La loi encadrant l'usage des portables adoptée 

"Franchement c'est une très belle Tartufferie". La formule du député LR Patrick Hetzel a fait des remous. Mais elle résume assez bien le jeu des amendements, contre amendements et l'évolution curieuse de ce texte improvisé , envoyé en urgence au Parlement. Si le 7 juin, l'Assemblée nationale a adopté en 1ère lecture la proposition de loi sur l'encadrement des portables c'est au prix de débats qui ont duré toute la journée. Cela fait beaucoup pour un texte qui ne compte que 4 articles, qui porte sur un sujet somme toute assez secondaire au regard des problèmes nationaux, et dont la portée réelle reste à démontrer.

 

Un texte court mais qui a beaucoup bougé

 

A l'origine du texte, un engagement du candidat Emmanuel Macron. "L'interdiction" des portables est mise en avant dans son programme. Finalement elle semble devenue secondaire jusqu'à la présentation en urgence de la proposition de loi du député En Marche R Ferrand.

 

Celle-ci compte au départ un seul article. Mais finalement la commission de l'éducation ajoute trois autres articles. Une inflation qui marque un certain amateurisme dans la première rédaction. Ce n'est pas tout le titre de la loi est lui aussi modifié en commission. La loi d'interdiction des portables devient la loi d'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges.

 

L'ancien et le nouveau texte

 

L'article L511-5 du code de l'éducation adopté en 2010 disait : "Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l'utilisation durant toute activité d'enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d'un téléphone mobile est interdite."

 

Cet article est modifié ainsi : "L’utilisation d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement  terminal  de  communications  électroniques  par  un  élève  est, sauf  pour  des  usages  pédagogiques,  interdite  dans  les  écoles  maternelles, les  écoles  élémentaires  et  les  collèges  et  pendant  toute  activité  liée  à l’enseignement qui se déroule à l’extérieur de leur enceinte, à l’exception des  lieux  où,  dans  les  conditions  qu’il  précise,  le  règlement  intérieur l’autorise expressément. Le présent article n’est pas applicable aux équipements que les élèves présentant  un  handicap  ou  un  trouble  de  santé  invalidant  sont  autorisés  à  utiliser dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre III".

 

Par rapport au texte de 2010, cet article de la loi d'interdiction a surtout pour effet d'autoriser l'usage des téléphones portables pour des usages pédagogiques et par des élèves handicapés. Ensuite seulement elle étend l'interdiction à toutes les activités d'enseignement y compris à l'extérieur de l'école ou l'établissement.

 

En fait chaque école ou établissement définit les lieux où le portable est autorisé, ce qui était déjà le cas dans le texte de 2010. La majorité dit que la loi fixe l'interdiction comme régime général. Mais par rapport au texte de 2010 , le nouveau texte est en fait paradoxalement plus permissif.

 

Un amendement déposé par le député En Marche Cédric Roussel et adopté permet la confiscation du portable. "Un membre de l’équipe de direction ou un personnel enseignant  peut  confisquer  le  téléphone  portable  ou  tout  autre  équipement  terminal de  communications  électroniques  de  l’élève  si  celui- ci  en  fait  usage en méconnaissance de l’article L. 511-5. Le membre de l’équipe de direction  ou  le  personnel  enseignant  le  transmet  dès  réception  au  chef  d’établissement ou au directeur de l’école. L’objet confisqué est remis à une personne responsable de l’élève ou, à  défaut,  restitué  à  l’élève  lui-même,  au  plus  tard  lorsqu’il  quitte l’établissement à la fin des activités d’enseignement de la journée". On notera que la confiscation ne peut excéder la durée de la journée de cours et que l'appareil doit en principe être remis aux parents (qui vont surement apprécier).

 

Pas moins de trois articles ont été ajoutés à cette proposition de loi qui ne comptait au départ qu'un article unique.

 

L'article 2 apporte un ajout à l'article L212-1 du code de l'éducation en incluant dans l'obligation de faire de l'éducation civique les usages d'internet . Cet article se lit maintenant comme ceci au début :"Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail... Ils concourent à l'éducation à la responsabilité civique, y compris dans l'utilisation d'Internet et des services de communication en ligne,  et participent à la prévention de la délinquance".

