Le film de la semaine : « Edmond » de Alexis Michalik 

Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années ! Déjà comédien, auteur, metteur en scène, le jeune Alexis Michalik réalise avec « Edmond » un rêve de film né à l’adolescence. L’immense succès public et critique de sa dernière pièce -racontant l’épopée rocambolesque, de l’écriture à la création au théâtre à Paris le 27 décembre 1897, de « Cyrano de Bergerac »- lui permet de le concrétiser. Pour son premier long métrage, le talentueux homme-orchestre se fixe un objectif à l’ambition démesurée : porter à l’écran la gestation d’une pièce devenue un classique de la littérature et de la scène tout en dépassant les pièges du théâtre filmé et l’académisme de la reconstitution historique. Pour un résultat époustouflant : à travers une comédie épique, bourrée d’humour, d’émotions fortes et de cocasseries hilarantes, « Edmond » nous donne à voir sur grand écran la naissance d’un écrivain, la frénésie d’une troupe, la gestation hasardeuse et le triomphe inattendu d’une tragi-comédie en vers en plein règne de Feydeau et de Courteline. Sans didactisme, Alexis Michalik  réussit la prouesse jubilatoire de nous plonger au plus près de la création du chef-d’œuvre d’Edmond Rostand  dans les conditions historiques et culturelles de son émergence. Dans le même geste, le réalisateur prodige parvient, avec les moyens spécifiques du cinéma, à toucher ‘à la fin de l’envoi’ nos cœurs de spectateurs admiratifs et ravis. 

 

Edmond, le théâtre et les affres de l’inspiration

 

 Paris, décembre 1895. Vaste vue d’ensemble de la capitale brillant dans la nuit des feux de la rampe. La caméra se rapproche  en plongée des enseignes lumineuses de quelques cabarets et scènes de théâtre. Une voix off (c’est celle d’Honoré, le patron noir d’une célèbre brasserie à son nom, personnage que nous retrouverons) égrène quelques éléments de contexte sur les balbutiements de l’aviation, les débuts de l’affaire Dreyfus, l’imminence de la conquête de Madagascar et des premières voitures Renault. Nous apprenons aussi que la grande Sarah Bernhardt s’apprête à jouer ‘La Princesse lointaine’, pièce en vers d’un jeune poète inconnu, Edmond Rostand.

 

Dans les coulisses du théâtre de la Renaissance, nous faisons la connaissance du poète en question, Edmond (Thomas Solivérès) sent déjà que la représentation de sa pièce ne suscite guère l’enthousiasme, Feydeau (Alexis Michalik en personne), auteur en vogue et infatué de lui-même, assène quelques critiques cinglantes (au diapason de Courteline présent à ses côtés) devant le poète timide qui n’ose dévoiler son identité. Après ce ‘four’, Edmond rentre chez lui abattu. Malgré son jeune âge, il a déjà deux enfants et, en dépit du soutien de son épouse Rose (Alice de Lencquesaing), bien des raisons de se faire du souci. Pour cause de panne d’inspiration : deux ans sans écrire une ligne.

 

Au bout du rouleau, avec l’audace du grand timide, il rend visite à la ‘star’ du théâtre de l’époque Constant Coquelin (Olivier Gourmet) et lui offre le rôle principal  (celui d’un bretteur avec un grand nez protubérant) dans une comédie héroïque, écrite en vers.  Il n’y a qu’un problème de taille : Edmond n’a pas écrit une ligne de cette nouvelle pièce. Pourtant, malgré tous les obstacles (intérieurs et extérieurs), il s’attèle à la tache avec une seule boussole, le titre qu’il a trouvé : Cyrano de Bergerac.

 

De la plume à la scène, une caméra omnisciente

 

Accompagné du regard par une caméra bienveillante, Edmond nous ouvre ‘l’intérieur’ de sa tête aux prises avec l’écriture. Ainsi assistons-nous en direct à la naissance d’un texte (et d’un écrivain), aux affres de l’inspiration et à tous les facteurs qui déclenchent l’acte d’écrire, entre les caprices de l’imagination et les impératifs de la nécessité. Edmond doit tout à la fois faire vivre sa famille, respecter la promesse faite à Coquelin (lui-même aux abois car les créanciers veulent fermer le théâtre), se prouver à lui-même et aux autres (en particulier les gens de théâtre en vogue, dont Feydeau, coqueluche du moment) qu’il est capable d’écrire une pièce à succès.

 

A ce titre, le traitement des sources d’inspiration se distingue par son inventivité. Nous voyons le modeste poète prendre de l’assurance au fur et à mesure que les circonstances travaillent en sa faveur. Sa plume ‘navigue’ entre les règles qu’il s’impose (écrire en vers), celles qu’on lui impose (faire rire) et les sollicitations intimes ou extérieures. La réaction de Monsieur Honoré (Jean-Michel Martial), patron de la brasserie ‘Chez Honoré’ située en face du théâtre, joue par exemple un rôle accélérateur. Traité de ‘nègre’, il met à la porte le client injurieux avec un panache qui préfigure celui de la fameuse tirade du nez. Ce dernier pousse le poète à renverser les tabous et à prendre son envol.

 

Une injonction d’autant plus bénéfique qu’Edmond en est maintenant à modifier son texte au fil des répétitions (qui ont commencé), sous la pression des circonstances, en particulier les exigences des bailleurs de fonds (qui ont accordé un sursis avant fermeture). Un exercice de création auquel Ii prend goût alors que les personnages acquièrent une vie propre quand ils commencent à exister avec le corps des comédiens les incarnant.

 

La fiction cinématographique ne se contente pas de nous faire vivre l’aventure collective dans sa confrontation périlleuse avec les conditions économiques et culturelles de l’époque (le rôle des financiers, le poids institutionnel de la Comédie française, les pièges de la concurrence et de la notoriété, le conformisme du public et les effets de mode). Bien plus, l’œuvre nous fait pénétrer dans les coulisses, entre les frou-frou des étoffes et les tempêtes émotionnelles, au plus près du quotidien d’une troupe d’acteurs en train de monter fiévreusement une pièce en voie de s’écrire fébrilement, sous la direction d’un metteur en scène fantasque, soufflant le chaud et le froid, imposant à tous un rythme d’enfer. Ainsi suivons-nous haletants le feuilleton mouvementé de cette gestation, tantôt drôle, tantôt dramatique, toujours palpitante, jusqu’à l’ultime rebondissement précédant la représentation et le déroulement de la première clôturée par un triomphe inespéré. Une liesse générale qui marque la transformation d’Edmond en Rostand, du poète poussif en auteur célèbre et reconnu par le miracle d’une réussite théâtrale parfaite.

 

Cascade de réussites, vertige de la mise en scène

 

Alexis Michalik, quant à lui, ne se comporte pas comme un cinéaste débutant. Avec « Edmond », il assume un mélange des genres et des registres détonnant, de la comédie au drame, des planches aux plateaux, il use avec un plaisir manifeste de tous les moyens artistiques à sa disposition : direction et association réussies d’acteurs ‘novices’ (Thomas Solivérès, Tom Leeb, Alice de Lencquesaing, Lucie Boujenah…) et de comédiens aguerris (Olivier Gourmet, Clémentine Célarié, Mathilde Seigner, Dominique Pinon, Jean-Michel Martial…), mobilité et amplitude de points de vue offerts par la steadicam, utilisation abondante des plans-séquences alternant avec de brusques embardées ou des plans rapprochées sur tel ou tel détail significatif, modulations pertinentes des morceaux de musique. Il invente même une forme de suspense, sous-tendu in fine par le ‘Boléro’ de Maurice Ravel : Edmond et toute sa bande parviendront-ils à vaincre les obstacles et à forcer le destin ? A engendrer un triomphe sur scène et un chef-d’œuvre de la littérature ? Alexis Michalik en habile metteur en scène parvient à nous maintenir en attente d’une issue heureuse alors que certains d’entre nous connaissent le (vrai) destin de la pièce jamais démenti au fil des siècles jusqu’à aujourd’hui.

 

Même la reconstitution scrupuleuse des décors et des costumes, des lieux et scènes de spectacle emblématiques d’alors tourne le dos à un affichage réaliste. Dans des tons chauds aux dominantes de rouge, de brun et d’or, la fiction cinématographique restitue l’atmosphère du théâtre, le bouillonnement artistique, la frénésie d’un collectif en plein processus de travail, les artifices à leur comble d’où surgissent la force des sentiments. La magie de la scène (ce lieu particulier où les frontières entre le vrai et le faux, le jeu et la réalité, les acteurs et les spectateurs s’estompent) ici suggérée figure, avec des formes spécifiquement cinématographiques, l’essence de la création artistique en général et du cinéma en particulier. Bien qu’Alexis Michalik se réfère explicitement au film de John Madden « Shakespeare in love » [1998], « Edmond » prend parfois des allures de « French Cancan », le film de Jean Renoir [1954]. Comme un hommage discret au ‘patron’ de la Nouvelle Vague.

 

Samra Bonvoisin

 

« Edmond », film d’Alexis Michalik-sortie le 9 janvier 2019

Meilleur film, Prix des lycéens, Prix du meilleur film du jury jeune public, Festival de Sarlat

 

Dossier pedagogique

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 09 janvier 2019.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces