Cédric Ridel : En classe de géographie avec l'Aquarius 

La géographie ça ne sert pas qu'à faire la guerre, pour reprendre une formule célèbre. Ca sert aussi et surtout à fabriquer des citoyens. C'est ce que montre remarquablement Cédric Ridel qui a suivi avec ses élèves en direct le cheminement de l'Aquarius et de ses migrants à travers la Méditerranée pour donner un vrai sens à ce qui s'est passé. Un sens qui prend en compte la réalité géopolitique de la Méditerranée. Mais qui sait aussi développer chez les collégiens des consciences de citoyens où l'empathie a sa place.

 

Il faut aller loin pour rencontrer Cédric Ridel. Professeur d 'histoire-géographie depuis une vingtaine d'années, il enseigne au Lycée Français international Marguerite Duras à Hô Chi Minh-Ville (Viet Nam), un établissement de l'AEFE qui compte près de 900 élèves, de la maternelle à la terminale. " Nous suivons très exactement l’organisation et les programmes de n’importe quel collège ou lycée de France, mais avec un public plus international et bien sûr en partie de culture vietnamienne", nous dit Cédric Ridel.

 

En classe de 4ème il a construit dans l'urgence une séquence de géographie sur "le périple de l'Aquarius". Les élèves ont suivi en direct le parcours du navire avec ses 600 migrants à travers la Méditerranée grace au site Marine Traffic. Ils ont travaillé en groupe sur l'association SOS Méditerranée, le positionnement géopolitique des différents états, la situation de la Libye, l'origine des migrants. Ils ont créé un document collaboratif pour faire le bilan de leurs recherches et préparer leur exposé. Ils ont enregistré leur exposé avce Audacity. Au final ils ont construit une carte interactive du trajet de l'Aquarius qui réunit ces éléments.

 

Au final voilà une séquence qui déconstruit un événement à chaud en faisant appel aux compétences des 3 disciplines de l'historien-géographe : l'histoire, la géographie et l'EMC. Cédric Ridel s'en explique avec nous.

 

Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

 

Je souhaitais terminer l’année de 4e par la leçon « Un monde de migrants », avec l’idée de m’appuyer sur l’actualité et à partir de ce que les élèves pouvaient savoir ou des échos qui leur parvenaient. Sur ce sujet délicat, avoir des élèves plus mûrs qu’en début d’année est important.

 

Lorsque la crise de l’Aquarius s’est déclenchée j’ai commencé à la suivre tout naturellement, avec au départ l’idée de préparer un dossier pour créer une activité. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’il m’a soudain semblé évident que le site de suivi de bateaux MarineTraffic pouvait être un outil particulièrement intéressant. Les réactions positives reçues sur Twitter m’ont rapidement décidé à accepter le défi du rythme imposé par l’actualité, qui est, particulièrement dans ce cas, un tempo de l’urgence et de la dramatisation. Avec peu d’heures pour la réalisation de l’étude, nous allions nous adapter à ce rythme pour montrer non seulement que la pression peut aussi être motivante mais aussi que les outils numériques sont adaptés à un tel besoin, pour collaborer au-delà de l’espace-temps du travail en classe.

 

On accuse souvent les réseaux numériques de supporter le complotisme. Dans ce cas précis peuvent ils soutenir le développement d'une pensée critique et citoyenne ?

 

Effectivement, on ne peut sans cesse répéter aux élèves les injonctions à « ne pas faire de copier/coller » et à « vérifier les sources » sans les accompagner dans ces démarches par des exercices concrets les confrontant à des situations réelles. Ici, j’ai d’abord fait confiance aux élèves qui ont travaillé en autonomie durant leur week-end et le résultat montre qu’ils ont échappé sans aucun souci aux discours complotistes et extrémistes, ce qui est très rassurant. Ce type de travail, qui fonctionne à deux niveaux de collaboration, celui de la classe et celui du groupe, oblige les élèves à réfléchir en commun. On ne reste pas seul, on sait aussi qu’on s’intègre dans un travail de groupe qui oblige à sélectionner l’information, à la critiquer, à la confronter aux autres et donc à pouvoir la justifier. Il y a ainsi une régulation du groupe tout à fait profitable.

