UDA : Pascale Garnier : l’école maternelle à la croisée des chemins 

Seule annonce des Assises de l’école maternelle : l’instruction obligatoire à trois ans. Si dans un premier temps cette annonce a pu satisfaire les défenseurs de l’école, elle s’avère en fait annonciatrice d’une remise en cause en profondeur de l’école maternelle et de ses missions. Intervenant à l'Université d'automne du Snuipp, Pascale Garnier, sociologue, professeure en sciences de l'éducation, coordonnatrice du groupe d’experts pour le projet de programme de maternelle de 2015, introduit son propos en resituant l’école maternelle dans son contexte national, avec le retour des évaluations standardisées, et européen avec une orientation libérale qui ne peut qu’inquiéter les professionnels engagés dans l’école du tous capables.

 

Des évaluations de CP qui renforceront le poids du scolaire en maternelle

 

Le programme 2015 donnait une vision progressive des apprentissages. Avec les tests imposés en CP on assiste à un retour du descendant : on part du collège vers l’élémentaire et de l’élémentaire vers la maternelle. Le côté formel des apprentissages les recentrant sur les « fondamentaux », comme la maitrise de la langue et de la numération, sont renforcés. L’objectif affiché mettant l’accent sur le caractère préparatoire à la scolarité ultérieure, les deux autres finalités de l’école maternelle, à savoir l’accueil et l’éducation, sont reléguées.

 

Des mesures pour améliorer les résultats des élèves français aux évaluations internationales ?

 

Le ministre, depuis son arrivée, centre toute sa communication sur les mauvais résultats des élèves dans les évaluations internationales. Mais il ne prend pas en compte les analyses qui ont été faites de ces résultats. La France est, et de loin,  le pays où le poids de l’origine sociale est le plus fort.  Ce retour à une priorité à la préparation à l’élémentaire risque de ne pas inverser ces résultats. Au contraire, plus les exigences d’une école préparatoire à l’élémentaire sont précisées, voire imposées, plus les résultats sont médiocres.

 

Le programme de l’école maternelle 2015 : tous capables

 

Ce programme de 2015, construit avec les chercheurs, pédagogues, professionnels de l’école et partenaires a pris en compte toutes les données des analyses de ces évaluations et les a enrichies des travaux de la recherche. Une orientation qui affirme le tous capables, confirme l’exigence en termes d’enseignement et d’apprentissages (développer le pouvoir d’agir et de penser, penser collectivement dans une école bienveillante, accueillante et exigeante),  reconnait  les parents  dans leur rôle de premiers éducateurs et œuvre pour l’amélioration des conditions de la scolarisation (une ATSEM par classe, effectifs, budget…).

 

L’école maternelle menacée

 

Pour Pascale Garnier, les menaces sont réelles. Le ministre se refuse à établir un bilan de l’existant. L’agenda politique prend le pas sur la réflexion.

 

Les évaluations standardisées de CP et CE1 font craindre le « teaching to the test », c’est-à-dire enseigner dans le but de faire réussir des tests aux élèves. Il s’agit d’une gouvernance par les résultats, les maîtresses et les maîtres étant appelées à exécuter plutôt qu’à concevoir leur enseignement. En maternelle, l’annonce d’un livret sur le vocabulaire à leur destination (les mots de la maternelle) traduit une vision réductrice des apprentissages.

Enfin la traduction prescriptive des neurosciences privilégie l’entrainement et non pas la réflexion ou la construction de la pensée. Liberté pédagogique et réussite des enfants des milieux les plus populaires, pour qui l’entrée dans la réflexion proposée par l’école est primordiale pour apprendre, risquent d’en faire les frais.

 

Quant à l’instruction obligatoire à trois ans, elle ne correspond pas à une offre de qualité. Cette obligation risque de se traduire par la disparition progressive de la scolarisation des enfants de deux ans (dans des dispositifs et des classes multi âges notamment). Elle a peu à voir avec une revalorisation de l’école maternelle dont la force est justement qu’elle soit si fréquentée sans être obligée. Aujourd’hui, 96% des enfants de 3 ans la fréquentent. Il y a des disparités du côté des familles et des territoires, mais au lieu de rassurer ces parents grâce à des moyens, une meilleure qualité et le dialogue, on va vers du répressif, comme une « police des familles », pour reprendre l’expression de Donzelot. De plus, cela peut favoriser le choix d’écoles alternatives pour les « bonnes familles » et, à cet âge, cela va renforcer l’objectif d’une instruction élémentaire au détriment d’une vision éducative élargie. Un vrai manque d’ambition culturelle. Et puis comment vérifier l’instruction d’enfants de trois ans ?

 

Résister !!

 

« Pour que le travail permis par le programme de 2015 ne soit pas détricoté, il faut résister ! » clame Pascale Garnier. Résister en sensibilisant les familles pour contre balancer la campagne de désinformation du ministre. Ouvrir la classe, rencontrer les familles. Que la professionnalité enseignante se montre ! Continuer à évaluer de façon positive les élèves. Le carnet de suivi doit continuer à être travaillé, amélioré, élaboré en équipe. Faire vivre le tous capables.

 

Transposer ce qui est pertinent en  Norvège

 

Une équipe française, dont Pascale Garnier était membre, a  réalisé une enquête en Norvège. « Cette enquête a  permis d’établir des comparaisons entre nos deux pays » explique-t-elle. En Norvège, il existe une seule structure commune qui intègre la petite enfance et l’école maternelle, de 1 à 5 ans, avec un curriculum éducatif orienté sur le développement de l’enfant, sa maîtrise émotionnelle, son autonomie et les valeurs démocratiques. En France l’activité de l’élève est très vite cadrée par des consignes, un programme d’enseignement et la prise de risque est largement interdite. En Norvège, on privilégie à l’inverse les activités libres, âges mélangés, soutenues par les éducateurs, et les espaces extérieurs sont très largement utilisés, même en ville. C’est rendu possible par un ratio adulte/enfant de un pour six, y compris à 5 ans, mais c’est aussi une autre confiance donnée à l’enfant et aux relations entre enfants. Il est intéressant de réfléchir sur ce que l’on peut retenir de cette souplesse et d’apprentissages beaucoup moins formalisés qui paraissent d’ailleurs plus équitables sur le long terme.

 

Et de conclure…

 

L’instruction obligatoire à trois ans ne correspondra pas à une offre de qualité. Les enfants de deux ans risquent de ne plus pouvoir accéder à l’école maternelle.  Les conditions de scolarisation risquent de se dégrader. Une politique ambitieuse ne passe pas par une instruction obligatoire. Elle doit se donner les moyens des bonnes conditions de scolarisation et avoir pour objectif une socialisation démocratique. La France a des exigences scolaires trop précoces. A-t-on encore le droit de prendre du temps de vivre à l’école maternelle, sans être dans la course aux objectifs, aux performances ? Apprendre à l’école c’est déjà apprendre l’école. Et pour cela il faut du temps aux enfants et à leurs maitresses.

 

Litizia Martin

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 07 novembre 2018.

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