L’architecture scolaire, outil de bien-être ?  

L’espace scolaire n’est jamais neutre. Il signe les orientations pédagogiques et les choix politiques d’une époque. L’architecture scolaire  a historiquement eu la fonction de rendre manifestes des valeurs collectives.  Le type d’établissement caractéristique de notre forme scolaire classique est concomitant de la construction des États-nations et de la volonté hygiéniste de construire d’ « Un » savoir pour « Une » Nation. Le bâtiment scolaire y devenait  éducateur. Aujourd’hui, la forme scolaire est questionnée de toutes parts par des mutations qui en affectent autant la manière de penser, d’organiser et de dispenser les savoirs que la fonction sociale et politique. A une société liquide répond une verticalité de la forme scolaire solide que le double tournant numérique et global que nous vivons n’affecte pas encore.  L’architecture scolaire  peut-elle devenir un outil de bien-être ?  Cela  suppose une nouvelle grammaire  spatiale.  Pour penser une « architecture du bonheur »,  il faut saisir ce qu’en pensent les usagers  dont l’avis est très rarement pris en compte dans les appels d’offre  destinés à construire des établissements scolaires.  Dans leur travail c’est celui des élèves que Thibaut Hébert (Espe de Lille) et Éric Dugas (Espe Aquitaine) ont  recueilli observé  à travers une enquête menée dans différents collèges pour penser  quels espaces scolaires sont ressentis par les élèves comme les moins et les plus sécurisants. 

 

Comment penser les liens entre « architecture », « espaces scolaires » et « bien-être » ?

 

Les chercheurs en psychologie sociale de l’environnement ont démontré dans le cadre urbain les liens entre l’architecture et la sécurité, les déviances, le stress et plus globalement le « bien-être ». Il a ainsi été précisé les facteurs architecturaux d’influence négative afin d’infléchir les programmes d’urbanisme. Prenons un exemple :  les travaux liés à l’influence du bruit au cours d’une activité professionnelle, sur la qualité des relations avec autrui  ou auprès des enfants  ont permis des avancées significatives sur l’utilisation de matériaux renforçant le confort acoustique. La prise en compte des conséquences de l’entassement et de la densité sur les sentiments d’insécurité et de liberté  a contribué aussi à modifier l’approche des logements urbains.

 

Par extension, il s’agit d’aborder la relation de l’individu à son environnement dans le cadre scolaire. C’est d’autant plus important que certaines recherches ont révélé que l’architecture scolaire et l’aménagement des espaces impactaient le bien-être des élèves, leur engagement dans les apprentissages  et leur réussite éducative. En fin de compte, il ne s’agit plus de considérer les lieux dans lesquels nous vivons, apprenons, travaillons, comme de simples décors mais plutôt comme un levier au service du bien-être. Autrement dit, la manière dont l’élève interagit avec son environnement scolaire conditionne sa qualité de vie. Ainsi faut-il − à partir des constats de mal-être, de stress (etc.) recueillis dans les recherches − viser le confort, la réussite éducative et le bien-être des élèves dans le cadre d’une politique éducative volontariste. Pour ce faire, il est préférable de légitimer de prime abord la parole et ressentis de ceux qui vivent (dans) ces espaces au quotidien, et co-construire avec les différents acteurs concernés l’école de demain.

 

Dans vos recherches, comment l’environnement est-il perçu par les élèves ?

 

De manière générale, les élèves connotent positivement leur établissement. Les collèges sont plutôt appréciés sur le plan bâtimentaire et pour les répondants il existe des espaces harmonieux l’intérieur de chacun d’entre eux. Ces espaces sont même davantage valorisés que les lieux disharmonieux. Ces derniers nous rappellent toutefois que certains endroits, tels que la cour de récréation et les espaces interstitiels sont souvent laissés pour compte par les architectes et par les politiques éducatives alors qu’ils sont ressentis par les élèves comme anxiogènes.

 

Nous avons également observé des différences significatives en fonction du genre et de l’âge des élèves. Les plus jeunes filles ont une image significativement plus positive du collège et les garçons les plus âgés sont les plus critiques à l’égard de leur bâtiment scolaire. Enfin, les différences constatées entre trois collèges récemment construits ont fait émergé particulièrement des facteurs architecturaux d’influence négative du bien-être comme le bruit, l’absence de couleur et de lumière naturelle. Pour illustration, deux collèges sur les trois analysés sont considérés par leurs occupants comme particulièrement bruyant. Ce constat interroge forcément puisque nous savons par exemple que les élèves qui se trouvent dans des écoles bruyantes s’avèrent plus facilement distraits par des bruits de fond, abandonnent plus rapidement que les autres élèves les tâches complexes, éprouvent des difficultés d’apprentissage de la lecture et échouent significativement plus souvent à des problèmes de mathématiques.

