Béatrice Mabilon-Bonfils : Le bonheur, ressource ou visée de l’éducation ?  

Faut-il être heureux pour apprendre ? Apprendre rend-il heureux ? Est-ce une bonne question ? La question des affects et des émotions a été longtemps négligée à l’école et ce, principalement dans l’école publique française, centrée sur une « forme scolaire » privilégiant la construction d’un individu rationnel par les apprentissages et le savoir académique laissant aux pédagogies alternatives/nouvelles de Montessori à Freinet le soin de penser le bonheur d’apprendre et l’épanouissement par le savoir. Pourtant, de nombreux travaux de recherche montrent que les scores de réussite scolaire et la satisfaction de vie sont significativement et positivement corrélés et notamment que la réussite scolaire de l’élève est significativement et positivement corrélée aux relations sociales avec la famille, les pairs et les enseignants, à la santé psychologique, au ressenti envers l’établissement scolaire et au sentiment d’appartenance à l’école.

 

Cette question n’est pas aujourd’hui caduque quand un raisonnement à court vue oppose plaisir et apprentissage, dans un imaginaire structurant opposant les savoirs académiques et la pédagogie, l’esprit et le corps, la raison et l’émotion ? La forme scolaire en demeure la concrétisation pour la « socialisation méthodique de la jeune génération » dans un optique durkheimienne au travers d’une discipline, de règles et contraintes théorisé par Foucault perpétuant un ordre social, et édifiée sur le modèle de l’ Eglise (comme le montre Dubet) de la sanctuarisation du savoir, de l’ascèse , de la séparation, de la répression du « naturel ». Ce modèle scolaire repose sur la promotion d’un individu rationnel par la « transmission » de savoirs scolaires, et par le déni des affects dans le lieu scolaire

 

Bien sûr, il s’agit d’abord d’une question philosophique. Mais les sciences sociales s’en sont emparées : , la science économique et la psychologie positive sont les premières disciplines à s’emparer de la notion de bonheur, la distinguant du simple bien-être après que l'article fondateur d’Easterlin a suggéré que la fonction objective principale à maximiser par les décideurs devrait être le bonheur plutôt que la croissance économique, le revenu ou la consommation faisant émerger le courant du « happiness économy ».  Cette quête du bonheur a même donné naissance, au début des années 2000, à un courant de pensée avec la psychologie positive initié par Seligman et Csikszentmihalyi dans une perspective qui a irrigué le monde anglo-saxon sous un angle normatif/prescriptif .

 

Noddings ne craint d’ailleurs pas affirmer « Happiness and education are, properly, intimately related : Happiness should be an arm of education , and a good education should contribute significantly to personal and collective happiness ». Après avoir été négligée particulièrement en France la question du bonheur, plutôt pensée autour des du bien-être ou du climat scolaire a été mise en agenda pour devenir un enjeu des politique publiques en matière d’éducation.

Est-il possible pour les sciences sociales de se départir du caractère normatif de ces fondements philosophiques sur la question du bonheur pour penser le bonheur à l’école ? Comment penser les risques d’instrumentalisation de l’idée de bonheur, dont on connait les dérives totalitaires des « bonheurs qui chantent », voire les dérives néolibérales des modèles de concurrence?

 

Déjà Weber suggérait qu’en théodicée du bonheur est indispensable aux dominants : « L’homme heureux , écrit Weber se contente rarement du fait d’être heureux ; il éprouve de surcroît le besoin d’y avoir droit. (…) Le bonheur veut être « légitime ». Si l’on entend par l’expression générale de « bonheur » tous les biens que constituent l’honneur, la puissance, la possession et la jouissance, nous avons là la formule la plus générale du service de légitimation que la religion devait rendre aux intérêts externes et internes de tous les dominants, les possédants, les vainqueurs, les bien-portants, bref, de tous les heureux : la théodicée du bonheur. » Cette théodicée ne s’est-elle pas muée en sociodicée scolaire de la méritocratie ? Ou bien faut-il assumer ce caractère normatif ou prescriptif de la notion ? Peut-on opérationnaliser la « notion » de bonheur en la conceptualisant ? A quelles conditions ? Peut-on mesurer le bonheur ? Entre ressenti subjectif et contenu normatif, quels sont les présupposés des recherches et enquêtes sur le bonheur et le bien-être à l’école ? Poser le bonheur comme objectif ne fait-il pas courir le risque d’évacuer le politique au profit du ressenti ? L’appel au bonheur et au bien-être pourrait-il permettre de repenser les inégalités scolaires ?

 

Mais penser le bonheur à l’école, n’est-ce penser une organisation apprenante voire même d’une société apprenante inclusive et donc penser l’action voire l’émancipation dans la logique de Paolo Freire ?

 

Tel est le parti-pris à l’origine de la création d’un laboratoire de recherche Laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs) EA 7417 de l’Université de Cergy-Pontoise dont la thématique centrale et  transversale est le bonheur, dans une nouvelle approche qui conceptualise l’objet Bonheur en en acceptant la multiréférentialité : il s’agit d’une notion, sinon encore un concept scientifiquement stabilisé, qui prend en compte l’ensemble des dimensions du sujet dans son épanouissement actuel et potentiel, ouvrant sur les perspectives philosophiques d’émancipation, de « pouvoir d’agir » des sujets dans les organisations, institutions et sociétés aux fins de son humanisation (dans la logique de Morin). C’est l’idée-même d’une organisation apprenante voire même d’une société apprenante inclusive qui est là en jeu à travers le bien-être et donc l’action prônée par Freire.

 

L’idée d’ingénieries du bonheur repose sur ce diagnostic. Il s’agit d’investiguer quels sont les cadres organisationnels qui peuvent offrir des conditions de bien-être acceptables par les institutions et en premier lieu les organisations d’éducation et de formation dans un contexte de pluri-socialisation des sujets. Comment individus et institutions peuvent-ils co-construire ces cadres ? De quels outils théoriques, méthodologiques ou matériels ont-ils besoin ? L’approche consiste théoriquement à penser le bonheur par la Relation et méthodologiquement à penser de manière réflexive les ingénieries du bonheur dans le cadre d’une société apprenante, qui peut agir sur elle-même par la collaboration active de ses membres. Ces ingénieries sont des outils visant à tester les conditions de réalisation du bonheur pour en donner une intelligibilité : Il s’agit initier des dispositifs de bien-être co-construits avec les professionnels et investigués par la recherche avec des étapes de reconfiguration successives et d’expérimentations..

 

Des illustrations concrètes sont proposées dans la première publication collective du laboratoire

 

Béatrice Mabilon-Bonfils

 

Professeure d'Université - Sociologie

Directrice du laboratoire BONHEURS

Laboratoire BONHEURS

(Bien-être, Organisations, Numérique,

Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)

Université de Cergy-Pontoise

 

Les écoles du bonheur

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 27 novembre 2018.

Commentaires

  • Pierre_theVoice, le 03/12/2018 à 16:25
    Cet article est très difficilement compréhensible, est-ce un effet volontairement comique pour accentuer notre bonheur ?  : 
    "Déjà Weber suggérait qu’en théodicée du bonheur est indispensable aux dominants : « […] » Cette théodicée ne s’est-elle pas muée en sociodicée scolaire de la méritocratie ? Ou bien faut-il assumer ce caractère normatif ou prescriptif de la notion ? Peut-on opérationnaliser la « notion » de bonheur en la conceptualisant ? A quelles conditions ?"
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