 

Le nouvel article 3 développe cette idée en précisant dans l'article L 312-9 ce que sera l'éducation aux usages responsables d'internet et en précisant notamment qu'elle "contribue au développement de l'esprit critique et à l'apprentissage de la citoyenneté numérique". L'expression "citoyenneté numérique" a été vivement critiquée par les députés LR et une députée d'extrême droite qui trouvent la formule floue.

 

Un nouvel article 4 modifie l'article L 401-1 du même code afin de permettre des expérimentations sur l'utilisation des outils et ressources numériques. Il s'écrit maintenant comme ceci : "Sous réserve de l'autorisation préalable des autorités académiques, le projet d'école ou d'établissement peut prévoir la réalisation d'expérimentations, pour une durée maximum de cinq ans, portant sur l'enseignement des disciplines, l'interdisciplinarité, l'utilisation des outils et ressources numériques, l'organisation pédagogique de la classe, de l'école ou de l'établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d'enseignement scolaire. Ces expérimentations font l'objet d'une évaluation annuelle." Il est ajouté qu'un rapport d'évaluation sur ces expérimentations est transmis au parlement avant le 1er septembre 2020.

 

Les professeurs autorisés à utiliser leur portable

 

L'amendement de Cédric Roussel, un député EM, interdisant l'utilisation du portable par les enseignants a été retiré. La député socialiste Michèle Victory avait mis en garde la majorité. " "Si cet amendement est adopté, l’ensemble de la communauté éducative dans les écoles et les collèges aura l’interdiction d’utiliser son téléphone portable dans les établissements... Ce serait un acte de défiance vis-à-vis de la communauté éducative. Placer des professeurs et des adultes au même régime que des élèves mineurs renforce la confusion des rôles de chacun. Dans un établissement, chers collègues, l’exemplarité ne consiste pas à mettre les adultes sur le même pied que les enfants ou les adolescents... De plus, s’il était adopté, cet amendement poserait un problème de sécurité dans les établissements. Cela reviendrait en effet à priver les chefs d’établissement, les CPE – les conseillers principaux d’éducation – et leurs équipes de la possibilité de recourir à l’usage du téléphone dans des cas où la sécurité est en jeu, dans des circonstances plus ou moins graves et où le téléphone portable est un outil de travail".

 

Pour entrer en vigueur il faudra attendre que la loi soit adoptée par le Sénat. Mais ça pourrait aller vite. Le ministre a annoncé la prochaine publication d'un Vademecum précisant les "bonnes pratiques" que le ministre souhaite voir appliquées dans les établissements.

 

La majorité entre interdiction et autorisation

 

Un débat houleux a accompagné le vote de la loi toute la journée. Les députés LR ont été les plus pugnaces, demandant un rejet puis un renvoi en commission.

 

Du coté de la majorité on a senti dès le début une certaine gêne. En effet il lui fallait justifier une loi d'interdiction qui redoublait celle de 2010 et se payait le luxe d'être plus permissive ! La solution trouvée par la rapporteure, Cathy Racon-Bouzon (EM) puis par le ministre c'est de s'appesantir sur les méfaits du portable. Ainsi le portable affecte " les capacités d’attention, de concentration et de mémorisation des élèves en classe... Le climat scolaire s’en trouve affecté... L’usage des portables chez les enfants soulève des questions de santé publique. Certes, les effets de l’exposition aux radiofréquences sur la santé des enfants ne sont pas prouvés scientifiquement mais leur absence ne l’est pas non plus. Par ailleurs, plusieurs études établissent des liens entre un usage intensif des téléphones portables, et plus largement des écrans, avec des problèmes relationnels et émotionnels, des troubles du sommeil et de l’attention, des phénomènes de dépendance et d’addiction", dit la rapporteure. Le ministre va utiliser lui aussi le mot addiction. Pour la rapporteure la loi de 2010 a montré ses limites puisqu'elle ne serait pas appliquée partout. Une affirmation sans doute un peu aventurée. Il y a sans aucun doute beaucoup d'élèves qui utilisent leur portable en cours mais c'est en cachette des enseignants et non avec leur bénédiction (hors usage pédagogique).

 

JM Blanquer va lui se retrancher derrière un motif légal. " Le juge administratif n’admettant pas de manière certaine la légalité d’une interdiction générale prise par le pouvoir réglementaire et seuls les chefs d’établissements pouvant inscrire à l’ordre du jour des conseils d’administration une telle mesure sans que cela soit considéré comme impératif, l’effectivité de l’interdiction n’est pas assurée", dit-il.

 

Une loi inutile ?

 

Malheureusement les députés LR P Hetzel et F Riess ont préparé leurs dossiers. Pour F Reiss cette proposition de loi n'est "qu'une pure opération de communication". Il le prouve en démontrant que la loi de 2010 suffit. Il donne des exemples de ce qui se passe dans les établissements. A l'argument du ministre il oppose un guide ministériel (Document d'aide à la rédaction du règlement intérieur) qui montre qu'il est possible de confisquer un portable aujourd'hui , du moins sur le plan légal et à certaines conditions.

 

Pour le député socialiste Hervé Saulignac la loi est inutile car elle ne règle rien. " Vous ne dites pas comment vous comptez obtenir son respect. D’une certaine manière, vous laissez les établissements seuls face à des problèmes qu’ils ne parviennent pas à régler, et qui ne sont pas nouveaux. Et j’ai la faiblesse de penser que vous allez en ajouter d’autres. J’imagine des chefs d’établissements qui vont recevoir, certainement en grand nombre, des parents qui ne comprendront pas qu’ils ne peuvent pas envoyer un message au petit dernier. Vous allez également avoir des débats avec la communauté éducative, peut-être aussi avec certains conseils départementaux qui seront sollicités pour installer des casiers".

 

Cette position sera aussi celle des députés FI : " La vraie question est : comment faut-il faire, concrètement ? Or votre proposition de loi ne nous aide en rien à y répondre", explique A Corbière. " Tous les établissements scolaires sont dotés d’un règlement intérieur : il faudrait peut-être se demander pourquoi on n’arrive pas à le faire respecter. Pourquoi, en dépit des sanctions – heures de colle, exclusions temporaires, etc. –, les enseignants n’arrivent-ils pas à faire respecter le règlement intérieur ? C’est à cela que nous devrions réfléchir, au lieu d’adopter encore une loi d’interdiction", explique Caroline Fiat.

 

Enfin la loi a été l'occasion d'une belle déferlante technophobe à droite, associant députés EM, LR ,Modem et UDI. Le pompon revient à Béatrice Descamps (UDI) : " Une étude de 2017 a mis en relief une connexion entre l’utilisation intense d’un smartphone et le risque de santé mentale chez les jeunes adolescents. Leur sommeil est troublé par la lumière bleue des écrans, qui ralentit la production de mélatonine – l’hormone de l’endormissement – et leur vue se dégrade car les écrans assèchent les yeux et aggravent des troubles latents comme la myopie. D’autres études ont également signalé les liens entre l’usage intensif des téléphones portables et la perte de certaines fonctions cognitives comme la mémoire et la capacité d’attention."

 

Qu'est ce qui change ?

 

Cette loi va t-elle réellement changer les choses ? Les enseignants qui veulent utiliser les portables en classe ont maintenant un argument juridique pour le faire à condition que le réglement intérieur le prévoit. Pour le reste la loi ne change pas grand chose. Ce sont les établissements qui vont en faire la mise en place concrète en fonction des problèmes qu'ils rencontrent. Certains utiliseront la loi dans un sens très restrictif. Ils devront payer le prix de son application. D'autres l'appliqueront de façon beaucoup plus ouverte. Tous devront tenir compte de leur capacité réelle à faire appliquer le règlement. Si l'autorité n'est légitime que dans le cadre de la loi, celle ci ne suffit certainement pas à l'asseoir. Ce sont les enseignants qui seront aux premières loges pour gérer la situation avec pédagogie.

 

Dans un communiqué, la rapporteure EM Cathy Racon-Bouzon estime que la loi "créer un « droit à la déconnexion » des enfants pendant le temps scolaire" et "souhaite que « l’école constitue une sorte d’« ilot », où les enfants puissent se concentrer sur leurs cours et développer les interactions avec leurs camarades ". L'appel à de tels fantasmes semble démontrer que la loi a atteint ce qui est peut-être son principal objectif : réaliser une belle opération de communication.

 

François Jarraud

 

Le nouveau texte

Le texte de départ

Le débat à  l'Assemblée

Le débat à l'Assemblée

 

 

Par fjarraud , le vendredi 08 juin 2018.

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