Lycées : A quoi ressemblent les cartes des spécialités ? 

D'après un pointage auprès de 5 académies (Aix-Marseille, Poitiers, Limoges, Lyon et Toulouse), les recteurs ont pris soin de respecter globalement l'annonce ministérielle de 7 spécialités par lycée. Mais les cartes proposées ne disent pas grand chose des moyens qui seront réellement mis finalement dans les établissements. Des disciplines apparaissent déjà fragilisées comme les langues (sauf anglais) ou les enseignements artistiques. La réforme profite aux métropoles aux dépens des zones rurales. La logique de spécialisation précoce et de mise en concurrence des établissements pourrait rapidement aggraver les inégalités.

 

Une bonne couverture ?

 

"Globalement la couverture est très bonne", nous a dit Laurent Tramoni, secrétaire académique du Snes d'Aix Marseille. "La carte est correcte", affirme Pierre Priouret, secrétaire académique adjoint du Snes Toulouse. On verra que ces deux responsables mettront des bémols à ces appréciations. Mais à première vue, dans les 5 académies visitées, la carte des spécialités semble globalement satisfaisante.

 

La consigne ministérielle de 7 spécialités par lycées au minimum est globalement respectée. Parfois elle se heurte à des établissements scientifiques de centre ville déjà hyper spécialisés comme cela nous a été signalé à Limoges ou sur Aix Marseille. Parfois aussi de petits lycées ruraux ont moins de 7 spécialités comme cela nous est signalé sur Poitiers.

 

Un peu partout ce sont les établissements les plus prestigieux qui proposent le plus de spécialités. Cela nous est signalé par exemple par Magali Espinasse, co secrétaire académique du Snes Poitiers. "Les établissements prestigieux ont 9 ou 10 spécialités quand les lycées polyvalents à forte dimension technologique n'en offrent que 7".  Les lycées ruraux ne semblent pas trop souffrir de la réforme du moins en apparence. "Sur Limoges, par exemple, Patrice Arnoux, secrétaire académique du Snes, confirme que les lycées isolés ont 7 spécialités.

 

Des cartes peu réalistes ?

 

Pour autant les cartes distribuées ne veulent pas dire grand chose. A Toulouse, Pierre Priouret, secrétaire académique adjoint du Snes, trouve la carte "pas finançable". Dans la grande majorité des académies  visitées, le recteur réfléchit à imposer un seuil d'ouverture des spécialités proposées sur la carte. A Limoges, "le recteur y réfléchit" selon P Arnoux. A Poitiers le seuil est fixé à 20 élèves au minimum. A Lyon, selon Ludivine Rosset, secrétaire académique adjointe du Snes, le seuil sera à 35 élèves. Tout groupe inférieur ou au-delà de ce seul devra être financé sur la marge de l'établissement. Seul Toulouse semble ne pas voir fixé de seuil mais la carte semble impossible à réaliser.

 

A Marseille, Laurent Tramoni résume bien la situation : "la carte est virtuelle tant que les dotations horaires ne sont pas données. On est incapable de savoir quelle capacité d'accueil sera associée à chaque spécialité. A partir des dotations et des choix des élèves, il est probable qu'une partie des enseignements annoncés comme disponibles ne seront pas assurés".

 

Dans de nombreux cas les ouvertures annoncées ne seront pas effectives faute d'un nombre suffisant d'élèves. Dans l'académie de Poitiers Magali Espinasse pense que de nombreux lycées ruraux n'auront pas assez d'élèves pour ouvrir les spécialités annoncées. Elle cite le cas du lycée de Montmorillon qui propose 8 spécialités. En ce sens la réforme devrait au final renforcer les poles attractifs urbains aux dépens des zones rurales.

 

L'offre peut aussi maintenir de vieilles inégalités. Ainsi sur Lyon, L. Rosset souligne l'opposition traditionnelle entre l'ouest, aisé, et l'est, plus populaire. "Il n'y a aucun enseignement artistique proposé dans les lycées de l'est", relève t-elle.

 

Des mises en réseau problématiques

 

Certaines académies ont fait le choix de la mise en réseau des établissements. Le meilleur exemple est Aix Marseille. Le recteur a décidé de mutualiser les spécialités entre lycées. Les élèves pourront suivre un enseignement dans u autre lycée. Même organisation sur Lyon.

