Goigoux : Aucune expérimentation ne valide la méthode du ministre 

"Aucune  expérimentation  n’a  validé  la  méthode  promue  par  le  ministère  et  aucune comparaison internationale n’a conclu à sa supériorité", affirme Roland Goigoux dans une lettre adressée à ses étudiants rendu publique le 9 mai. Le chercheur démonte l'argumentation "scientifique" du guide d'enseignement de  lecture et de l'écriture au CP publiée par le ministre. Il montre les dangers de le suivre à la lettre.

 

Des conclusions abusives

 

"Le guide formule des conclusions abusives et comporte des oublis  importants,  par  exemple  sur  l’écriture  et la compréhension.  Ses  rédacteurs  convertissent imprudemment de simples hypothèses de recherche en recommandations.  La  planification  de  l’étude  des correspondances  graphèmes-phonèmes  présentée pages 55 à 61, par exemple, est fondée sur un analyse linguistique  rigoureuse  mais  elle  n’a  jamais  été expérimentée en classe de manière probante. Elle n’est, de  surcroit, pas  cohérente avec  celle  proposée  par  le manuel valorisé dans le guide quelques pages plus loin. Les  chercheurs  doivent  donc  mettre  en  garde  les enseignants,  les  formateurs et  les  inspecteurs  contre certaines affirmations péremptoires non étayées sur des résultats  scientifiques, notamment  sur  la  méthode syllabique  radicale", affirme Roland Goigoux.

 

" Les interdictions  de  faire  mémoriser  des mots  entiers,  de procéder  par  analogie et de  prendre  appui  sur  le contexte conduiraient les maitres à brider la curiosité et le raisonnement de  leurs élèves, c’est-à-dire à faire  le contraire  de  ce  que  les  sciences cognitives recommandent unanimement", poursuit-il.

 

Une stratégie politique

 

Il met en cause J Dauvieau : " La  seule  recherche  dont  dispose  le  ministère  pour justifier  son  choix  est  celle  de  Jérôme  Deauvieau,  un sociologue  membre  du  conseil  scientifique  de l’Éducation  nationale (CSEN) et  proche  collègue  des auteurs  du  manuel préconisé.  Mais  cette  étude présente de si graves défauts méthodologiques qu’elle n’a jamais été publiée par une revue scientifique".

 

Il met aussi en cause Y Cristofari, chef de service de l'instruction publique et de l'action pédagogique à la Dgesco : " La  direction  de  « L’instruction  publique  et  de  l’action pédagogique » coordonnée par  Yves  Cristofari  ancien membre du cabinet de Gilles de Robien a choisi de cliver plutôt  que  de  renforcer  les consensus établis  par  les conférences du CNESCO sur la lecture et sur l’écriture. En sciences  politiques,  on  parle  à  ce  sujet  de  stratégie disruptive relayée  par  une  intense communication médiatique". Une stratégie qui avait été celle de G de Robien, dont JM BLanquer était directeur de cabinet adjoint. Et qui ne lui avait pas réussi.

 

Fragiliser les enseignants

 

R. Goigoux invite les inspecteurs à agir avec discernement. " Si les inspecteurs de l’Éducation nationale n’agissent pas avec discernement en observant les pratiques en classe et s’ils en restent au seul critère du choix de manuel, on peut craindre que de nombreux professeurs  soient  inquiétés,  notamment  ceux  qui utilisent  des  manuels  non  étroitement  syllabiques et ceux qui n’utilisent pas de manuel. Ce serait un terrible  gâchis : fragiliser  une  majorité  d’enseignants  qui  travaillent sérieusement pour aider une infime minorité à remettre un peu d’ordre dans leur méthodologie... sous silence. Nous avons montré, par exemple, que les professeurs  des  écoles  qui  utilisaient  un  manuel syllabique n’avaient pas de  meilleurs résultats  que les autres enseignants expérimentés. Et qu’il n’y avait pas non  plus  de  différence  significative  avec  ceux  qui enseignaient  sans  manuel,  toutes  choses  égales  par ailleurs. Parmi les 18 enseignants les plus efficaces dans le domaine de la maitrise du code alphabétique, c’est-à-dire  parmi  ceux  qui  faisaient  le  plus  progresser leurs élèves (différence significative au sein d’un échantillon de  131  enseignants  expérimentés), on  en  trouvait 2 utilisant un manuel syllabique, 1 un manuel phonique, 8 un manuel que le ministère qualifierait de « mixte » et 7 sans  manuel.  Ces  derniers  (15  sur  18), aujourd’hui félicités par leur hiérarchie, seront-ils demain fragilisés et disqualifiés aux yeux des parents d’élèves ?

