Annick Desandère : Et si on enseignait aussi l’oral ? 

Comment faire de l’oral un véritable objet d’apprentissage ? Au Collège Val de la Sensée d’Arleux (59), Annick Desandère tente des pratiques transférables. Par exemple, les élèves participent à des «  débats interprétatifs » autour des œuvres étudiées, filment ces échanges pour les analyser, étudient des émissions télévisées, travaillent en ateliers les différentes compétences en jeu, utilisent le numérique pour enregistrer et retravailler leurs « brouillons sonores » … L’enjeu est de dépasser les habitudes qui font de l’oral une modalité d’évaluation (la récitation, l’exposé) plus qu’une réelle activité de classe, réfléchie et réflexive. Les nouveaux programmes de français au collège le recommandent, l’accompagnement personnalisé tel qu’il est envisagé en seconde à la rentrée 2018 ou le « grand oral » annoncé en terminale nous y invitent aussi …

 

Pouvez-vous expliquer ce qu’est un « débat interprétatif » ?

 

Pour moi, le débat interprétatif est l’activité discursive qui permet d’aboutir à une co-construction des significations d’une œuvre. Pour qu’il y ait véritablement débat, et non simple discussion, il faut que celui-ci porte sur des points d’incertitude. L’ensemble des interventions met à distance l’objet-œuvre, apportant des éclairages aussi bien au niveau de la compréhension que de l’interprétation. Pour que les élèves deviennent des lecteurs experts, nous leur faisons découvrir des textes « ouverts » pour lesquels ils doivent choisir et proposer une interprétation. Si cette confrontation à une incertitude du sens les rend parfois silencieux quand ils sont seuls face à leur copie ou au groupe-classe, j’ai pu constater qu’elle est très souvent mieux vécue en groupe. Chaque débatteur propose son interprétation, écoute, prend en compte celle des autres, et partant réinterroge le texte et la signification qu’il a lui-même construite. C’est en ce sens que le débat interprétatif devient pour moi un véritable outil de réflexion au sein de la classe.

 

Vous avez filmé un débat interprétatif en 4ème autour d’une nouvelle de Maupassant : quel était le dispositif ici mis en place ?

 

Après avoir étudié le début de la nouvelle de Maupassant « La Ficelle » jusqu’à la disparition du portefeuille, j’ai demandé aux élèves de faire une lecture attentive de la suite à la maison. En classe, je leur ai fait expliciter ce qu’ils entendaient par « débat » et leur ai indiqué que certains élèves allaient être filmés en train de débattre et que cette production servirait à fixer des objectifs d’apprentissage pour les futures séances.

 

J’ai réparti les élèves en groupes en leur posant la question : « M.   Hauchecorne est-il fautif ou victime ? ». Comme spontanément les groupes avaient répondu de manière très tranchée sur son innocence ou sa culpabilité, j’ai décidé de demander à un élève volontaire par groupe de participer à un débat contradictoire et à un élève d’être l’animateur. Pendant qu’ils consultaient leurs notes, j’ai préparé l’auditoire à écouter le débat et à poser ensuite des questions.

 

Pouvez-vous donner d’autres exemples de débats interprétatifs ?

 

Je mets en place d’autres dispositifs selon le moment de l’année, la réaction des élèves face à l’œuvre… Par exemple en classe de 3ème cette année, j’ai demandé de lire « Inconnu à cette adresse » de K. Kressmann-Taylor (les 3 premières lettres de l’œuvre avaient été abordées en classe) et de prendre des notes sur un personnage principal. En classe, je les ai réunis en groupes selon le personnage choisi : Martin est-il le plus inhumain ? Max est-il le plus humain ? Griselle est-elle un personnage secondaire ? A l’intérieur des groupes, l’échange a donné lieu à des négociations assez vives, à des approfondissements, des interrogations suffisamment riches liées aux ambiguïtés de l’œuvre, avec des références précises au texte (ce qui avait été demandé parce qu’ils sont en 3è) pour que la mise en commun se fasse en classe entière.