 

Mais cette mise en réseau pose des problèmes. D'abord certains réseaux ne pourront pas fonctionner.  Ainsi le réseau Oyonnax - Nantua dans l'académie de Lyon réunit des lycées distants d'une vingtaine de kilomètres. "On a déjà testé cette mise en réseau dans l'académie", rappelle L Tramoni. "Ca ne marche pas". Pour organiser la mise en réseau il faut bloquer des demi journées dans les emplois du temps des lycées ce qui pose au final de vrais problèmes. Les élèves rechignent aussi à quitter leur établissement pour passer un moment dans un autre.

 

Quel choix pour les élèves ?

 

Les élèves auront-ils réellement davantage de choix ? Dans les zones rurales le choix devrait diminuer en fonction des seuils exigés. L. Tramoni estime que la logique d'organisation va inciter les chefs d'établissement à limiter l'offre pour ne pas avoir trop de groupes différents bloquant des cases de l'emploi du temps. "Cela va conduire à une uniformisation de l'offre", estime -t-il. A Poitiers, selon M Espinasse, l'académie a déjà annoncé qu'elle n'accordera aucune dérogation pour une raison de spécialité. Les lycéens devront se contenter de l'offre proposée par leur lycée de secteur.

 

Aix-Marseille tente une expérience plus originale : l'ouverture d'un portail de choix des spécialités. "Les élèves vont avoir le choix dans l'absolu mais on va les guider avec un portail", nous dit L Tramoni. Le portail leur demandera de choisir une identité plutot scientifique, littéraire ou artistique. Ils choisiront une première spécialité, puis une seconde dominante, par exemple maths puis physique. On leur proposera ensuite une troisième spécialité (SVT ou SES par exemple). Ce portail devrait réduire la part d'inconnu dans les choix des élèves. Car dans plusieurs académies on sent une inquiétude de ce coté là.

 

Des disciplines sacrifiées ?

 

Des disciplines font-elles les  frais de la réforme ? Dans toutes les académies visitées, on nous a signalé des problème en arts et en langues. La spécialité langues est généralement proposée mais en anglais seulement. Dans l'académie de Limoges un seul établissement propose la spécialité en espagnol. Dans l'académie de Toulouse l'italien n'est proposé que dans 3 départements sur 8, l'allemand et l'espagnol ne sont pas assurés en zone rurale. Dans l'académie de Lyon l'italien fait aussi les frais de la réforme (aucune spécialité italien dans le Rhône par exemple). L'allemand n'est présent comme spécialité que dans un seul lycée de l'Ain. La réforme aura assuré la domination nette de l'anglais. C'était d'ailleurs un choix gouvernemental.

 

La question des enseignements artistiques pose le problème de la  spécialité mais aussi de l'option. Les options sont déjà bien affaiblies puisque JM BLanquer a décidé qu'elle n'apporteraient plus de points bonus (sauf LCA). Dans l'académie de Poitiers, selon L Espinasse, un lycéen ne pourra pas cumuler une option et un enseignement de spécialité. Ce sera l'un ou l'autre. Dans l'académie de Limoges toutes les spécialités artistiques ne sont pas ouvertes : par exemple l'histoire des arts n'ets pas proposée.

 

Les spécialités Lettres semblent aussi menacée. M Espinasse craint qu'elle soit moins demandée que dans l'actuelle filière L. La disparition des enseignements d'exploration de seconde pourrait aussi jouer contre les enseignements technologiques, qui ne seront plus proposés en 2de.

 

La publication des cartes des spécialités laisse les enseignants sur leur faim. S'il n'y a pas de mauvaises surprises, certaines cartes semblent irréalistes. Les enseignants attendent la communication des dotations horaires pour avoir une vision des effets de la réforme. beaucoup craignent qu'elle soit le prétexte à rentabiliser au maximum les enseignements en bourrant les classes, maintenant que la disparition des filières permet de redistribuer les élèves en groupes occasionnels.

 

François Jarraud

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 19 décembre 2018.

