Bien-être et éducation : Des ateliers biographiques à l’école  

Notre forme scolaire est pensée pour la « socialisation méthodique de la jeune génération » au travers d’une discipline, de règles et contraintes, perpétuant un ordre social, et édifiée sur le modèle de la sanctuarisation du savoir, de la séparation, de la répression du « naturel ». Ce modèle scolaire repose sur la promotion d’un individu rationnel par la « transmission » de savoirs scolaires, et par le déni des affects dans le lieu scolaire. Pourtant, nous sommes tous des ex-élèves, et les traces de ce passé, que nous ayons été excellents, bons, médiocres ou mauvais élèves, affleurent souvent derrière nos opinions péremptoires sur « l’institution scolaire ». L’éducation est affaire de tripes, d’affects, de relations humaines, de plaisir, de souffrances, d’ennui, de rapport à l’Autre, de rencontres à l’autre sexe, à l’autre age, à l‘autre social, à l’autre culturel, à la différence. Ce passage marquera notre personnalité. Beaucoup de rencontres significatives auront lieu pendant la scolarité, qu’il s’agisse de rencontres avec des personnes, des savoirs, des œuvres ou des expériences. Anne Dizerbo chercheure en sciences de l’éducation et professeure propose des ateliers biographiques, comme lieux apprenants autant que comme modalités de « pouvoir d’agir » des élèves.

 

Où, quand et comment ont été mis en œuvre les ateliers biographiques?

 

 Les ateliers ont concerné des élèves de 4ème, niveau correspondant encore à l’époque (2009) à un premier palier d’orientation de choix puisqu’il pouvait alors conduire à quitter la filière générale. Ils ont d’abord concerné une classe dite « expérimentale » qui réunissait 16 élèves en situation de grande difficulté scolaire. Le principal objectif de cette classe, dont j’étais professeur principal et dans laquelle j’enseignais le français, était de développer la confiance des élèves en eux et en l’école alors que la plupart avait connu en 5ème des périodes d’absentéisme, de découragement ou de révolte. Les élèves s’étaient regroupés dans cette 4ème par le jeu d’affinités variables mais certains restaient isolés et globalement leur cohabitation se vivait dans des tensions importantes qui faisaient obstacle aux apprentissages. Il était important de construire un espace de travail plus solidaire.

 

Les ateliers ont été reconduits les deux années suivantes avec d’autres groupes d’élèves connaissant des difficultés dans les apprentissages et/ou supportant mal les contraintes scolaires, ou avec des classes plus hétérogènes en termes de niveau scolaire, de comportement ou d’origine sociale et culturelle.

 

Quels  en étaient la visée , le déroulement, le cadre théorique ?

 

Les ateliers ont été mis en œuvre dans le cadre d’une recherche biographique en éducation (Delory-Momberger, 2014). Ils prenaient donc appui sur la mise en récit de l’expérience des élèves, reconnaissant leur expertise et les invitant à adopter un rôle actif dans la production de connaissances sur la manière ils construisent des figures d’élève et s’approprient leur parcours scolaire et d’orientation. Ces ateliers s’inscrivaient dans une perspective émancipatrice et visaient à développer le pouvoir d’agir des élèves pour éviter qu’ils ne soient passivement inscrits dans un parcours, assignés à obtenir une qualification dans un rapport objectivant au savoir, au risque d’un décrochage et d’un rapport conflictuel durable à la formation.

 

Visant la mise en sens des expériences scolaires dans l’élaboration d’une histoire adressée à d’autres parfois pour la première fois, les ateliers invitaient à répondre à la proposition suivante : « Raconte ce que tu veux de ton parcours scolaire et dis-nous comment tu en envisages la suite ». Ils s’organisaient en plusieurs étapes :

-          un entretien collectif, sur le temps d’une matinée banalisée

-          l’écriture d’un récit destiné à l’ensemble du groupe

-          un entretien individuel 

Entendre l’histoire de chacun, construire son récit pour les autres passait par l’élaboration collective d’un cadre éthique (liberté de participation, confidentialité, respect mutuel) qui permettait de se reconnaître comme membre d’une communauté et d’y exposer sa singularité en sécurité.

 

Comment appréhendez-vous les résultats de ces dispositifs ? En quoi participent-ils selon vous du bien-être des élèves ?

 

Les ateliers ont d’abord été l’occasion d’exprimer une souffrance qui apparaissait jusque-là comme « tabou » et de s’en libérer (effet cathartique) :

Adrien : Ben moi, ça m’a permis de dire mon parcours scolaire parce que c’est des choses que j’avais jamais dit auparavant, donc… ça m’a permis de lâcher […] alors je gardais tout ça pour moi et… mais je le disais à personne, alors à force …, ça s’accumule alors voilà, je l’ai dit, je l’ai dit. Ça va mieux quand même…

 

En construisant un récit recevable par les autres élèves en même temps que par l’enseignante, les ateliers ont aussi permis de construire une figure d’élève cohérente (effet structurant) quand ils produisaient jusque-là des figures d’élève de circonstance témoignant d’une forte dissociation (ex : cancre avec les camarades, désireux de progresser avec l’enseignant). En confrontant le récit de leur vécu avec celui des autres, les élèves ont construit un savoir d’expérience (effet cognitif) leur permettant d’entrer dans un rapport plus lucide et plus stratège, mais aussi plus épanouissant, à leur scolarité et leur orientation, en développant une meilleure estime d’eux-mêmes (effet énergétique) :

Adriana : …avant, je croyais que c’était moi qui était nulle. Mais en écoutant tout le monde et puis en réfléchissant, tout ça, c’que j’ai compris c’est qu’en fait, c’est pas que moi. […] En fait quand j’ai compris que c’était pas moi, j’me suis dit que je pouvais, même si c’était pas facile, que j’étais pas plus bête et même si c’est difficile et quand même ce sera long, ben je vais y arriver. Maintenant j’le sais.

 

Les ateliers ont aussi favorisé l’émergence d’un climat d’entre-aide plutôt que de concurrence, transformant des groupes d’élèves en communautés de travail.

Il en a globalement résulté un plus grand investissement dans le processus d’orientation et un plus grand plaisir à être en classe mis en évidence, par exemple, par la diminution de l’absentéisme.

 

Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique,

Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)

https://www.u-cergy.fr/laboratoireBONHEURS/fr/index.html

Université de Cergy-Pontoise

 

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Références :

Dizerbo, A. (à paraître en 2019). Paroles d’élèves et processus de subjectivation. Tome 1. « J’ai rien à raconter ». Écouter les élèves pour penser l’éducation narrative et l’orientation scolaire. Paris : Téraèdre.

Dizerbo, A. Normes scolaires et figures d'élèves. La biographisation pour comprendre et accompagner la subjectivation de trajectoires scolaires. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, sous la direction de Christine Delory-Momberger. Université Paris 13 Paris Sorbonne Cité, Villetaneuse, France.

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 10 janvier 2019.

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