Le Sénat demande un nouveau plan numérique 

"Réduits à de simples consommateurs fascinés par le déferlement incessant des innovations, il nous faut impérativement remettre de la verticalité dans notre relation au numérique et rester acteur de notre destin. C'est à cette condition que la France pourra rester dans la compétition mondiale". C'est un appel à la mobilisation, contre les Gafam et pour une reprise en mains de notre avenir que Catherine Morin Desailly (centriste), présidente de la Commission de la culture et de l'éducation du Sénat, a lancé le 28 juin. Dans un nouveau rapport elle appelle à lancer un énième plan numérique, axé sur la formation et à faire du numérique la grande cause nationale de 2019.

 

Haro sur les Gafam

 

"Le développement du numérique s'est accompagné d'un quasi monopole technique et économique des multinationales américaines et récemment chinoises... Cette dépendance fait courir un risque évident d'instrumentalisation du numérique à des fins politiques etr de sécurité mais également économiques et commerciales". Le rapport de C Morin Desailly est d'abord une déclaration de guerre aux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft).

 

Pour elle les Gafam relèvent d'un "capitalisme de la surveillance de masse" particulièrement nuisible. Elle rappelle les affaires Snowden, les scandales Prism ou Cambridge Analatyca. La chasse aux données réalisée par ces grandes entreprises menace nos libertés démocratiques et notre économie. Face à cela , "il faut reprendre notre destin en main", on est " à la croisée des chemins".

 

C Morin Desailly rappelle "la porosité" de l'éducation nationale  avec les Gafam, le départ du dernier directeur du numérique pour Amazon, les contrats avec les Gafam. Elle évoque aussi le poids symbolique de la visite à l'Elysée des mêmes Gafam appelés à la rescousse notamment pour de l'éducatif. Une des propositions du rapport c'est au contraire "affirmer notre souveraineté en matière d'éducation face aux géants du numérique", par exemple en remplaçant leurs outils par des outils nationaux, moteur de recherche par exemple et ressources numériques françaises.

 

Un énième plan numérique

 

C. Morin Desailly appelle à un grand effort de formation dans toute la société , de l'éducation nationale aux entreprises et à la formation professionnelle, appuyé sur la montée du numérique à la hauteur de grande cause nationale en 2019. Elle appelle le gouvernement à désigner un "commissaire au numérique" chargé de la coordination interministérielle des questions numériques doté d'une instance de pilotage associant Etat et collectivités locales.  C commissariat devra être doté des moyens suffisants pour généraliser la formation au numérique. Il s'agit donc d'un nouveau plan numérique national.

 

Mais une grande partie du rapport concerne l'Education nationale. Elle évoque le "bilan en deçà des attentes" du dernier plan de F Hollande avec "une utilisation traditionnelle des outils numériques". Le coup de grâce est donné par Pisa qui montre qu'il n'y a pas de lien entre une utilisation importante du numérique à l'école et l'amélioration des résultats. Au contraire les élèves qui passent beaucoup d'heures sur le nuémrique ont de moins bons résultats. Ceux qui ont un usage raisonne par contre ont de bons résultats.

 

D'abord, elle reprend l'idée d'un nouveau plan, avec un commissaire national. Même si les  collectivités territoriales sont associées au pilotage (au passage on se demande comment ça peut marcher), on reste dans le schéma top down traditionnel dont on a pu mesurer x fois l'inefficacité sur le terrain. Interrogée par le Café pédagogique sur cette contradiction, C Morin Desailly nous dit "qu'il faut une stratégie et l'énoncer et qu'il ne s'agit pas d'un plan d'équipement mais d'une stratégie". Mais le dernier plan aussi mettait la formation au centre avec des milliers de journées de formation lancées à la hâte par l'administration sans grande efficacité.

 

Des formateurs d'entreprise en Espe

 

Pour C Morin Desailly il faut revoir la formation initiale insuffisante. Selon elle le numérique représenterait moins de 15 heures sur 300 heures de formation en master 1. Pour cela il faut changer les formateurs "trop éloignés des classes" afin "de privilégier des praticiens capables". C Morin Desailly nous a précisé que dans son esprit il faut faire appel à des professionnels qui viendraient former les étudiants des Espe.

 

Elle souhaite aussi rendre la formation continue des enseignants du second degré obligatoire pour que tous suivent une formation numérique. Un mesure qui aurait un coup important .

 

Un capes d'informatique

 

Elle estime aussi qu'il faut mettre en place  un enseignement de l'informatique dans les lycées et pour cela créer un capes d'informatique. Pour C Morin Desailly, instituer ce concours c'est sanctuariser le numérique dans le système éducatif avec des spécialistes capables de suivre les évolutions. C'est là un vieux débat à l'intérieur de l'école, cet enseignement de l'informatique ayant une longue histoire depuis les années 1980. Derrière cette question il y a des conceptions pédagogiques qui s'affrontent entre un enseignement de l'informatique pur et dur et une éducation au numérique et à ses usages qui s'appuie sur les pratiques des jeunes. Mais elle ne semble pas voir cette opposition pourtant bien installée. Pour celle ce capes informatique permettra notamment d'enseigner l'économie du numérique.

 

Présent lors de cette présentation Marc Charbonnier (APHG) a relevé que ce capes ne s'appuierait pas sur une discipline scientifique et qu'il serait préférable d'avoir une certification pour les enseignants qui le souhaitent avec une approche multidisciplinaire.

 

L'Hadopi à la place du Clemi

 

Elle souhaite aussi renforcer l'EMI en associant la CNIL et l'Hadopi à l'Education nationale. Là aussi elle fait le choix d'en faire une discipline et non  une démarche transdisciplinaire pour "mettre le paquet". Clairement le Clemi n'aurait pu lieu d'être.

 

Un diagnostic exact pour une prescription fausse

 

C Morin Desailly en est à son troisième rapport sur le numérique (2013, 2015 et 2018) et son rapport est très bien documenté. Elle raconte en détail comment l'Ecole a connu 50 ans de plans informatiques très peu efficaces. Le diagnostic des plans précédents est précis et savants et on peut le recommander à ceux qui voudraient parcourir ce demi siècle numérique. Les plans se sont succédés et ont tous apporté des désillusions après un gaspillage d'argent public plus ou moins important.

 

Ce qui est surprenant dans le rapport de C Morin Desailly c'est que partant d'un diagnostic brillant elle arrive à faire les mêmes recommandations qui ont déjà échoué plusieurs fois. En lisant son rapport on se retrouve sur les choix faits plusieurs fois en vain : la grande machine nationale, les grands  équipements nationaux en ressources, les injonctions qui pleuvent du ciel, l'enseignement de l'informatique pure et dure. Autant de choses qui malgré les centaines de millions , n'ont obtenu que des résultats fort médiocres.

 

François Jarraud

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 29 juin 2018.

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