Le jeu en classe de langues : Cinq questions à Haydée Silva 

Professeure de didactique à la Faculté de Mexico, Haydée Silva, docteure en littérature et civilisation française (Paris 3) et titulaire d'un DES spécialisées en sciences du jeu (Paris 13), anime depuis des années un blog très suivi sur le jeu et la didactique des langues. Elle revient sur la place du jeu dans l'enseignement des langues.

 

Vous avez une fine connaissance de la didactique des langues et des cultures (DLC). Voyez-vous des différences entre les pays en ce qui concerne le jeu ?

 

Je connais surtout la didactique francophones des langues et des cultures, mais j'ai une idée de ce qui s'est fait par le passé et de ce qui se fait actuellement dans d'autres langues, surtout en espagnol, anglais et italien, voire dans les langues orientales. Plus que des différences par pays, je vois des différences par langue et par aire géographique et culturelle.

 

Pour prendre l'exemple du jeu, celui-ci est en général bien plus facilement accepté dans l'enseignement de l'anglais, où l'on a très vite su profiter de la récursivité que peuvent introduire les règles ludiques. Du côte de l'enseignement de l'allemand, par contre, on valorise davantage le jeu libre, le jeu d'expression. La didactique des langues orientales, quant à elle, insiste encore aujourd'hui sur l'importance de la mémorisation et sur le respect dû à l'enseignant, ce qui freine parfois l'utilisation de certains outils ludiques. Mais l'engouement pour la technologie est favorable à l'introduction des jeux sérieux! Il n'y a pas de modes de faire uniques, mais plutôt des tendances, car les différentes notions qu'implique la DLC varient dans l'espace et dans le temps.

 

Tout en cherchant à construire des passerelles entre les différentes manières d'enseigner et d'apprendre, il me semble important de ne pas se laisser séduire par le leurre de l'uniformité, cultivé en partie par le Cadre européen commun de référence pour les langues (2001). Une lecture attentive permet en effet de distinguer des nuances importantes, voire des contradictions, entre les différentes versions linguistiques de ce document.

 

Le jeu n'a pas très bonne réputation dans l'enseignement français, où on préfère les exercices et la répétition, particulièrement en langues. Qu'en pensez vous ?

 

Je ne suis pas entièrement d'accord avec l'idée que le jeu n'a pas très bonne réputation. Je pense plutôt qu'il souffre d'une perception ambivalente, car il est à la fois idéalisé (il serait toujours motivant, divertissant, engageant...) et diabolisé (il serait difficile à gérer, il ferait perdre du temps, il est mal aisé de l'intégrer au cours en raison de programmes déjà surchargés...). En général, les enseignants reconnaissent dans le jeu un outil intéressant, mais certains hésitent à s'en servir car ils jugent que cela ne convient pas à leur public, qu'ils n'ont pas le temps, que cela demande trop de travail de préparation, entre autres.

 

Il serait trop long de répondre ici à chacune de ces objections. Je me contenterai donc de dire que ces préjugés, car il s'agit bien de préjugés, tiennent à une vision réductrice du jeu. Une fois que l'on commence à explorer les différentes options ludiques, on se rend compte qu'il y a des jeux pour tous les âges, tous les niveaux, toutes les compétences. Cependant, comme toute autre ressource pédagogique, le jeu exige une utilisation raisonnée, car une exploitation optimale tient à l'adéquation entre hypothèses méthodologiques, supports pédagogiques et pratiques de classe, et donc à un lien fort entre jeu et objectifs d'apprentissage visés.

 

Par ailleurs, jeu et répétition s'entendent à merveille: beaucoup de jeux sont fondés sur la répétition. Et l'activité ludique permet d'introduire un changement de focalisation: l'apprenant-joueur réalise une action linguistique ou langagière mais en ce concentrant sur la dimension ludique. Cela favorise souvent une réduction du filtre affectif et une dédramatisation de l'erreur.

 

À quelles conditions le jeu peut-il être efficace ?

 

J'ai tâché de répondre à cette question il y a quelques années, déjà (voir Silva, H., 2005, "Le jeu, un outil pédagogique à part entière pour la classe de FLE ?" Dossier Faites vos jeux ! sur Francparler. Je reprendrai donc ce que j'ai dit à l'époque: "La première condition consiste à aborder le jeu de manière rigoureuse, car à l’instar de tout autre outil son efficacité tient moins à ses qualités intrinsèques qu’à l’usage que l’on en fait. La deuxième condition consiste sans doute à établir un lien adéquat entre les trois niveaux du fait didactique : hypothèses théoriques relatives autant au jeu qu’à l’enseignement/apprentissage des langues, outils pédagogiques et pratiques réelles de classe, car c’est de l’incohérence entre ces différents niveaux que naissent en général les difficultés d’exploitation pédagogique du jeu. Finalement, la troisième condition consiste à ne pas chercher dans le jeu un outil miraculeux , mais à y voir simplement, et c’est déjà largement suffisant, l’occasion d’enrichir sa boîte à outils. S’il fallait résumer ces trois conditions en une seule, je dirais que le jeu n’est en mesure de devenir un outil pédagogique à part entière que lorsque les enseignants sont de véritables acteurs de leur pratique, et non de simples exécutants."

 

Quels jeux pourriez-vous recommander pour leur efficacité?

 

Impossible de faire un top 10 ou top 100 de jeux qui marchent: tout dépend des objectifs d'apprentissage visés, du public auquel on s'adresse, des styles d'apprentissage et d'enseignement, du contexte, des ressources disponibles...

 

Mais je dirais que le jeu le plus efficace est celui qui a été intégré avec succès dans la séquence pédagogique, d'une manière rentable (passer des heures à préparer un jeu qui ne durera que quelques secondes, et y investir beaucoup d'argent, par exemple, n'est pas toujours raisonnable).

 

J'ajouterais que, depuis la perspective actionnelle aujourd'hui dominante, un jeu efficace en classe de langue est celui qui invite l'apprenant-utilisateur à mobiliser l'ensemble de ses compétences générales et langagières dans la réalisation d'une tâche, avec une disposition d'esprit faite à la fois de légèreté (ce qui permet une plus grande tolérance à l'erreur) et d'implication (ce qui permet un engagement intellectuel et affectif). Il peut s'agir de jeux de société en boîte, mais aussi d'applications ludolinguistiques, voire de jeux sans matériel...

 

Comment passer du jeu à la mise en forme définitive pour les élèves?

 

Tout dépend de l'étape de la séquence où le jeu a été utilisé. Les activités ludiques peuvent convenir à la sensibilisation, à la mise en route, à la conceptualisation, à la systématisation, au réinvestissement, voire à l'évaluation (diagnostique et formative). On peut se contenter de présenter un jeu à des fins de sensibilisation pour commencer à aborder un sujet nouveau ou prévoir une étape de bilan métacognitif au cours de laquelle les apprenants prendront conscience des compétences sollicitées, des compétences visées, des progrès réalisés.

 

En tout cas, j'insiste encore sur ce point, l'enseignant doit quant à lui savoir avec précision, dès le départ, quel est l'objectif d'apprentissage visé et en quoi le jeu offre une voie pertinente pour l'atteindre.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Davantage d'informations sur son site

Le jeu support de la pédagogie actionnelle

Anglais : place au jeu

Enseigner l'allemand par le jeu

Apprendre l'allemand par le jeu

Des jeux pou rl'anglais

 

 

Par fjarraud , le jeudi 15 novembre 2018.

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