 

Le contraire des neurosciences

 

" Chacun  sait  que  les  neurosciences étudient les mécanismes cognitifs d’individus isolés, pas les pratiques d’enseignement des professeurs face à une classe et qu’elles n’ont pas vocation à prescrire le travail enseignant", ajoute-il. Ce guide, incluant une « leçon-modèle » très détaillée, laisse  entrevoir  un  retour  aux  pratiques de formation des  écoles  normales  d’instituteurs  et d’institutrices dont la fonction était précisément de dire la norme. Le métier de professeur des écoles n’en sort pas grandi".

 

F Jarraud

 

Le texte de R Goigoux

Notre dossier sur les instructions Blanquer

 

 

Par fjarraud , le mercredi 09 mai 2018.

Commentaires

  • Jean Maurice, le 10/05/2018 à 15:04
    Eh oui Delacour, il y a des problèmes conceptuels à la base dont beaucoup ne veulent pas s'occuper. 
    Les deux écueils principaux, mal gérés, sont : 
    - l'irrégularité du code
    - l'implication des élèves.

    Démarrer un apprentissage en laissant croire que l+a = la serait un cas général est une ineptie.  Ce n'est qu'un cas particulier qui suppose que le a n'est soumis à aucune autre influence. laid, lance, lampe, laure, layette... contiennent la  sans que cela se traduise par "la". Oui, le a qui fait [a] est plus fréquent, si on le compare à un seul autre graphème/phonème. Mais il n'est pas plus fréquent que le a qui ne fait pas [a] ( en considérant les digrammes par exemple)! Donc l'argument de fréquence est fallacieux. Il ne sert qu'à fabriquer plus facilement des textes supports. Textes qui édulcorent la réalité pour tromper l'élève. Il ne faut jamais faire croire à un non-nageur que la piscine n'est pas profonde.
    Alors appréhender le code par l'écrit, par l'aspect orthographique, comme l'avait déjà envisagé Freinet, est une bonne idée. Mais qui forme à ça?  Personne, puisque devenir formateur, le plus souvent, c'est répéter le discours de ceux qui vous sélectionnent pour ça. Donc, c'est reproduire les mêmes schémas pédagogiques éculés. Il y a d'autres voies pour aborder le code en analysant mieux sa complexité mais je ne développerai pas ici.

    L'autre erreur des méthodes est de s'appuyer sur l'hypothétique collaboration gracieuse des élèves. : confondre la progression du manuel (idéale) et celle (réelle) de l'élève, Il faut ne jamais avoir vu d'élève à l'ouvrage (ou à l'oisiveté) pour croire qu'il suffit de lui coller une belle leçon devant le nez pour qu'il la digère. Non, les élèves n'apprennent que quand ils s'investissent, quand la cible leur semble accessible. Plus quand ils subissent une accumulation de données phonologiques dont ils ne perçoivent pas la cohérence. Plus après des séries d'erreurs à répétition sur leurs jolis fichiers de classe.  Mais les méthodes avancent mécaniquement quelle que soit la participation ou la performance de tel ou tel élève. Elles créent automatiquement des distorsions, et enfoncent ceux qui ne suivent pas le rythme. Là encore, le fait de ne pas avoir de méthode déterministe (mais un environnement ou des procédures adaptables) aide l'enseignant à accompagner chacun selon son rythme. Freinet, Montessori, et d'autres y avait pensé. Mais dans l'EN (française) on n'aime pas trop que l'initiative vienne de l'élève, que ce ne soit pas le ministère qui, via les programmes, les progressions, les manuels estampillés "validé par le ministère" et le maître, dicte l'ordre et le débit des apprentissages.

    Un inspecteur me disait, un jour : " oh, mais vous n'avez pas indiqué le nombre de séances de votre séquence!".  (Souvent taquins les évaluateurs...)
     J'ai répondu : " ça dépend du retour et des performances des enfants.".
    Il m'a raillé : " vous êtes un professionnel, vous devez savoir où vous allez!"
    J'ai fini par : " ce n'est pas moi qui y vais, ce sont les élèves!". 
    Tout est dit...
    Voilà pourquoi les méthodes ont du succès. Elles disent la loi. Elles satisfont la gloriole des pédagogues de salon qui croient encore que ce qui est annoncé équivaut à ce qui sera réalisé. Mais elles nient les enfants en dehors des jolies présentations bien illustrées et des personnages sympathiques. Le décor ne fait pas tout, malheureusement. Au final la plupart de nos enfants réussissent à lire (enfin,  à déchiffrouiller). Mais ils y perdent du temps. Et ce temps serait bien mieux utilisé à travailler la compréhension, y compris via l'orthographe, ou la culture en général.
  • delacour, le 10/05/2018 à 09:38
    Centrées sur le code, écrit steveproxi.
    Mais quel code ? Certainement pas un code de lecture. L'écrit est établi à partir d'un code alpha-orthographique. Plus orthographique dans sa diversité qu'alphabétique dans sa rigueur.
    En faisant coder l'oral à l'aide du code orthographique, on obtient un écrit lisible. 
    Mais on veut décoder avant d'avoir codé ! Et "a" se décode alors de 12 façons différentes !
    Pour commencer par coder et donner la possibilité de lire, de prendre contact avec les différentes graphies d'un son, utilisez ecrilu (voir le site ecrilu). La progression assure la connaissance du système alphabétique et la reconnaissance des graphies utilisées. C'est explicite à partir de l'implicite. 
    C'est une offre que je n'impose à personne.
  • steveproxi, le 09/05/2018 à 21:43
    The Great Debate publié par Jeanne Chall en 1967! Depuis plus de 50 ans, que l'on sait que les approches centrées sur le code représentent la meilleure façon d'enseigner aux enfants à lire! https://www.weber.edu/wsuimages/jmitchell/MEDUC%206355/The%20Great%20Debate.pdf
    • Jean Maurice, le 09/05/2018 à 22:23

      Personne ne dit qu'il ne faut pas étudier le code!!!! Où avez-vous pêché ça? 

      Le très influent slecc se targuait,il y a peu, de l'attitude courageuse de ses adeptes qui posaient une couverture de manuel moderne en appliquant en douce une vieille méthode syllabique.Eh bien ! il y en a maintenant qui feront l'inverse. Les ex-dissidents du Slecc seront-t-ils là pour protester contre l’élan de résistance qu’ils ont eux-mêmes vanté?

      Il y a beaucoup de ces naïfs qui croient dur comme fer que c'était mieux avant, que le redoublement et le bonnet d'âne sont une invention récente...

      Ah la méthode ! L'illusion de la méthode. Comme si un enseignant qui finit son année avec des élèves sachant bien lire (à préciser!) pouvait affirmer, à lui tout seul, qu'en utilisant un autre manuel il n'y serait pas arrivé! Que nul autre ne pourrait y parvenir aussi bien, plus vite,à moindres efforts.

      Il n'y a aucune preuve technique ni scientifique. Même S Dehaene, qui taquine beaucoup les non-agréés du Collège de France, ne parle pas de progression scientifique mais de progression rationnelle.

      Qu'est-ce que la raison a à voir avec le problème ? Il faut aller dans les classes comme R Goigoux pour constater que les choses ne sont pas aussi simplistes. Cette progression du manuel que la plupart confondent avec celle de l'élève*, n'a jamais eu aucune influence sur la qualité des apprentissages. Et ça aussi RG  l’a montré. Mais on le savait déjà. Aucune méthode n’a jamais montré la moindre supériorité sinon on se l’arracherait; on n’est pas masos ! J’en ai utilisé au moins huit, dont Boscher ou Léo et Léa. Tout est à la poubelle, et je ne m’en porte que mieux. Enfin, surtout mes élèves. Je plains ceux que j’ai torturé avec Gafi, Ratus ou Ribambelle. Quant aux amusettes du genre Grand Large ou Valentin le magicien, heureusement que j’avais un peu de bouteille pour pouvoir contourner leurs lacunes.