 

Enfin, le ressenti des élèves a fait émerger la dialectique « école sanctuaire » / « espaces de liberté ». En effet, quand on interroge les élèves en leur présentant la paire d’adjectifs « fermé / ouvert », les résultats révèlent des réponses contrastées. La question du malentendu entre des adultes soucieux d’instaurer des espaces « régis par des critères d’organisation et de sécurité » et des enfants en attente d’espace de liberté et d’échanges mérite donc d’être prise en considération dans les projets de construction d’établissements scolaires.

 

En quoi l’environnement spatial des établissements scolaires pourrait-il être un facteur de bien-être des élèves ?

 

Ce que nos recherches ont montré aussi, c’est que la perception des élèves à l’égard de leur bâtiment scolaire est fortement corrélée aux émotions éveillées par ce lieu. En quelque sorte, « une évaluation significative de l’environnement active une réaction émotionnelle appropriée au contexte ». C’est pourquoi, il apparait primordial de penser l’environnement spatial afin qu’il génère du bien-être chez les élèves. A fortiori au regard de la classification des différents types d’établissements scolaires élaborée par Rigolon (2010).

 

Car, à partir de cette typologie, nous constatons que les collèges français sont très majoritairement construits sur le modèle « type cour » ; c’est-à-dire avec de grands espaces extérieurs et beaucoup de lieux de circulation. Il s’agit du schéma classique d’établissements avec des couloirs alimentant des deux côtés des salles de classe et une vaste cour de récréation « bitumée » à l’extérieur des bâtiments. Si cette organisation se veut rassurante et facile à surveiller, il n’en demeure pas moins qu’elle correspond à un modèle éducatif du 20è siècle.

 

Nous pensons donc qu’il faille adapter notre modèle architectural aux enjeux éducatif du 21è siècle. Pris dans une approche systémique, le bâtiment scolaire se doit d’être au service d’une mise en jeu pédagogique propice aux apprentissages et au bien-être des élèves comme l’a déjà effectué la Finlande, qui plus est, véritable référence aux révélateurs PISA. Il s’agirait dès lors de créer des espaces favorisant les interactions, le développement de l’estime de soi, de l’empathie, de la créativité ou la valorisation de la coopération entre les élèves. Et pour rassurer certains, ce contexte ne nuit pas aux apprentissages et à la réussite scolaire/éducative, loin s’en faut. Cela constitue de véritables enjeux pour nos futurs élèves : du bien-être pour un bien-devenir…

 

Par Béatrice Mabilon-Bonfils

 

Directrice du laboratoire BONHEURS

(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs), Université de Cergy-Pontoise

 

Bibliographie :

Hébert, T. (à paraître). La sécurité dans les établissements de l’enseignement secondaire sous le prisme de l’architecture et l’aménagement des espaces – La recherche en éducation.

Vigne, M., Hébert, T. (2018). L’approche spatiale des jeux dangereux à l’école primaire – Éducation, Santé et Sociétés – Vol 4 – n°2 – [en ligne].

Hébert, T. (2018). Comment ça va à l’école ? – Les cahiers pédagogiques – Hors Série numérique « Espaces et architectures scolaires » - n°48 – pp. 28-30.

Dugas, E (dir, 2018). Les violences scolaires d’aujourd’hui en question. Regards croisés et altérités. L’harmattan, coll. Mouvements des savoirs

Dugas, E., Ferréol, G. (Dir., 2015). Oser l’autre. Altérités et éducabilité dans la France contemporaine. Bruxelles, Éd. EME-InterCommunication.

Dugas, E. (2011). L’homme systémique. Nancy, Presses Universitaires de Nancy, collection épistémologie du corps.

Hébert, T., Dugas, E. (2017). Quels espaces scolaires pour le bien-être relationnel ? Enquête sur le ressenti des élèves – Education & et socialisation - [en ligne]

Dugas, E., Hébert, T. (2013). Quels types de victimes potentielles sont privilégiés à l’école ? – Recherches et Educations - 9 – pp. 63-80.

 

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Par fjarraud , le jeudi 24 janvier 2019.

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