 

On peut aussi ajouter que la perspective d’un enregistrement audio responsabilise l’attitude citoyenne : on se trouve lié à un discours qui va être diffusé et restera disponible en ligne. Cette perspective d’une évaluation publique dans le long terme motive à être scrupuleux. Ainsi, faire de l’élève un producteur et non un consommateur renverse la situation : l’espace du web devient un atout pour renforcer la pensée critique.

 

Avec plus de temps, on pourrait imaginer aiguiller les élèves vers des sources de nature très variées, le long d’une séance entière encadrée en temps de classe, pour proposer une réflexion commune critique de ce qu’ils auraient retenu. Pourquoi, finalement, ne pas se confronter à l’argumentaire de certaines thèses extrémistes pour ne pas se contenter d’une simple dénonciation mais bien d’une analyse réfléchie.

 

Avec l'histoire de l'Aquarius on est à la croisée de la géographie, de l'histoire et de l'EMC. Diriez vous que cette séquence est une séquence de géographie citoyenne ?

 

C’est une belle expression qui montre combien le décloisonnement est nécessaire et profitable. C’est montrer aussi que le disciplinaire construit des savoirs qui sont en connexion totale avec le réel et sont au service d’une réflexion sur les attitudes citoyennes. Ici, faire de la géographie c’est aussi travailler l’inscription dans l’espace civique par les choix qui sont faits, de la cité qui se ferme et rejette à celle qui s’ouvre et accueille. On comprend alors que les destins individuels et collectifs se décident par des choix politiques qui sont souvent pris en fonction des électorats c’est-à-dire de nous et demain des élèves. C’est donc faire comprendre que c’est aussi l’attitude et les choix du citoyen qui conduisent à ces situations géopolitiques. Ainsi, on pourrait montrer comment les critiques portées à l’encontre de la politique du gouvernement ont conduit à une inflexion de la politique en proposant aux migrants qui le souhaitent de demander l’entrée en France.

 

Ensuite, l’étude de l’acteur humanitaire, l’association SOS Méditerranée, suscite une réflexion sur d’autres valeurs fondamentales, celles de l’engagement et de la fraternité. La détermination de Fabienne Lassale, directrice générale adjointe de l’association, est à ce titre remarquable et offre un cas d’étude pertinent.

 

En réaction à la publication du billet, notre collègue Denis Sestier parle de développement de l’empathie des élèves et je crois qu’il a parfaitement raison. Car finalement le troisième acteur est en fait le principal, ce groupe de migrants qui a incarné, le temps de la crise, l’ensemble de ceux qui fuient les conditions que l’on sait. C’est aussi leur destin qu’il faut comprendre pour contribuer modestement à améliorer le vivre ensemble.

 

Quels échos avez vous eu de cette séquence ?

 

Ce sont d’abord les échos au premier tweet qui ont renforcé l’idée qu’il était urgent de faire quelque chose avec cette crise. Le contexte de fin d’année fait que j’ai pas pu faire de bilan avec la classe mais il serait intéressant de savoir si cette activité a pu susciter des discussions ou des débats en famille, ce qui serait bien sûr une grande satisfaction. Je me réjouis également des réponses de certains collègues, qui pensent notamment s’approprier la démarche pour la transposer dans d’autres contextes. À mon sens cet exercice pourrait vraiment servir un scénario impliquant plusieurs établissements.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

La séquence

 

C Ridel : En histoire jouer les situations complexes

Pierre Ramon : Cartographier le parcours d'un migrant

Pour une approche numérique des migrants basée sur leurs pages Facebook on pourra consulter ce remarquable site de Katerina Linos de l'UC Berkely

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 22 juin 2018.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces