Marc Bablet : Le rapport ne remet pas en question l'éducation prioritaire 

"Quand parait un rapport sur les questions éducatives, deux questions se posent : que dit-il vraiment et quel sens lui donne la pensée médiatique dominante ?" Ancien responsable de l'éducation prioritaire au ministère de l'éducation nationale, Marc Bablet réagit à la publication du rapport de la Cour des comptes.  Il met en évidence ses aspects positifs.

 

En 2016, le rapport du CNESCO sur les inégalités était largement consacré à l’éducation prioritaire dont il disait l’intérêt en valorisant notamment l’action en cours de la refondation. Des textes de chercheurs approfondissaient des questions très intéressantes. En revanche son écho médiatique fut très défavorable à l’éducation prioritaire compte tenu de l’interprétation qui fut donnée aux propos ambigus de sa présidente. Le ministère a tenu compte de ce rapport pour développer le travail sur la mixité sociale et scolaire ce qui est pertinent et utile et ne remet pas en question l’éducation prioritaire qui reste indispensable dans les écoles et établissements où cette mixité n’est pas possible.

 

En 2018, ce rapport de la cour des comptes doit être lu à deux niveaux : celui de la domination sur le champ médiatique de la pensée qui va dans le sens du ministre et celui du texte du rapport en fouillant son détail pour y trouver des éléments utiles à l’amélioration de cette politique que le rapport ne remet pas en cause et dont il soutient même clairement certaines orientations.

 

Or on voit bien déjà, aux titres dans la presse, que le discours dominant pousse au développement de l’idée que l’éducation prioritaire ne donne pas de résultats,  que la labellisation est négative et que les effets de seuil entre REP+, REP et hors EP ne sont pas acceptables. Une rhétorique qui prépare des abandons. Une manipulation de l’opinion sans association des personnels à l’élaboration de la politique. Tout le contraire de ce que nous avons fait avec la refondation où les personnels ont été associés et où les changements n’ont pas donné lieu à médiatisation avant que le travail ait été élaboré avec les principaux concernés des territoires de l’éducation prioritaire. Or sur ces thèmes les plus médiatisés, quand on lit le détail du rapport, le point de vue n’est pas aussi tranché que ce qui en est retenu. Il faut revenir au texte et s’y intéresser.

 

Pour ma part, je m’inscris en faux contre le discours dominant et je trouve très intéressant que la cour ait pris la peine de travailler de manière approfondie sur la politique d’éducation prioritaire. Cette politique publique mérite cet intérêt et les personnels qui travaillent dans ces écoles et collèges méritent pour le moins que l’on s’intéresse à eux et à leur travail au delà de jugements peu fondés sur des données de faible qualité. Ce rapport appelle à aller plus loin dans la connaissance du réel, c’est une chose appréciable. En conséquence le rapport de la cour mérite de ne pas être jugé trop vite, il est intéressant de le lire dans son détail et de se faire une opinion libre face au discours dominant.

 

Il est en outre très intéressant de prendre connaissance et de discuter les documents annexés disponibles sur le site de la cour (sondage, étude de l’IPP, données). Ainsi peut on faire d’un tel rapport un outil d’un travail de fond et pas simplement un temps vite passé d’un processus de construction de la pensée dominante. J’aurais même tendance à dire que pour résister à la pensée dominante il faut constamment s’appuyer sur toutes les données disponibles qui permettent de prendre de la distance en construisant des points de vue argumentés. C’est ce que fait l’OZP qui propose une analyse pertinente des points qui vont dans le bon sens et de ce qui pose question.

 

J’observe que ce rapport ne remet pas en question l’éducation prioritaire, n’évalue pas la refondation qui est trop récente pour avoir pu aboutir. Ce rapport reconnaît l’importance du temps pour évaluer une politique publique et reconnaît l’intérêt du travail qui fut conduit de 2013 à 2017, en particulier le pilotage national dont il conforte le principe (contre la pratique ministérielle actuelle). En outre il propose des analyses très intéressantes sur des points qui avaient peu été étudiés jusque là par les observateurs, comme la question du remplacement, de l’efficacité indemnitaire et des points au barème de mouvement. Il recherche l’avis des enseignants et des parents à travers un sondage (on peut toujours discuter les sondages quant à leur sens et à leur validité, dans ce cas on peut discuter notamment ce qui concerne les parents de milieux populaires car, compte tenu de ses conditions de passation, il ne peut prétendre toucher nombre de parents non alphabétisés en français).

 

Sa principale faiblesse est qu’il ne prend pas en compte la question pédagogique or on sait que les pratiques professionnelles ont une grande importance dans l’explication de la réussite scolaire en milieu populaire.

 

Ce rapport n’est pas un rapport godillot. Il faut lire ce qu’il dit clairement sur certains points d’actualité comme l’abandon de « plus de maîtres que de classes » qu’il regrette (page 60). Il insiste aussi sur l’importance de l’accueil des moins de trois ans que le ministre néglige au profit d’hypothétiques crèches (page 61). Il dit aussi qu’il y a lieu à renforcer encore le travail dans le cadre de la politique de la ville comme le proposait déjà le plan Borloo. Enfin il insiste également sur le fait que ce qui est déclaré prioritaire doit l’être véritablement, notamment au niveau des pilotages académiques. Il voit un bon signe dans les CP et CE1 à 12 tout en s’inquiétant de possibles effets négatifs sur les autres niveaux. Il plaide pour que l’on aille aussi plus loin sur d’autres sujets. Autant de remarques et propositions que le ministre serait bien inspiré de suivre pour renforcer la dynamique nécessaire en éducation prioritaire.

 

Marc Bablet

 

Une analyse plus longue sur son blog

L'analyse du Café

 

 

Par fjarraud , le jeudi 18 octobre 2018.

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