Directeur d’école : « Un pair parmi ses pairs même s’il en reste le premier » 

Le 1er août, un rapport parlementaire préconisait un statut hiérarchique au directeur d’école afin qu’il puisse assoir « autorité et décisions ». Le 11 septembre, l’OCDE recommandait de « conforter le statut et le rôle des directeurs d’école ». Le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’organisation de la fonction d’évaluation du système éducatif, rendu le 27 septembre, conseille, quant à lui, d’associer les directeurs à l’évaluation des enseignants. Ces différentes annonces semblent alimenter la volonté de new management du système scolaire portée par le ministère. Mais qu’en pensent les principaux concernés ? Quels sont leurs réels besoins ? Jérôme Guy et Isabelle Charbey sont tous deux directeurs, et ils ont accepté de nous décrire leur quotidien.

Jérome est enseignant depuis seize ans, directeur depuis deux à l’école Pierre et Marie Curie de Canet en Roussillon, une école de onze classes dont une ULIS. Isabelle est professeur des écoles depuis dix-huit ans et directrice d'école depuis seize dans une école primaire rurale de trois classes dans l’académie de Nice. « Une fonction que je ne connaissais pas et que j'ai dû assumé par intérim. La configuration de l'école a fait que j'étais la seule à être "éligible" à ce poste. Depuis 16 ans, les postes changent presque tous les ans dans l’école. Pas une rentrée sans nouveaux enseignants. Finalement je change d'école un peu tous les ans ».

 

Une journée type de directeur d’école ?

 

Lorsque l’on demande à Isabelle de nous décrire sa journée, elle nous répond spontanément : « Une journée de direction ou d'enseignant ? » C’est bien là, la difficulté ! « Je suis enseignante avant tout ! Ma casquette de directrice, je l’endosse même lorsque je suis en classe. J'arrive à l'école à 7h45, premiers contacts avec la garderie. Souvent les dysfonctionnements commencent là, le portail qui ne fonctionne pas, la photocopieuse qui est en panne, le petit L. qui est caché dans le couloir depuis 10 minutes et dont l'animatrice n'a pas noté l’arrivée... Ensuite, je commence à préparer ma classe. Mes collègues arrivent souvent alors et me sollicitent parce que les ordinateurs ou la photocopieuse ne fonctionnent plus, ou qu’il faut encore expliquer comment faire un agrandissement ou un rétrécissement.  Parfois on me montre des fiches de préparation ou on me questionne sur une séance. Cela ne me dérange pas, ce n'est pas le plus pénible. Au contraire, j'accompagne avec plaisir mes jeunes collègues ».

 

Tout ceci avant le début officiel de la journée d’Isabelle. « 8h18, mon alarme de téléphone sonne. Je donne le top départ et descends ouvrir le portail. Et là, j’enfile ma casquette de « relation publique » : écoute et accompagnement des parents. C’est parfois complexe ». Isabelle nous illustre une de ces journées délicates. « La semaine dernière, un père est arrivé très énervé, j'ai eu le droit à des insultes et à des menaces. C’est toute ma journée qui en a été bouleversée. J'ai une classe de cycle 2, je suis donc seule. Il m’a fallu calmer ce parent, ce qui m’a pris bien plus dix minutes. Et donc, en attendant, mes élèves devaient être gérés par les collègues. Il a ensuite fallu que je prenne le temps de téléphoner à l’inspection, à la gendarmerie, que je discute avec la maitresse "accusée" ». Toutes ces démarches, Isabelle les accomplit dans l’urgence, sur un temps où elle est sensée enseigner. Un temps d’apprentissage en moins pour ses élèves.

 

Jérôme nous expose une de ses journées classiques, lorsqu’il n’y aucune mauvaise surprise.  « La journée commence par un état des lieux de l’école. Je vérifie que tout est en ordre. Il me faut aussi être joignable par téléphone pour gérer les éventuelles absences des collègues et répondre aux parents ». Il a, aussi, instauré un rituel. « Chaque matin, je bois un café avec les collègues. Pour moi, c’est très important pour assurer une bonne entente dans l’école ». Le reste de la journée, Jérôme essaie de faire tout ce qu’il a prévu, mais ce n’est pas simple. « Je suis sans arrêt dérangé. Il me faut répondre au téléphone, ouvrir et fermer le portail de l’école plusieurs fois par jour. J’accueille aussi les élèves qui perturbent la classe, afin de décharger les enseignants. Je reçois les parents… » À 17h, Jérôme est à l’entrée de l’école « afin que les parents sachent que je suis disponible s’ils ont des questions, des réclamations ou s’ils veulent juste parler… »

 

Un temps de décharge peu adapté aux besoins et des aides enterrées par le gouvernement

 

Jérôme bénéficie de deux jours de décharge qui lui permettent de répondre à une grande partie des tâches administratives. Mais il reste sur sa faim. Le pilotage pédagogique, les projets avec les partenaires ? Il lui reste peu de temps à y consacrer. Et puis, Jérôme n’a jamais eu la chance d’avoir une aide à la direction.

 

Isabelle, quant à elle, a une journée de décharge par mois. « J'ai décidé de la consacrer aux parents, car ce lien est pour moi primordial. Du coup, j'organise un café des parents sur la matinée pour prendre le temps de leur faire comprendre ce qu'est l'école d'aujourd'hui, répondre à leurs inquiétudes et créer un climat de confiance ». Isabelle a connu un régime plus faste avec une journée de décharge par semaine mais elle l’a perdue depuis que l’école est passée à trois classes.  « À cette période, l’inspection m’avait octroyée une aide à la direction à temps plein. C'était vraiment bien ! Cette personne me soulageait sur tout le quotidien : téléphone, courrier administratif simple, enquête urgente, gestion du portail, rangement et classement, réception des livraisons, prise de rendez-vous avec la psychologue scolaire ou avec les parents, suivi des absences ou des dossiers MDPH. Parfois même aller à la poste – dont les horaires ne coïncident pas avec ceux de l’école. Elle permettait aussi de faire le lien avec les services de la mairie ».  Aujourd’hui, Isabelle ne bénéficie plus de cette aide, son quotidien de directrice s’en ressent fortement.

 

Des attentes nombreuses

 

Selon Isabelle, ce n’est pas si simple. « Cette question est difficile car je pense que chaque école est spécifique et nous n'avons pas tous les mêmes besoins. Dans mon cas, c’est d’une aide administrative dont j’ai réellement besoin. D’ailleurs, si tous les directeurs en avaient une, ils pourraient se concentrer sur des missions plus importantes, plus pédagogiques. Les temps de décharge doivent aussi être revus à la hausse afin de permettre de monter des projets pour dynamiser les équipes. Une journée par mois, c’est plus qu’insuffisant. Je ne veux pas d'un statut qui me ferait perdre mon contact avec la classe car pour moi, il est primordial. Du côté financier, il est évident que notre traitement devrait être revu à la hausse car les responsabilités et la pression ne sont pas très éloignées de ce que vivent les personnels encadrants, tels que les chefs d’établissement ».

 

Jérôme a participé aux états généraux de la direction organisés par le syndicat majoritaire du premier degré, le SNUipp-FSU. « Il est important de participer à des moments de partage entre pairs et d’élaboration d’actions. Le SNUipp a toujours consulté la profession sur des sujets importants, c’est sa spécificité. Notre Ministre a des projets bien précis sur la structure des écoles du premier degré. Il faut qu’il voie qu’il a en face de lui des enseignants soudés qui ne sont pas d’accord avec lui. Ces états généraux doivent être une première étape de construction d’une action collective nationale ». Le statut ? ce n’est pas ce dont a besoin l’École selon lui. « J’attends une aide administrative, un secrétariat, qui me dégage de toutes les tâches qui ne me permettent pas de travailler avec mes collègues pour les élèves. J’attends aussi plus de temps de décharge ». Ce qui est chronophage ? « Ce sont toutes ces enquêtes demandées par notre hiérarchie, c’est ouvrir et fermer le portail plusieurs fois par jour … Le travail de coordination de l’équipe pédagogique est le cœur de notre métier et ne peut se faire qu’avec une relation de confiance et de proximité entre tous les enseignants de l’école. Un statut hiérarchique couperait complètement cette relation et instaurerait de facto une cassure dans les écoles. La situation des collèges et lycées en est un exemple ».

 

Le directeur, maillon historique de l’école communale française, a vu ses tâches se diversifier et s’amplifier. Il reste un élément déterminant de la vie de l’école, de la relation aux familles, aux partenaires. Selon Isabelle, « Je dirais que mon rôle est d’accompagner les élèves, les parents, les enseignants, les personnels de l'école. Une forme d’"autorité maternelle" qui veille mais qui redonne le cadre et dynamise toute l'équipe ». Ce dont le directeur a vraiment besoin : un statut ou des moyens d’accomplir dignement ses missions ?

 

Lilia Ben Hamouda

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 03 octobre 2018.

Commentaires

  • montagny2, le 03/10/2018 à 13:50
    Dire que fjarraud se montrait critique quand 2 avis pour le statut étaient postés sur le les commentaires vendredi dernier....
    Quand on prend  ses reportages directement chez le Snuipp, on devrait avoir un peu de recul....
    " estime Lilia Ben Hamouda, ... d'une école maternelle à Stains (Seine-Saint-Denis) et déléguée du SNUipp."

    Jérôme a participé aux états généraux de la direction organisés par le syndicat majoritaire du premier degré, le SNUipp-FSU. « Il est important de participer à des moments de partage entre pairs et d’élaboration d’actions. Le SNUipp a toujours consulté la profession sur des sujets importants, c’est sa spécificité.

    Alors que dans le sondage Snuipp pour les Etats généraux de la direction, 45% des enseignants sont pour un statut....
    Démocratie et Snuipp ne font pas bon ménage sur ce coup-ci et de moins en moins en ce qui concerne la direction d'école.
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