      Si des enseignants ont appris à se passer d’une progression trop figée (dans le temps comme dans l’ordre), ou à l'aménager, en refusant le carcan du manuel, en dégageant les méthodes, c'est qu'ils avaient de bonnes raisons!

      La raison, toujours la raison... Ne pas afficher une méthode, c'est pourtant un énorme risque que prennent les enseignants, hier comme demain. Ils en ont du courage de se mettre en danger face à la vindicte populaire. Si un élève, un seul, échoue, on dira que c'est la faute du maître.

      Tandis que s’il placarde une belle méthode à la mode (avec des albums fut un temps, mixte ailleurs, ou analytique pour les érudits, et aujourd'hui syllabique), nul ne mettra en doute la validité et l'efficience du manuel. Ce sera donc... la faute de l'élève. Une appréciation dont on a bien usé par le passé et dont les nostalgiques du slecc et du snalc espèrent pouvoir à nouveau abuser.

      Mais ça a du bon de se préserver, de se cacher derrière l'institution, ses choix, ses méthodes.

      Moi ça me fait rire. Ils peuvent me coller la méthode qu'il veulent, mes élèves savent lire avant d'entrer au CP !!!!! Je me marre.

      Mais pour d'autres, ce sera cruel. Etre quasi contraint d'utiliser une voie qu'on ne goûte pas pour faire plaisir à quelques vieux croûtons passéistes, sans être certain d'obtenir de meilleurs résultats qu'avant.

      *Ils sont tous tellement convaincus que parce qu'on a appris le r avant le t, tout ira pour le mieux.

      Crédulité, foi. Je ne sais trop ce qui les pousse à ne pas voir et admettre que, de tous temps, il y en aqui ne suivent pas la progression. Que le problème n’est pas là.

      Comment dit-on? Ah, oui! Ils sont en difficulté. C'est bien la preuve que votre progression est foireuse. Sinon,on ne mettrait pas des élèves en soutien, même avec une méthode syllabique. Heureusement que tout au long de l'année, les premières leçons seront re-convoquées, au fil des nouveaux textes. Car, dans ces conditions, c'est bien là que se construit une partie de la réussite : la répétition. Comme les méthodes sont toutes assez médiocres (rien n'autorise à affirmer le contraire!), il faut bien que l'élève trouve la solution par l'habituation, ou en subissant le martèlement des redites, car sinon il n'y comprendrait rien. L’élève n’apprend pas à lire grâce à la méthode, mais malgré la méthode. Une fois, faut en avoir, j’ai écarté la moitié des exercice du manuel, j’ai sauté une partie des pages de texte. Ben à la fin, les élèves étaient meilleurs que l’année d’avant où j’avais tout bienfait, tout bien suivi, comme c’est tout bien marqué sur le livre du maître qui est, pour quelques-uns, une bible, un écrit sacré, dicté par le divin… donc forcément parfait. Circulez! La messe est dite, il n'y aura plus jamais aucune évolution dans la manière d'apprendre à lire. Il y 50 ans, on avait tout compris, à tout jamais... Quelle étroitesse d'esprit! Merci à Galilée, Newton et Einstein d'avoir su remettre en question des siècles de croyances "scientifiques".

      MAIS JE  NE SUIS PAS EN TRAIN DE DIRE QU'IL NE FAUT PAS ETUDIER LA SYLLABIQUE.
      AU CONTRAIRE. IL FAUT JUSTE LE PENSER DIFFEREMMENT!

      Bon, j'arrête je pourrais en faire des heures durant. 



      • delacour, le 10/05/2018 à 09:45
        Très bien. On ne sait toujours pas "scientifiquement" comment un élève parvient à lire. Autant ne pas l'encombrer de croyances loin de la science et parfaitement inutiles, par exemple que "e" se décode /e/ ou que "a" se décode /a/... L'élève apprend à lire malgré toute méthode de lecture. Il finit par comprendre probablement que l'écriture l'aide beaucoup plus que la lecture (l'écriture sous sa forme de codage, pas la calligraphie).
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