UDA : Gaël Pasquier : Danser pour déjouer des discriminations !  

Des garçons plus interrogés par les enseignantes et les enseignants que les filles, qui s’imposent dans les cours de récréation, mais des filles qui réussissent mieux que les garçons sans parvenir à transformer cet avantage dans le monde du travail. Quelques jalons parmi d’autres posés par Gaël Pasquier (Espe de Créteil) lors de l'Université d'automne du Snuipp le 20 octobre. Bien que des textes y encouragent, l’école travaille peu ces questions. Pour autant, des PE (Profs des écoles) tentent de placer comme objectif la question de l’égalité des sexes et des sexualités. Que produit leur travail quand on sait la complexité des processus de discrimination ? Les discriminations sont le fruit de processus complexes et se mettent en place bien souvent sans que les PE en aient conscience. Que se passe-t-il dans la classe ? Leur action produit-elle mécaniquement de l’égalité ? A partir d’entretiens, le chercheur a tenté de répondre à ces interrogations.

 

Danser pour remettre en cause les stéréotypes de sexe

 

L’enseignement de la danse, qu’un certain nombre d’enseignantes et d’enseignants programment explicitement pour « remettre en cause les stéréotypes de sexe », est éclairant. L’un d’eux explique : « j’y connaissais rien, mais c’est bien pour les garçons ». Il s’agit d’  « ouvrir les possibles, de permettre aux garçons de s’épanouir ». La mise en œuvre est pensée pour les garçons. Et parce que les filles sont supposées davantage apprécier cette activité, on ne s’intéresse plus vraiment à elles ; alors même que l’inverse n’est pas vrai dans le cadre de la pratique des sports collectifs. Et pour tenter de s’éviter réactions de rejet ou moqueries de la part des garçons, les PE vont modifier l’habillage de la tâche. Ils ne parleront pas de danse mais de chorégraphie ou d’expression corporelle. Ils pourront mettre en avant les aspects gymniques ou théâtraux, plus collectifs, au détriment d’aspects plus sensibles, expressifs et émotionnels. Les PE accompagnent par exemple la mise en place par des films qui mettent en scène des héros masculins comme « Chantons sous la pluie » ou « Billy Elliot ». Dans ce dernier, l’absence de personnage féminin où la représentation d’une danse légitimée pour les garçons dans le cadre d’une pratique exclusivement élitiste, peuvent poser question.

 

Des effets parfois paradoxaux

 

Malgré les précautions prises par les PE, des réactions hostiles de certains garçons, qui se mettent parfois en retrait de l’activité, nécessitent des temps de négociations importants. Du fait de cette attention plus forte à l’égard des garçons, eux sont vécus comme individus, quand les filles sont vues comme une catégorie, un peu en retrait. Pour éviter que l’activité ne dérape, les PE sont amenés parfois à tordre leurs objectifs d’apprentissage, à en rabattre, en acceptant que des garçons se mettent en retrait de l’activité, en négociant quand des garçons refusent de danser du « R’n’B », style associé aux filles, pour se cantonner à d’autres identifiés comme très masculin comme le « Hip hop ». Le problème du manque de connaissance de l’activité par les PE, peut les voir balloter par les propositions que les garçons veulent leur imposer, et détourner les objectifs d’apprentissage. Les actions mises en œuvre pour déjouer les inégalités peuvent donc parfois produire des effets en apparence paradoxaux. Des inégalités peuvent réapparaître alors qu’on s’y attend le moins, entre les sexes et les sexualités, ou des inégalités liées à leur enchevêtrement avec d’autres systèmes de domination. Les réactions hostiles de certains garçons sont en effet bien réelles mais tout est fait, de manière bien involontaire, pour faciliter leur prise de pouvoir dans la classe ; alors même qu’à d’autres moments, ces mêmes PE sont très attentifs à l’éviter. Tellement concentrés sur les stéréotypes de sexe, les PE négligent la manière dont ceux-ci s’articulent aux inégalités. Gaël Pasquier suggère pour y remédier d’associer les élèves à l’analyse de ce qui est en train de se passer et du fonctionnement des rapports de pouvoir dans la classe, qui permet aussi de les responsabiliser. Une stratégie déjà éprouvée par certains PE pour travailler sur une répartition égalitaire de la prise de parole, basée sur la réalité d’échanges enregistrés entre élèves.

 

Le rapport aux familles : une question sensible

 

Ces activités menées par des enseignantes et des enseignants questionnent également le rapport aux familles. L’école des compétences et des savoirs n’est pas étanche. La porosité entre l’univers de la classe et la vie privée des familles, rend visible ce qui se passe à la maison par le biais des réactions d’élèves et des parents. L’école valorise ou pas, plus ou moins explicitement, telle ou telle pratique familiale. Se pose alors la question de la perception que peuvent avoir des élèves de ce renvoi à l’idée que leur famille serait peu évoluée, que chez eux, l’égalité des sexes n’irait pas de soi. Le risque de conflit de loyauté est bien présent pour ces élèves confrontés à deux milieux qui tiennent des discours différents. L’école s’inscrit de fait en connivence avec des familles avec lesquelles il serait plus facile de travailler sur les questions d’égalité des sexes et des sexualités qu’avec d’autres. « Ici, je peux faire faire de la danse sans moqueries ni a priori … » déclare une enseignante. Cela peut conduire à ne pas pratiquer de telles activités pour ceux qui en auraient le plus besoin, et pour lesquels il serait plus important de le faire, ceux issus de milieux populaires et plus encore ceux supposés être de confession musulmane. D’autre part, dans leurs représentations, les PE pensent parfois que la question de l’égalité des sexes est réglée chez les familles des classes moyennes et supérieures. Pourtant, les chiffres des violences faites aux femmes témoignent d’une toute autre réalité. « Quand on enseigne, on entre en dilemme avec des représentations familiales » explique Gaël Pasquier. « Ces dilemmes sont difficiles à gérer, mais l’objectif serait de les tenir, ensemble. »

 

Et le conférencier de proposer quelques pistes en guise de conclusion, pour travailler les paradoxes de l’action éducative évoqués au long de son exposé :

-          Promouvoir certaines valeurs conformes aux idéaux démocratiques contemporains qui peuvent s’apparenter à de nouvelles normes et développer l’esprit critique des élèves ;

-          Prendre en compte la diversité des élèves et de leurs familles sans prôner le relativisme des valeurs ;

-          Interroger les représentations des enfants, leurs pratiques, sans être intrusif vis-à-vis de leur intimité et de ce qui se passe dans les familles ;

-          Construire des dispositifs qui permettent de questionner les idées et de les mettre en pratique, d’en faire l’expérience concrète, sans discréditer les personnes ou les familles …

 

Pierre Marie Gérarni

 

*Gaël Pasquier est maître de conférences en sociologie à l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education de Créteil. Il est membre du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Transformations des pratiques Educatives et des pratiques Sociales (LIRTES) et de l’Observatoire Universitaire International Education et Prévention (OUIEP). Ses recherches portent notamment sur les politiques éducatives en faveur de l’égalité de sexes et des sexualités et les pratiques enseignantes qui prennent en compte ces questions.

 

 

Par fjarraud , le mardi 23 octobre 2018.

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