 

Qu’a fait apparaitre le retour réflexif sur le débat interprétatif filmé autour de Maupassant ?

 

Le débat mené en 4ème m’a permis de voir que les élèves ont des capacités à prendre position, à argumenter en s’appuyant sur leur lecture. En revanche, ils ne prennent pas en compte (ou peu) les arguments des autres débatteurs. En effet, ils ne disent pas en quoi ils contestent leurs arguments, ni ce qu’ils concèdent, ils n’approfondissent pas non plus. Cette absence d’interaction, de négociation et donc de véritable débat ne saute pas aux yeux des élèves quand ils visionnent le film. Ils perçoivent assez bien les points forts et les points à améliorer concernant la posture des débatteurs, le respect des tours de parole et la compréhension des arguments. Certains ont aussi fait remarquer (et non à l’issue du débat lui-même) que le texte ne renfermait pas une seule réponse à la question. Si la participation à un débat en tant qu’intervenant ou simple auditeur peut faire comprendre que l’interprétation est liée à l’œuvre mais qu’elle dépend aussi des connaissances, de la vison du monde et des valeurs du lecteur, j’estime qu’elle est intéressante à solliciter.

 

Vous avez aussi amené les élèves à analyser des débats d’experts : selon quelles modalités et avec quels enseignements ?

 

J’ai proposé aux élèves munis d’un casque en salle-pupitre d’analyser un débat sur l’autorisation de la battue au loup avec une feuille de route à remplir sur la circulation de la parole, les arguments et le langage. Lors de la mise en commun, nous avons insisté surtout sur la progression du débat avec un schéma au tableau indiquant les arguments avancés, les réfutations et les concessions. Nous sommes revenus sur leur représentation du débat en général et avons élaboré une grille de critères de réussite du « bon débatteur ». Il serait aussi envisageable et intéressant de proposer à l’analyse un débat interprétatif de bonne tenue mené en classe de 3ème.

 

Comment ces différentes analyses sont-elles ensuite exploitées pour aider les élèves à améliorer leur capacité à débattre ?

 

Plusieurs ateliers au fur et à mesure de la séquence didactique  sont mis en place pour faire acquérir les objectifs d’apprentissage. Par exemple, un atelier est consacré aux modalités langagières : Comment concéder ? Comment réfuter ? Comment voler la parole ? Dans un autre atelier, les élèves en face à face sont obligés de reprendre le discours de l’autre avant de l’intégrer au leur et d’avancer leurs propres arguments.

 

De manière générale, pourquoi vous semble-t-il important de faire de l’oral un objet d’enseignement tout autant qu’une modalité de travail ?

 

Pour moi, les compétences à l’oral ne sont pas innées. Avant l’évaluation sommative d’une production orale, j’essaie toujours de mettre les élèves au moins deux fois en situation d’apprentissage. Les séances en atelier sont aussi des moments privilégiés pour la différenciation.

 

En quoi le numérique peut-il nous aider à améliorer les compétences orales des élèves ?

 

L’analyse des productions enregistrées ou filmées révèle au professeur ainsi qu’aux élèves les besoins particuliers de tel ou tel élève, ce qui est à améliorer mais aussi les progrès qui ont été réalisés. Dans les ateliers, les élèves sont en groupe et s’enregistrent au dictaphone ou se filment. Ils utilisent la production comme un brouillon sonore : ils peuvent se réécouter et très souvent ils veulent recommencer. N’oublions pas que, lorsque le professeur est « hors jeu », la parole est aussi plus libre, l’espace à penser plus grand pour ceux qui n’oseraient pas s’exprimer dans un rapport frontal avec le professeur et le groupe-classe.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Sur le site de l’académie de Lille :

Le débat d’expert étudié

D’autres activités orales dans Le Café pédagogique

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 18 juin 2018.

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