Le film de la semaine : « Yao » de Philippe Godeau 

Pour la première fois au cinéma, Omar Sy, grand acteur populaire, depuis le succès colossal de « Intouchables » en 2012 et personnalité préférée des Français, nous livre une part intime de sa vie par le biais de la fiction. Grâce à la complicité créatrice de Philippe Godeau-coproducteur, coscénariste avec Agnès de Sacy et réalisateur de « Yoa »-, le comédien campe un personnage qui lui ressemble sacrément. A la faveur d’un voyage à Dakar dédié à la promotion de son dernier livre, Seydou Tall, acteur célèbre, de retour dans son pays natal, fait la connaissance de Yao, un jeune fan de 13 ans, venu de loin, en cachette de ses parents, à la rencontre de son héros. Impressionné par le caractère bien trempé de l’enfant, Tall bouleverse son emploi du temps jusqu’à entreprendre de ramener le petit fugueur à son village. Sur les routes du Sénégal, au fil des incidents mécaniques et des rencontres fortuites, l’équipée impromptue se transforme peu à peu en retour aux sources et en voyage initiatique. Une expérience fondatrice, impulsée par Yao, le gamin sans peur, attiré par la France et les livres, qui conduit son idole (et l’acteur que nous aimons) à apprivoiser la terre de ses ancêtres. « Yao », le film de Philippe Godeau, permet ainsi au comédien français Omar Sy d’écrire une nouvelle page de son histoire personnelle et artistique et de nous l’offrir en partage.

 

A Dakar, star en visite éclair et jeune fan déterminé

 

Comme la star pressée en visite promotionnelle pour la parution de son dernier ouvrage (autobiographique,) dès la descente d’avion, à bord d’un véhicule luxueux dans les rues de Dakar, nous sommes frappés par un événement, inhabituel pour le passager, quotidien pour les habitants de la capitale. C’est l’heure de la prière et des musulmans assemblés prient, genoux au sol, face contre terre, ensemble en pleine rue, provoquant un embouteillage gigantesque, paisiblement accepté par les riverains. Seytout Tall (Omar Sy), quant à lui, doit se soumettre à ce ralentissement contraint de son trépidant emploi du temps. Contrarié par l’absence de son jeune fils qui devait l’accompagner (malade, ce dernier est resté à Paris auprès de sa maman, une femme dont Tall est en train de se séparer), il est cependant pris dans le tourbillon d’une célébration ‘officielle’ et l’enchaînement de rencontres encadrées avec ses nombreux admirateurs.

 

Avec une longueur d’avance sur le héros du grand écran ici fêté, nous suivons le jeune Yao (Lionel Basse), détenteur d’un livre endommagé conservé comme une précieuse relique, dans les préparatifs d’un départ de son village au nord du Sénégal. A l’insu de ses parents, le gamin est déterminé à franchir par tous les moyens de transport les centaines de kilomètres le séparant de la capitale pour aller à la rencontre de son idole.

 

La vedette en pleine célébration accueille d’abord avec une bienveillance distraite et une légère condescendance le jeune obstiné (lequel a réussi à retenir son attention). De fil en aiguille, le petit admirateur à la curiosité insatiable suscite son intérêt, l’intrigue, le touche. De l’accompagnement proposé vers l’arrêt d’un bus supposé transporter l’enfant jusqu’à son village natal, Tall décide finalement de le ramener lui-même à destination. Coup de tête ou coup de cœur, la décision l’entraîne sur des routes inexplorées, à travers des paysages impressionnants, comme autant de pistes insoupçonnées vers son passé. En compagnie d’un petit guide malicieux et plein de sagesse.

 

Les aventuriers du Sénégal retrouvé

 

Détaché des contraintes (et des attributs) inhérentes à son statut, la ‘vedette’ et le petit villageois  se retrouvent jetés ensemble sur des routes rocailleuses à bord de véhicules de fortune, à la merci du bon vouloir des habitants entre assistance intéressée et petite arnaque.  A ce jeu-là, Yao paraît beaucoup plus taillé pour la course que l’adulte protecteur. Tall en effet a bien du mal à se libérer complètement de ses obligations premières. Il reste obsédé par les délais à respecter pour ne pas rater l’avion du retour pour la France. De pannes impromptues en escales consenties, d’une liaison amoureuse avec Gloria (Fatoumata Diawara) jusqu’au lâcher-prise dans le chant et la danse en passant par la communication spirituelle avec Tanam (Germaine Acogny) et la prière aux ancêtres au bord du fleuve,  notre héros se soumet avec humilité et plaisir aux rythmes et aux modes de vie du Sénégal, le pays de Yao.

 

Arrivé comme un ‘bounty’ (selon le qualificatif de Yao) sur le sol africain, autrement dit associé à l’image d’un ‘Blanc’ au pays des Noirs, l’aventurier malgré lui, cornaqué par un gamin intrépide, se rapproche progressivement de ses origines et fait sienne la terre des siens. Dans le même temps long, suivant le lent balancement suggéré par la composition musicale de M  (instruments traditionnels africains et guitare électrique), la ‘célébrité’ se dépouille de son aura, tisse des liens d’affection et de respect mutuel avec son jeune éclaireur. Une relation inédite, enrichie par ce voyage intime au cœur du Sénégal, laquelle va lui permettre d’envisager la paternité et la transmission à son propre fils retrouvé d’une toute autre façon.

A travers cette fable  poétique et réaliste, à la frontière d’une vision documentaire du Sénégal, filmé comme un pays à la fois étrange et familier, « Yao » de Philippe Godeau nous propose en filigrane le portrait généreux d’un grand comédien français d’origine sénégalaise, aux antipodes des assignations identitaires.

 

Samra Bonvoisin

« Yao », un film de Philippe Godeau-sortie le 23 janvier 2019

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 23 janvier 2019.

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