Commentaires

  • fmailloux, le 20/12/2018 à 10:52
    Voici le communiqué du 19/12/2018 de la conférence des associations de professeurs spécialistes.
    C'est une charge très sévère et argumentée contre les réformes du baccalauréat, du lycée général et technologique et du lycée professionnel.
    https://conferenceassociations.blogspot.com/2018/12/communique-de-la-conference-reforme.html?m=1
  • Viviane Micaud, le 19/12/2018 à 11:38
    Les diverses communications des services de Blanquer et de syndicats me semblent s’appuyer sur un déni des fondamentaux qui permettront de résoudre les tensions (stress et sentiment d'injustice, sentiment de ne pas être maïtre de son parcours).
    Ces fondamentaux sont:
    1) Il faut une diversité des parcours après la 3ème (étape de maturité du jeune de l'espèce homo sapiens sapiens) 
    2) Pour résoudre le sentiment de dévalorisation des professionnels et section technologique, il faut reconnaître que le principal problème est une élimination progressive sur la lecture et l'expression écrite, avec plusieurs étapes:
    - CE2, si l'élève n'a pas acquis la lecture avec construction de sens il n'aura pas le soutien nécessaire. Cependant, il a la possibilité de répondre partiellement aux exercices et avoir une vie d'élève acceptable.
    - 4ème, l'élève qui n'a pas les acquis en expression tombe dans une machine de perte de l'estime de soi. Il ou elle n’arrive plus à faire ce qu’on lui demande sans qu’il soit capable d’analyse pourquoi. On dit aux enseignants de dire « tu ne fais pas assez d’efforts » alors que c’est un problème d’apprentissages de base mal ancrés. Ou pire on dit aux enseignants que « c’est parce que tu n’applique pas bien le dernier gadget pédagogique à la mode » alors que ce dernier est totalement inadapté.
    - en fin de 3ème il est orienté vers une filière du professionnel qu'il ou elle ne choisit pas vraiment, car le logiciel s'appuie sur les notes plutôt que sur la motivation. (Il existe une hiérarchie des filières du professionnel qui est niée).
    - à la fin de la seconde, celles et ceux qui ne maîtrise pas les codes nécessaires uniquement pour les hautes études littéraires sont orientés vers les filières technologiques. 
    3) les expériences internationales montrent les essais de la suppression d’un éventail de possibilités pour approfondir les maths au lycée, ont tous aboutis à une catastrophe pour les études scientifiques et la capacité du pays à gérer les changements. Il faut un niveau de base, un niveau normal et un niveau approfondi en math. C’est ce que fait le bac Finlandais après avoir essayé un parcours unique de maths dans les années 1970. 
    4) la construction des emplois du temps apporte des contraintes extrêmement limitantes dès qu’on sort du groupe classe. Aujourd'hui pour les langues, ou certaines options, on aligne plusieurs classes sur une même heure. C'est ce qu'on appelle une barette. Tous celles et ceux qui ont construit des emplois du temps au niveau lycée savent que le nombre de "barettes" possibles est très limité. Comme donner le libre choix de 3 options parmi 7, fait 35 groupes différents, cette promesse n’est pas faisable (voir le concept de combinaison en maths). Avant d'entamer les discussions sur le lycée, il est indispensable de faire prendre conscience de ces contraintes. De manière à peser le pour et le contre des solutions FAISABLES, au lieu d'orienter la discussion autour de la surenchère sur ce qu'il est impossible à mettre en œuvre. 
    5) Le problème du « tri par les maths au lycée » est une illusion d’optique. Cette illusion est liée au fait que le tri par la capacité d’expression a été organisé avant. Le lycée général ne comprend que les 40% qui ont été rescapés de l’élimination, sans possibilité de se rattraper, par l’expression écrite. Vu que trois niveaux de maths au lycée sont indispensables à l’économie du pays, le vrai problème est la suppression des options maths en L et en SES. Quand il y avait la filière A2 avant 1995, on pouvait approfondir les maths avec une filière littéraire.
    6) Pour pouvoir limiter les biais liés à l’orientation, il faut une sensibilisation en amont des familles, un système lisible et un droit à l’erreur. L’orientation progressive dans son silo est une illusion et, comme la dernière conférence du Cnesco le montre, n’est pas la solution reconnue comme efficace à l’internationale.
    Je serai intéressée par un groupe de travail sur : « Pourquoi des gens qui ont parfaitement conscience de ces fondamentaux organisent un déni ? »
  • amorin, le 19/12/2018 à 09:44
