L'Ecole est-elle gouvernée avec pragmatisme ? 

Comment lire la fabrication des politiques éducatives en France ? Quelle place y ont les études et les travaux scientifiques, les sociologues et les technocrates ?  Comment se construit le pilotage de l'Ecole ? Alors que JM Blanquer se réclame du pragmatisme et des résultats tirés de la science, est-ce ainsi qu'est gouvernée l'Ecole ? La revue Administration et éducation (n°159) s'attache à cette question et n'hésite pas à donner la parole aux chercheurs, ce qui est assez osé pour une revue initialement des administrateurs de l'Education nationale. Alain Boissinot, qui a dirigé ce numéro, construit ainsi une réflexion qui prend de la hauteur sans occulter le développement du populisme en éducation.

 

Des politiques d'éducation prioritaires hésitantes

 

Jean-Yves Rochex donne un premier exemple avec la politique d'éducation prioritaire qui vient défaire l'idée de politiques basées sur les faits. Dans un court article il montre qu'en 35 ans " l’accent n’a pas été mis sur les mêmes conceptions de cette politique, ni sur les mêmes principes de justice, au point qu’il semble possible de dire que trois « âges » ou modèles de cette politique se sont succédé et entremêlés". A sa naissance, elle vise à démocratiser toute l'Ecole en combinant rénovation de l'Ecole avec un renforcement de certains territoires. Dans les 1990s, on s'intéresse plus aux "perdants" du système et à combattre des phénomènes comme la violence ou l'absentéisme. Au 21ème siècle, cette politique vise des populations "à risques".

 

Du coup, remarque JY Rochex, la politique d'éducation prioritaire n'a pas visé en continu les mêmes cibles et suivi les mêmes conceptions. Il relève aussi que " alors que l’EP et le choix des catégories d’élèves, des territoires et des établissements qu’elle cible, se fondent pour l’essentiel sur des hypothèses, des critères ou des connaissances de type sociologique, la préoccupation sociologique s’estompe ou disparaît pour une large part lorsque l’on considère le travail, les présupposés et attendus, pédagogiques ou politiques, qui ont longtemps présidé au choix, à la mise en oeuvre et à la promotion des actions et projets les plus emblématiques et représentatifs de cette politique".

 

Du populisme éducatif

 

Xavier Pons porte un autre coup à cette vision de politiques pragmatiques à partir d'une exemple précis. Certes, il rappelle que l'on assiste à la montée d'un pragmatisme éducatif basé sur les études. " Parmi les effets de cette nouvelle gouvernance mis en avant par ses promoteurs, il y a l’idée qu’elle est supposée améliorer la rationalité de l’action publique mais aussi la qualité du débat public en éducation, l’opinion et les citoyens étant ainsi mieux éclairés par les informations et les connaissances produites par ces instruments de mesure. On le voit par exemple dans le discours sur l’evidence based policy"

 

Mais, a contrario, X Pons étudie la politique de lutte contre l'absentéisme des élèves qui est entrée dans le champ politique à partir du début du 21ème siècle dans la préparation des présidentielles. Le Sénateur Carle, puis N Sarkozy s'emparent du sujet avec l'idée de supprimer les allocations  familiales, une mesure qui date en fait des années 1960. Le débat politique se construit sur cette proposition.

 

" Cette controverse agit comme un écran", écrit X Pons. "D’une part, elle est omniprésente, il est difficile de parler d’absentéisme au Parlement par exemple sans évoquer ce sujet. D’autre part elle laisse très peu de place à des considérations alternatives. Je pense en particulier aux initiatives locales nombreuses et variées prises par des établissements scolaires, des autorités académiques ou des collectivités territoriales, et qui permettent de faire baisser, a priori ponctuellement, l’absentéisme des élèves, ainsi qu’aux travaux de recherche : les travaux sur le profil des absentéistes, la complexité des ruptures scolaires, les différentes vulnérabilités des élèves ou encore le rôle du fonctionnement même de l’institution scolaire dans la génération de cet absentéisme ne sont pratiquement jamais évoqués ailleurs que dans le débat académique".

 

" L’enquête montre que le débat public en matière de lutte contre l’absentéisme scolaire, et à travers lui l’action publique, se focalisent sur une mesure proposée par la droite gouvernementale. Pas vraiment nouvelle, très peu mise en oeuvre et jamais vraiment évaluée, celle-ci est conforme aux attentes perçues de la population, par le biais notamment de sondages d’opinion, mais elle tient peu compte des propositions, des arguments et des connaissances produits dans le cours de l’action publique, aussi bien par les spécialistes du sujet (chercheurs notamment) que par divers corps intermédiaires tels que les partis, les organisations professionnelles sectorielles et diverses associations qui s’indignent régulièrement sur le sujet", note X Pons.

 

Pour lui, on a affaire à du "populisme éducatif". "Ce populisme est éducatif à deux titres : parce qu’il véhicule une vision simplifiée de l’éducation selon laquelle il suffirait que les parents soient moins laxistes, plus autoritaires, pour que les enfants soient mieux éduqués et moins absentéistes, et parce qu’il permet d’associer une partie de la population traditionnellement éloignée des enjeux de la régulation institutionnelle de l’école. Les sondages d’opinion montrent par exemple que c’est parmi les personnes les moins qualifiées, les chômeurs ou les retraités que la mesure consistant à suspendre ou supprimer les allocations familiales rencontre le plus de succès... Par populisme éducatif, je désigne une situation politique dans laquelle les gouvernants proposent un programme d’action publique flattant les attentes perçues de la population sans tenir compte des propositions, des arguments et des connaissances produits dans le cours de l’action publique par les corps intermédiaires ou les spécialistes du sujet."

 

Blanquer est-il pragmatique ?

 

Denis Meuret interroge à son tour les politiques menées en France. "Qui veut gouverner l’éducation de façon pragmatique, disons en mettant en oeuvre des politiques « qui marchent », rencontre un certain nombre de limites", remarque-t-il. D'une part parce que les recherches ne balaient pas toutes les questions, et par exemple pas les nouvelles. Ensuite parce que la plupart n'évaluent que effets à court terme et non le devenir de l'élève. Analysant les politiques menées en FRance, D Meuret estime que, par exemple, le retour du redoublement ne se situe pas dans une action pragmatqiue. Pas plus que rétablir les bilangues. "Au total, si le procès en passéisme et en idéologie réactionnaire de cette administration me semble pour partie relever d’une incapacité de la gauche éducative à renouveler son logiciel critique, on ne peut considérer non plus que cette administration gouverne essentiellement à partir des évaluations et des résultats de la recherche".

 

Gouvernement des technocrates ou technique politique ?

 

Yves Verneuil prend du champ en menant une étude historique des politiques éducatives depuis le XIXème siècle. Mais c'est pour mieux ramener à la politique de JM BLanquer. Son ministère incarne -t-il la victoire des technocrates sur les idéologies d'antan ? "Certains considèrent cette prétendue sortie des idéologies comme la victoire… de l’idéologie néo-libérale. Selon Marcel Gauchet, le néolibéralisme se caractérise précisément par cette prétention à sortir de l’idéologie pour ne plus considérer que des problèmes techniques : « c’est un système où l’on n’a pas besoin de guide, mais de techniciens ». Si l’on adopte ce point de vue, une politique technique n’est finalement rien d’autre qu’une technique politique".

 

François Jarraud

 

Administration et éducation, n°159

 

Le sommaire

 

 

 

  

Par fjarraud , le lundi 01 octobre 2018.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces