UDA : Sylvie Plane : Apprendre à comprendre : Un défi en 2015, un recul en 2018 

Sylvie Plane, professeure émérite en sciences du langage à Sorbonne Université, a été Vice-Présidente du Conseil Supérieur des Programmes lors de l’élaboration des programmes de 2015, avant d’en être démissionnée en janvier 2018. Lors de la 18e Université d’Automne du SNUipp-FSU, elle explore l’évolution de la place accordée à la compréhension de la langue écrite et orale, dans les programmes 2008 et 2015 et dans les textes officiels qui révisent ceux-ci en 2018. Rappelant le consensus sur l’importance de la compréhension dans les programmes, elle pointe les actuels renoncements de textes ministériels qui s’en remettent à un lien incident entre une maîtrise première du code et une compréhension périphérique induite. Pourtant, l’objectif de la réussite de tous les élèves invite à toujours les combiner et à prendre appui sur des apprentissages explicites de la langue orale et du lexique, à condition de ne pas le réduire à des listes de mots.

 

Accéder au sens : des enjeux multiples

 

La compréhension est assurément un enjeu à la fois pédagogique, didactique mais aussi politique. L’instrumentalisation publique par le ministre des résultats des élèves français aux évaluations internationales pour mettre en cause les programmes 2015 l’illustre à merveille.

 

Si les programmes 2008 et 2015 reconnaissent, de manière consensuelle, la centralité de la compréhension des textes lus, le ministre a déployé dans la révision 2018 des programmes et dans les outils prescriptifs annexes, Guide orange en tête, une orientation qui situe hors champ la compréhension comme l’aboutissement présumé d’une série de connaissances à maîtriser en amont. La mise en cause des programmes 2015 par le ministre dans l’analyse publique des résultats aux évaluations internationales PIRLS est pourtant complètement injustifiée. En effet leur mise en œuvre à l’école élémentaire en 2016 (année de la passation des tests PIRLS) ne joue aucun rôle dans la baisse confirmée du niveau global des élèves français (plutôt bons déchiffreurs) en compréhension et en particulier dans les compétences interprétatives qui leur font défaut : porter un jugement, accéder aux états mentaux des personnages et exprimer le sens perçu par des réponses écrites à des questions ouvertes et donc aller au-delà du simple prélèvement dans le texte d’informations explicites.

 

Pour certains commentateurs de PIRLS, le déficit de compréhension résulterait d’automatismes insuffisamment développés chez les élèves. Ainsi, les compétences en orthographe et grammaire devraient être préalablement renforcées pour accéder au sens (d’où la prescription ministérielle de pratiquer la dictée quotidienne pour apprendre à mieux comprendre...). Cette orientation est celle prise par les programmes 2008, qui privilégient la compréhension du fonctionnement de l’écrit à la compréhension de sa fonction, et qui est réactivée en 2018.  Si la maîtrise du code préalable à la compréhension construit un continuum empreint de bon sens qui reçoit l’adhésion du grand public, un consensus se dégage pourtant au sein de la communauté scientifique, pour reconnaître que lire résulte d’une combinaison des habiletés à coder et à comprendre des textes.

 

Déficit de compréhension et de maîtrise du code : un rapport complexe

 

C'est un fait que la maîtrise du code explique les différences de compétences en début d’apprentissage de la lecture et qu’un déficit en décodage entraîne généralement un déficit de compréhension. Mais l’inverse n’est pas vrai. En fin de processus d’apprentissage de la lecture, les déficits de compréhension ne sont pas liés à des déficits de maîtrise du code. La fluence, en particulier quand elle est ciblée sur de petites occurrences comme les mots, n’a pas non plus l’influence suffisante pour servir de chainon manquant entre code et compréhension.

 

Maîtrise de l’orthographe et de la grammaire constituent également des ressources mais ne relèvent que d’une aide indirecte à la compréhension dont il est impossible de faire l’économie d’un traitement spécifique. Il ne s’agit pas de procéder à un amalgame, en niant les spécificités du travail des deux dimensions, code et sens. Mais il faut réaffirmer que travail sur le code et travail sur la compréhension doivent être menés explicitement et conjointement, sans privilégier un ordre d’apprentissage.

 

Les programmes 2015 font le pari d’un enseignement explicite de la compréhension, en préconisant par exemple l’engagement de l’élève dans des activités qui l’aide à construire ses outils cognitifs (par exemple, comparer, contraster, catégoriser). On mesure ainsi tout l’intérêt d’insister sur l’accès des élèves à l’empathie (à ne pas confondre avec la charité) dont on mesure l’importance en compréhension de textes lus pour permettre à l’élève de se mettre dans la peau d’un personnage. Dans le contexte de communication différée qu’est la situation de lecture, il n’y a pas de correspondance exacte entre le projet du producteur et la compréhension du récepteur. Toute lecture est interprétation par un sujet. Ceci implique, sans jamais faire perdre le fil de la lecture, de rendre explicites les procédures d’interprétation, par exemple la mobilisation d’un univers et de connaissance de référence, mais aussi l’analyse des sources d’erreurs.

 

Des apprentissages précoces et rentables ?

 

Le développement du langage oral, avec ce qu’il suppose de capacités à procéder à des ajustements continuels pour accéder au sens du message énoncé, constitue un point d’appui souvent sous-estimé, mais valorisé par les programmes 2015, pour accéder à des procédures interprétatives essentielles à la compréhension de la langue écrite.

 

Le lexique est également un outil indispensable pour comprendre, pour autant qu’il n’est pas confondu avec un corpus de mots, dont la maîtrise du sens resterait incertaine. La mise à distance d’approches strictement quantitatives, qui sont de fait stigmatisantes, permet de mettre l’accent sur la diversité des manières de parler et de penser, et sur la façon dont les mots prennent toujours sens en contexte.

 

Ces ambitions sont affichées par les programmes 2015. Les récentes évaluations nationales leur tournent le dos. L’essentiel semble ailleurs pour le ministre : préparer la révision des programmes de l’école maternelle pour hâter la production des compétences de décodage dans une temporalité balisée par des repères annuels.

 

Jeanne Julien

 

S Plane sur les recommandations Blanquer

Su rla démission de S Plane

Rapport Montaigne 2012

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 23 octobre 2018.

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