    Petite précision concernant la mise en réseau dans l'académie de Lyon. D'après le directeur académique adjoint, la mise en réseau d'établissements permettra à un élève de changer de lycée pour être entièrement scolarisé dans un autre (appelé tête de réseau) pour y suivre un enseignement de spécialité qui était noté "réseau" dans son établissement d'origine. Il s'agit bien d'un changement d'établissement comme pour le passage dans une voie technologique. Mais si le lycée d'origine n'est pas estampillé "réseau" pour une spécialité donnée, il n'y a aucune garantie que l'élève puisse changer d'établissement. C'est le cas dans de nombreux établissements pour la spécialité Numérique et Sciences Informatiques qui risque pourtant d'être plébiscitée autant par les élèves que par les formations post-bac.
    • Viviane Micaud, le 19/12/2018 à 10:38
      C'est une promesse sur le papier. A cause des contraintes de construction des emplois du temps, cela NE POURRA PAS être respecté. Faites l'exercice! Vous verrez.
      Et pire que cela, 7 choix dans son établissement est une fausse promesse.
      (Je vous invite à regarder le concept de combinaison en maths). 3 choix totalement libres parmi 7, cela fait 35 possibilités. Les combinaisons rarement demandées ne seront en réalité pas possibles. N'importe qui peut le vérifier, et toutes celles et tous ceux qui ont l'habitude de construire des emplois du temps le savent.
      J'ai l'impression que le ministère a choisi de mentir effrontément, avec l'appui des dirigeants des principaux syndicats. Contre quoi?
      Il s'agit, pour moi, une remise en place du même jeu de pouvoir qui a bloqué le système pendant 35 ans. Il y a un accord tacite entre le ministre et les responsables de syndicats de transmettre la même analyse fausse. Cela empêche la société civile responsable de développer une représentation pertinente des enjeux et contraintes du système éducatif, et donc permet à chacun de conserver son pouvoir.
      • amorin, le 19/12/2018 à 12:32
        Je ne dis absolument pas que toutes les combinaisons seront possibles et mes connaissances en combinatoire font que je suis bien d'accord avec vous sur ce point. Par ailleurs je suis totalement en accord avec votre analyse comme bien souvent.
        Je tenais juste à préciser que en l'état actuel des données il est clair qu'un élève ne sera pas libre de ses enseignements de spécialité. Si en fin de 2nde, il veut et obtient une voie technologique, il change de lycée et suit son projet. Dans le projet 2019, si en fin de 2nde il veut une spécialité, il est vraisemblable qu'il ne pourra pas l'avoir pour la seule raison qu'il a fait sa classe de seconde au mauvais endroit, dans un lycée qui ne la propose pas, lycée qu'il n'a par ailleurs pas choisi du fait de la carte scolaire. Je pense typiquement à NSI. Le choix du lycée sera-t-il libre à l'entrée de la seconde ? de la 1ère ? Faut-il attendre d'un élève de 3ème qu'il sache déjà ce qu'il veut faire et les attendus qui vont avec ? N'y a-t-il pas là le délit d'initié dont vous parlez souvent ?
        • cdivoux1, le 19/12/2018 à 16:39
          Ce qui veut dire, si je comprends bien, que les élèves, avec leurs parents, devront déployer des stratégies d'orientation, non pas en seconde, mais déjà en troisième !
          Pourront-ils simplement demander une dérogation tout de suite pour l'entrée en seconde pour un choix de spécialités qui se fera qu'en fin de la seconde ?
          Ou dites-vous que dans l'académie de Lyon, tout élève en fin de seconde pourra obtenir l'établissement de son choix en fonction de son choix de spécialités ?
          Cette autorisation de changer de lycée en raison de spécialités rares est à double tranchant et ne va qu'alimenter la concurrence entre lycées puisque les "établissements prestigieux proposent le plus de spécialités". Les meilleurs élèves, qui sont aussi en majorité les mieux informés, qui vont être capables de se déterminer le plus tôt vont demander les meilleurs lycées qui sous la quantité de demandes pourront faire leurs marchés. En même temps les professeurs vont tous tenter d'aller dans ses "meilleurs" lycées en faisant jouer les relations puisque les proviseurs pourront recruter leurs enseignants.

          Autre observation, j'ai cru comprendre que l'avis de passage en première par le conseil de classe, ne devait pas s'opérer sur le choix des spécialités, mais que sur les disciplines du tronc commun, car les élèves sont ensuite libres de choisir leurs spécialités.
Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces