Bien-être : Pratiquer le yoga pour mieux vivre l’école ? 

Face aux  souffrances ordinaires,  au  stress, aux tensions et  pressions que vivent les élèves  au quotidien, le yoga pratiqué en contexte scolaire peut-il être un appui pour mieux vivre l’école ? L'Ecole est une institution qui a une place particulière dans  la construction psychique et sociale des sujets  : elle est souvent le premier lieu de séparation avec la famille, l'un des premiers lieux de socialisation, d’apprentissage de savoirs,  mais aussi des normes et des valeurs de sa société, le premier lieu du rapport à l’altérité, le premier lieu de compétition et de solidarité, l’un des premiers lieux de souffrance parfois. L’éducation est affaire de tripes, d’affects, de relations humaines, de plaisir, de souffrances, d’ennui, de rapport à l’Autre, de rencontre à l’autre sexe, à l’autre âge, à l’autre social, à l’autre culturel, à la différence. Ce passage marquera notre personnalité...

 

Avec la massification des collèges et des lycées, la légitimité des valeurs – entre autres l’égalité des chances et la méritocratie -  qui portaient du système a changé, remplacée par une légitimité en termes d’efficacité. Dès lors, le sens des études n’est plus donné, enseignants et élèves ont à construire un sens aux apprentissages. Dans un contexte de massification et de compétition scolaires, le sujet responsable est sommé de réussir et ses échecs sont supposés renvoyés  à ses qualités intrinsèques. L'école unique fait de chacun le responsable de sa destinée. En outre, le succès professionnel dépend aujourd'hui – et en France plus qu’ailleurs- plus fortement du succès scolaire, et celui-ci semble dû exclusivement aux qualités individuelles de l'intéressé. Jamais l’angoisse scolaire des élèves comme des familles n’a été aussi forte,  quand le destin social est si largement arrimé au  parcours scolaire.

 

Zorola Buisson enseigne la technologie dans un collège de la région parisienne.  Véronique Mainguy enseigne l’histoire-géographie à l’ESPE de Versailles. Elle est également formatrice au RYE (Recherche du yoga en éducation). Toutes deux pratiquent le yoga à l'école.

 

Quels dispositifs avez-vous pensés à destination des élèves ? Depuis quand les mettez-vous en oeuvre?  Auprès de quels élèves ?

 

Pratiquant moi-même le yoga depuis plus de dix ans, j’en ai ressenti tous les bienfaits sur un plan personnel et professionnel. J’ai commencé par introduire en classe des exercices simples de respiration, en début de cours ou avant une évaluation. Voilà comment cela se passe : les élèves entrent en classe et s’installent, le dos droit et les mains sur le ventre, de part et d’autre du nombril. Je les invite à fermer les yeux et à porter leur attention sous leurs mains. « A l’inspiration, le ventre se gonfle doucement, tranquillement, comme un ballon. A l’expiration, le ventre reprend sa place en se dégonflant....Vous faites ainsi quelques respirations en gardant bien votre attention sous vos mains pour sentir ce qui se passe ». C’est un rituel simple, court - il ne dure que quelques minutes - et efficace pour amener le calme et introduire une atmosphère détendue et plus propice aux apprentissages. A mesure que l’année avance, je leur demande d’attacher un peu plus attention à l’expiration, qui deviendra progressivement  plus fluide. C’est en effet la phase d’expiration qui renforce le système parasympathique et donc apaise.

 

L’accueil positif de ces premiers exercices en classe m’a confortée à poursuivre dans cette voie. Aussi ai-je décidé de créer, en accord avec la direction, un atelier de techniques de yoga et de relaxation au sein de l’établissement.

 

Au départ, j’ai proposé cet atelier aux élèves ayant un profil fragile et risquant de décrocher. Mais au fur à mesure des années, j’ai réalisé que même de très bons élèves souffraient aussi du stress. Pour cette raison, cet atelier a été ouvert à tous les élèves volontaires. Aujourd’hui, je le propose aux élèves de la 6ème à la 3ème ainsi que dans le cadre de la liaison CM2-6ème

 

L’atelier a pour objectifs d’aider les élèves à calmer leur stress, à se mettre à l’écoute de leur corps et de leurs émotions, à apprivoiser leurs craintes. Il s’agit de les rassurer mais aussi de les amener à trouver leurs propres solutions en s’appropriant des exercices. Il s’agit aussi de les sensibiliser à une bonne hygiène de vie. J’y propose des postures en mouvement, des exercices d’attention faisant appel aux 5 sens, des temps de respiration et de relaxation, des entrainements à la concentration, des pratiques individuelles et collectives. Et oui, le yoga, ce n’est pas que des postures ! Les exercices sont pratiques, simples, ludiques, selon une méthode que j’ai apprise en suivant la formation du RYE *, formation qui a par ailleurs légitimé ma démarche au sein de l’établissement.

 

Selon votre expérience,  quels en sont les effets ?

 

Tout d’abord, les élèves sont volontaires et veulent trouver des solutions pratiques, simples et efficaces pour gérer leur stress. Cette démarche étant personnelle et non imposée par les adultes, ils sont prêts à l’accueillir.

