Le film de la semaine : « La Permission » de Soheil Beiraghi 

D’Abbas Kiarostami, le grand auteur disparu en 2016 (« Le Goût de la cerise, Palme d’or en 1997) à Jafar Panahi (« Trois visages », Prix du scénario à Cannes en 2018), les cinéastes iraniens, célébrés dans les festivals du monde entier en dépit des limites imposées par le pouvoir à leur liberté artistique, témoignent de leur foisonnement créatif. Aujourd’hui, une nouvelle génération, dont Soheil Beiraghi fait partie, reprend le flambeau avec audace. Le jeune réalisateur de « La Permission » ne craint pas d’aborder un sujet brûlant : le statut des femmes, leur inféodation aux hommes inscrite dans la loi et leur refus de s’y soumettre. Sa comédie dramatique, inspirée d’une histoire vraie, met en scène le combat exténuant de la capitaine d’une équipe féminine de futsal, dans l’impossibilité de participer à la finale de la coupe d’Asie en raison du refus de son mari de l’autoriser à quitter le pays. Aux côtés de l’héroïne énergique, mise en péril par son combat courageux, la fiction, à mi-chemin entre la satire féroce et le suspense psychologique, met au jour l’hostilité des représentants des institutions iraniennes et les failles de la solidarité féminine inhérentes aux contradictions du système d’oppression. Ainsi « La Permission » interroge-t-il les voies de l’émancipation des femmes en Ira, dans une dénonciation implacable du patriarcat dépassant les frontières de son pays d’origine.

 

Athlètes féminines, loi masculine

 

Une première séquence emblématique. La joie partagée d’une équipe brillante (qualifiée à l’instant pour la finale de la coupe d’Asie), exclusivement composée de femmes pratiquant le futsal, sport de ballon très populaire en Iran, et l’impératif catégorique rappelé par l’entraineuse aux joueuses en survêtements blancs : pas une mèche de cheveu ne doit dépasser des cagoules leur voilant la tête !  Outre ce contraste détonnant, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Afrooz (Baran Kosari, remarquable), la capitaine de ces championnes non plus. Alors que l’équipe est sur le point de rejoindre la Malaisie, la jeune femme se voit interdite de quitter le territoire par les autorités de contrôle à l’aéroport, à la demande de son mari comme la loi autorise ce dernier à le faire par écrit. Commence alors pour celle qui jamais ne renonce un combat acharné pour arracher le consentement à un époux déterminé à ne pas céder, comme il l’est déjà à refuser le divorce.

 

Les premières scènes nous dévoilent rapidement l’ampleur des enjeux sociaux et intimes soulevés par cette lutte contre une législation inique et la multiplicité des obstacles à affronter. La valeureuse héroïne parviendra-t-elle à faire revenir l’époux blessé dans son orgueil sur sa décision ? D’autres instances comme la Justice ou la Fédération sportive peuvent-elles passer outre l’interdiction formulée par le mari ? L’équipe va-t-elle maintenir sa participation au championnat international malgré l’absence de son capitaine préférée ? Les fidèles amies d’Afrooz résisteront-elles aux pressions de toutes sortes ?

 

Mise en scène dérangeante d’une émancipation en devenir

 

Nourri par la véritable mésaventure d’une star du futsal iranien interdite de participation au championnat de la Confédération asiatique en septembre 2015, le script imaginé par le cinéaste s’éloigne du réalisme documentaire par la pertinence des partis-pris de réalisation. La caméra accompagne en effet l’héroïne au plus près de son intimité, privilégiant les gros plans et les plans rapprochés en particulier dans le seul espace ‘personnel’ dont elle dispose : l’intérieur de la voiture que la loi l’autorise à conduire à la condition de porter le voile. Ces choix de mise en scène n’excluent pas d’emprunter d’autres voies, celles du suspense comme lors d’une course-poursuite automobile au cours de laquelle les mains crispées au volant de son véhicule tonitruant, Afrooz tente d’échapper au déchainement de violence d’un mari outré par l’obstiné désir d’autonomie de sa femme.

 

Loin du misérabilisme et des clichés, Soheil Beiraghi nous montre Yaser (Amir Jadidi, convaincant), le mari engoncé dans ses certitudes machistes, touché au fond de lui par l’abandon de son épouse, en plein exercice de son métier d’animateur TV, affichant liberté de ton et ouverture d’esprit. Dans un autre registre, face à l’échéance sportive du championnat, les amitiés féminines d’Afrooz se fissurent lorsque les intérêts personnels des unes entrent en contradiction avec les liens affectifs forgés dans la résistance partagée à l’oppression commune. A ce titre, le dénouement (à ne pas dévoiler !) respecte lui aussi la complexité d’une situation dramatique placée sous le signe de l’ambivalence. La société iranienne, sous le régime politique de la loi islamique, connaît à l’heure d’internet et des réseaux sociaux des mutations profondes, même si ces dernières ne se retrouvent pas dans une législation perpétuant le statut d’infériorité des femmes et leur infantilisation par rapport aux hommes. 

 

Baran Kosari, l’interprète principale, souligne d’ailleurs à quel point « La Permission » met en évidence les risques pris par toutes les révoltées contre le statu quo : ‘Dans une société où vous vivez une double vie à cause des lois et des traditions culturelles avec les lesquelles vous êtes en désaccord total, vous avez intérêt à vous armer de courage pour vivre tel que vous l’entendez. Vous pouvez tout perdre : votre avenir, votre carrière, votre sécurité, et même votre vie. C’est le prix que nous devons payer pour vivre nos désirs et nos rêves’.

 

Avec Afrooz en figure de proue, incarnée avec panache par la grande comédienne, « La Permission » de Soheil Beiraghi contribue intelligemment au combat long et difficile des femmes iraniennes pour leur émancipation. Une aspiration à l’égalité sans cesse réactualisée par les métamorphoses multiples du patriarcat ici et maintenant.

 

Samra Bonvoisin

« La Permission », film de Soheil Beiraghi-sortie le 28 novembre 2018

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 28 novembre 2018.

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