Philippe Vincent (Snpden) : Les chefs d'établissement ne demandent pas à recruter les enseignants 

"Un jour mon chef d'établissement m'a dit : "plutôt que de me casser les pieds au conseil d'administration, deviens chef d'établissement toi-même". Professeur d'histoire-géographie, Philippe Vincent l'a écouté. Il a passé le concours de personnel de direction. Et depuis le congrès de Colmar (du 14 au 17 mai), il est secrétaire général du Snpden, le premier syndicat de chefs d'établissement, où il succède à Philippe Tournier. Au retour du congrès, il fait le point sur les dossiers du moment à commencer par le mal-être des personnels de direction.

 

"L'époque où on montait sur les tables est terminée". Au Snpden l'élection du secrétaire général est une formalité quasi soviétique car il n'y a qu'une seule liste. Philippe Vincent nous promet que ce n'est pas le résultat du long règne de Philippe Ier (comprenez Philippe Tournier). "Il y a bien sur des divergences qui s'expriment dans le syndicat. On l'a vu au congrès à propos de la réforme du lycée professionnel par exemple. Dans ce cas on ne décide pas et on relance la discussion". Le syndicat préfère le consensus aux tendances. Le souvenir de P. Tournier est palpable. "Il a fait du Snpden un interlocuteur crédible dans le débat éducatif. Pour celui qui lui succède la marche est haute", confie Philippe Vincent. C'est pourtant le moment de l'état des lieux post congrès.

 

Le congrès de Colmar évoque le mal-être des personnels de direction. Qu'est ce qui le génère?

 

Les collègues nous le disent. C'est un sentiment de fatigue et aussi de déficit de reconnaissance qui est exprimé par les personnels de direction. Il a plusieurs causes. D'abord on reste un des rares services publics en contact direct avec les usagers. On gère des parents en masse et donc les difficultés sont multipliées.

 

Et puis il y a aussi les modes de gouvernance aussi bien des académies que des collectivités locales. Les départements par exemple se mêlent de tout, n'hésitent pas à faire des choix pédagogiques à la place des établissements. On s'est plaint du harcèlement de papier venu des académies. Là ça a changé : aujourd'hui ce sont des mails. On a le sentiment que les établissements sont devenus l'opérateur de terrain pour des missions qui ne sont plus exercées par les autorités académiques. Par exemple, c'est le cas des examens. Le travail qui était fait il y a 10 ans par la Division des examens des rectorats se fait maintenant dans les établissements. Et ça se traduit par davantage de travail et de pression pour les personnels de direction.

 

Il a été question de rapprocher les carrières des personnels de direction avec celles des IEN, et IPR. Quelle est votre position ?

 

On est les plus favorables avec les IEN. Il faut comprendre que les carrières des personnels de direction ont changé. On n'entre plus dans le métier vers la cinquantaine avec la perspective de 10 ans de carrière. On entre 10 à 15 ans plus tôt pour une carrière beaucoup plus longue. Les collègues se posent la question de leur 3ème carrière.

 

Le Baromètre Unsa fait apparaitre cette année une nouveauté. Pour la première fois les personnels de direction déclarent ne plus être en accord avec les choix du ministère. C'est un des facteurs de mal être ?

 

C'est sans doute lié au contexte politique. On a des orientations idéologiques plus en phase avec la gauche qui était aux affaires jusqu'en 2017.  Les initiatives du nouveau gouvernement sont plus difficiles à saisir. Il y a sans doute aussi le fait que depuis un an tout va très vite avec le rythme que JM Blanquer impose. On passe notre temps à courir après ses décisions. Par exemple la rentrée en musique a été très mal perçue surtout quand on nous demandait de l'appliquer la veille pour le lendemain.

 

On a cette année, selon la presse, davantage de directions en difficultés avec des enseignants qui se plaignent de harcèlement. Comment expliquez vous cela ?

 

On le constate aussi dans les procédures disciplinaires lancées contre des collègues. Est ce parce que certains se sentent en difficulté qu'ils adoptent des postures plus dirigistes ? Mais globalement nos relations avec les salles des professeurs ne sont pas plus compliquées qu'avant.

 

Le ministre veut renforcer la gestion de proximité. Il évoque par exemple le recrutement des enseignants par les chefs d'établissement. Il veut commencer par le faire pour les contractuels. Qu'en pensez vous ?

 

Nous ne sommes pas demandeurs.  On a déjà des difficultés pour les remplacements. La tendance des rectorats est de nous demander des propositions de candidats. Mais on n'est pas équipé pour faire de la direction de ressources humaines. Un lycée aujourd'hui a gardé presque la même équipe qu'au temps de Napoléon. Et il a beaucoup plus de missions. L'EPLE (établissement public local d'enseignement) est sous administré. On n'a ni les outils ni les méthodes pour bien faire de la DRH.

 

Vous appréhendez la réforme du bac ?

 

On appréhende le risque du double usage. On ne veut pas d'épreuves en plus des épreuves existantes. On en voulait moins car on voit bien que le bac arrête le fonctionnement des lycées dès début juin. On était pour l'idée de mettre plus d'épreuves tout au long de l'année et aussi qu'elles permettent d'aider à l'orientation. Mais si on doit faire des épreuves en 1ère et terminale et en plus des bacs blancs, ce ne sera pas possible. On sera très attentif à cela.

 

La réforme du lycée vous semble positive ?

 

IL faut voir comment elle sera mise en place. L'idée que les élèves choisissent des spécialités plutôt qu'une filière, que des spécialités les préparent mieux aux études supérieures, tout cela nous semble positif. Mais il faudra voir comment cela s'organise. Quel niveau d'organisation des spécialités sera retenu ? Il y aura-t-il un schéma national ? Des choix académiques ? Ou laissera t-on les établissements s'organiser en réseaux ?

 

J'ai cru comprendre qu'une bonne partie des décisions sera dans la main des académies. Ce sera peut être comme pour les lycées technologiques :l'académie fera une carte des spécialités offertes aux lycéens. Si c'est bien régulé et harmonisé sur un territoire, avec une part d'autonomie des établissements, ça peut fonctionner. Il faut surtout éviter une concurrence entre les établissements publics.

 

L'autonomie ça peut vraiment fonctionner dans l'éducation nationale ?

 

On est attaché à des marges d'autonomie. Il faut un cadre national qui impose des orientations mais l'établissement doit avoir le moyen de choisir des orientations pédagogiques.

 

Aujourd'hui on estime qu'il gère 20% de la dotation horaire. Ca vous parait suffisant ?

 

C'est plutôt autour de 15% car il y a des régulations qui sont quasi automatiques. Quand dans un établissement on a pris l'habitude de dédoubler d'une certaine façon c'est très difficile de revenir dessus par exemple. Les personnels de direction sont attachés aux choix du conseil d'administration. L'autonomie ce n'est pas une lubie du chef d'établissement.

 

On peut vraiment partager les choix de gestion dans un établissement ?

 

On peut les présenter. Quand on met sur la table des choix ça intéresse les parents et les enseignants.

 

Dans les mandats du congrès de Colmar, le Snpden dit qu'il veut défendre l'autonomie des établissement notamment pour la libre constitution des classes et des groupes. Et en même temps le congrès affirme qu'il est pour la mixité sociale dans les établissements. N'est ce pas contradictoire ? Je me rappelle l'opposition du Snpden à la circulaire Robine qui voulait empêcher la constitution de classes socialement homogènes par le jeu des options...

 

Ce n'est pas forcément contradictoire. D'abord la libre constitution des classes c'est ce que la code de l'Education dit. Ce sont des choix qui doivent se décider dans l'établissement. Il nous avait semblé que la circulaire Robine permettait avec la même écriture de faire des choses bien différentes.

 

On connait bien les déséquilibres sociaux et scolaires dans les établissements. Quand un établissement a une population mixte socialement il peut réguler cela en interne. Quand ce n'est pas le cas c'est à l'académie de jouer sur les affectations. On voit bien que les lycées polyvalents sont bien plus à l'aise.

 

Quel bilan faites vous de Parcoursup ?

 

Pour le moment on attend ce bilan. On voit l'inquiétude des élèves qui ne voient pas leur affectation arriver et qui attendent. Il faudra voir à la fin si davantage d'élèves ont été satisfaits. On a constaté un fait nouveau : un recours dans Parcoursup génère automatiquement une lettre signée du chef d'établissement sans même qu'il en soit informé. On a protesté contre cela car si beaucoup de familles viennent nous demander le pourquoi du "non" ça peut générer des problèmes...

 

L'inquiétude que l'on rencontre aujourd'hui n'avait pas été prévue. On craint les frustrations des élèves et qu'elles retombent sur les chefs d'établissement. On observe des disparités territoriales qui vont dans le sens de renforcer les lycées au recrutement social privilégié. Si à la fin du processus c'est régulé on pourra dire que cela n'a été qu'un moment. Si ce n'est pas le cas il faudra s'interroger.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

 

Par fjarraud , le lundi 04 juin 2018.

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