la possibilité républicaine parfaitement légitime d’inscrire gratuitement les enfants dans une école publique. De ce point de vue est passé sous silence la liberté du choix du mode d’instruction, alors qu’elle est également garantie par notre république.

    La loi Debré qui permet à l’enseignement privé de s’associer par contrat au service d’enseignement de la nation a été jusque là largement bafouée dans son principe, car elle prévoyait la participation de la commune a égalité entre les dépenses de fonctionnement de l’école publique et celles de l’école privée (hors investissement et dépenses liées au caractère propre), principe qui s’est avéré non respecté dans de très nombreuses situations, les familles des écoles privées supportant entièrement le fonctionnement des classes maternelles et l’inscription des élèves résidant en dehors de la commune.

    Je considère donc que cette loi Blanquer rétablit un peu mieux le principe de la loi Debré et ne peut donc être présenté comme un cadeau.

     La difficulté réside plutôt selon moi dans l’iniquité inévitable de la participation de l’État à ces "nouveaux" frais : si l’État avait opté pour une subvention correspondant à l’ensemble des élèves de 3 à 6 ans, les communes qui participaient déjà auraient bénéficié d’un confort « inéquitable » par rapport aux autres, et vice-versa si l’État ne complète les budgets que de celles qui ne participaient pas auparavant… Donc il n’y a pas de solution idéale, et celle qui est retenue est finalement celle qui coûtera le moins cher à l’État, ce qui ne m’étonne pas tellement...


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