 

En classe, je pratique avec eux et ceux qui ne sont pas « partants » ont le droit de ne pas participer, à condition bien sûr de ne pas déranger. Ils sont rares  et très rapidement ils se joignent au groupe. C’est d’ailleurs souvent ces élèves-là qui ont besoin de ces pratiques et qui en profitent le plus ensuite.

 

Tous apprécient le bien-être éprouvé lors des séances en atelier, qui est pour eux un moment de pause très bénéfique et très précieux, comme une parenthèse qui contraste avec le rythme soutenu, imposé aux collégiens. « Calme, « détendu » et « bien » sont les mots qui reviennent le plus souvent dans leurs témoignages.  Les bienfaits de ce dispositif agissent directement sur leur quotidien : ils dorment mieux par exemple, ce que confirment les parents. Mes collègues enseignants rendent compte d’un investissement croissant en classe, d’une meilleure ouverture aux autres, chez les élèves qui suivent l’atelier, et surtout si cela fait plus d’une année.   J’ai observé en effet une progression chez les élèves qui pratiquent depuis la 6ème : ils ciblent plus précisément leur objectif en venant à l’atelier, sont mieux capables  d’identifier leur état émotionnel, et même de mettre systématiquement en pratique les outils dans les situations du quotidien, ce qui révèle leur incroyable capacité à transférer ces techniques.

 

En classe, le temps de pratique est évidemment limité mais pourtant, je constate qu’en cas de tensions, au retour de récréation par exemple, les quelques minutes de prise de conscience de la respiration permettent au  calme de revenir très vite. De nombreux élèves reprennent seuls cette technique avant les contrôles. Enfin, l’intégration de ce type de pratiques – il y en a bien d’autres - dans les temps de cours améliore également le climat de mes classes.

 

Enfin, cela a des effets aussi très positifs sur moi-même. Ma voix est mieux posée, plus grave, je me sens plus disponible et sereine pour démarrer mon cours. D’ailleurs, des enseignants m’ont demandé de leur  transmettre quelques exercices pour le début de leurs cours. Ce que je fais grâce à l’accord du principal de mon collège, qui soutient ma démarche.

 

Est-il souhaitable de former les professionnels de l’éducation à utiliser ces dispositifs ? 

 

Les enseignants sont recrutés avant tout sur leurs compétences intellectuelles. Durant leur formation,  la prise en compte des dimensions physique et émotionnelle du métier est encore aujourd’hui souvent optionnelle et trop peu importante.  Bien que le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation mette l’accent sur l’accompagnement des élèves et cite abondamment les verbes « communiquer, participer, contribuer, collaborer, coopérer », le corps, la posture, la voix de l’enseignant ne sont jamais nommés. Pourtant, les préoccupations des débutants  concernent fréquemment la gestion de la  fatigue (notamment vocale), l’adaptation de la communication avec leurs élèves, le positionnement à construire  pour un exercice serein de l’autorité.

 

Le yoga est une discipline qui prend en compte la personne toute entière. Recherche d’une posture corporelle équilibrée,  expérimentation d’une respiration fluide, apprentissage de techniques de relaxation simples, toutes ces démarches très concrètes que proposent le yoga, pourraient composer un formidable outil complémentaire dans la construction d’une posture professionnelle. Enfin, la connaissance des mécanismes du stress et des émotions, l’attention à l’autre sont au cœur du yoga, développe sont indispensables pour travailler la relation à l’élève dans sa dimension transversale... et incontournable !

 

Existe-t-il des formations et est-il envisageable de les généraliser ?

 

Oui, il existe déjà des formations. Celles que propose l’association RYE* ont précisément pour objectif de former les personnels éducatifs à l’utilisation de techniques de yoga adaptées au milieu scolaire, de la maternelle à l’université. Formatrice au sein de cette association depuis plus de 20 ans, je constate que les demandes d’intervention sont en forte croissance. Elles émanent souvent de chefs d’établissement mais également des ateliers Canopé ou encore des inspections académiques et des cellules de formation continue des rectorats.  Dans certaines ESPE, les jeunes enseignants peuvent bénéficier d’une initiation au yoga dans l’éducation. Elle s’adresse d’abord à eux, l’expérience vécue étant indispensable, mais on remarque que les enseignants qui travaillent sur leur propre corps et leur propre voix sont très nombreux à souhaiter ensuite  pratiquer avec leurs élèves.

 

Le principal problème est, comme souvent, le manque de temps or toute formation axée sur le corps nécessite une temporalité étalée sur plusieurs semaines afin que la pratique soit véritablement intégrée. Mais il me semble possible d’élaborer des sessions à distance permettant d’accompagner les stagiaires dans leur pratique en dehors des temps de présentiel davantage axés sur l’apprentissage des exercices et l’échange d’expérience.

 

Des formations à un yoga adapté au milieu scolaire, évidemment laïc, seraient donc tout à fait généralisables. Un signal fort a d’ailleurs été le renouvellement de l'agrément ministériel en 2018.

 

Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS

(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs). Université de Cergy-Pontoise

 

Recherche du Yoga dans l’Education

 

 

Par fjarraud , le jeudi 31 janvier 2019.

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