L'école maternelle et la propreté 

Comment l'école maternelle fait-elle face à l'éducation à la propreté ? Ghislain Leroy (Cerlis Espe de Paris) publie dans l'Italian journal of sociology of education (vol 9 n°3) un article passionnant sur l'évolution des normes hygiéniques dans l'école maternelle. Il montre qu'à l'obsession hygiéniste du début du 20ème siècle a succédé une forme de rejet de la question en ce début de siècle. " Dans le climat scolarisant de l'école maternelle contemporaine, tout semble parfois fait comme si les déjections, les traces des déjections, les lieux de ces déjections, le vécu subjectif qui leur est lié  n'existaient pas".

 

G Leroy introduit deux points très forts dans cet article. Le premier c'est qu'il ne se base pas seulement sur les textes officiels mais aussi sur les rapports d'inspection, une approche assez rare rendue possible grace à 134 rapports parvenus jusqu'à nous. Le second point fort c'est que G Leroy étudie la question sous un angle ethnologique , n'hésitant pas à dresser des parallèles avec la culture japonaise ou dogon.

 

Ce que montre G Leroy c'est que la question hygiéniste est un objectif prioritaire de l'école maternelle de la fin du 19ème siècle. " La figure de l'enfant-propre est la figure d'un enfant répondant aux représentations de propreté qui émergent au XIXème siècle : propreté de l'intime, de la peau lavée, bientôt indissolublement associée à une approche scientifique de l'hygiène. Il s'oppose à l'enfant sale, associé au désordre à la fois moral, médical mais aussi social. Par la propreté, on vise à un contrôle, sinon une régénération  du prolétariat", écrit il.

 

"Hygiène – Passage au lavabo régulièrement fait. Mouchoirs de poche contrôlés. Aération permanente maintenue. Bien .  Passage aux WC et aux lavabos se fait en ordre – enfants, dans l'ensemble, assez propres. On veille à l'acquisition de bonnes habitudes", notent des rapports d'inspection. Deux figures de l'enfant se dégagent des textes officiels :l'enfant propre et l'enfant élève.

 

Les années d'après guerre voient selon G Leroy la montée en puissance de la psychologie. "Dans les textes officiels, l'influence de cette vulgate « psy » joue contre la figure de l'enfant-propre : tout se passe comme si cette figure était de plus en plus passée de mode. C'est aussi que, dès l'après-guerre, les conditions d'existence évoluent sur la question de la propreté (diffusion des salles de bains par exemple). Certains textes officiels montrent tout particulièrement comment l'appréhension d'inspiration psychologique de l'enfant s'affirme par rapport à l'appréhension hygiénique traditionnelle de ce dernier. La maîtresse devait jadis être attentive à la propreté des mains ; les textes officiels lui prescrivent désormais d'observer les comportements de l'enfant avec un regard d'inspiration psychologique", note-il.

 

Ce mouvement s'approfondit après 1986 et on netre dans une période de responsabilisation de l'enfant qui finit par nier les besoins corporels. " Si une logique de responsabilisation de l'enfant apparaît donc, il faut aussi noter que la question des passages aux toilettes et plus généralement des temps de propreté, est quasiment toujours éludée dans les rapports contemporains, ce qui les distingue du corpus 1934-1939. Ceci semble être à relier à la logique de scolarisation de l'école maternelle, lié au primat du rapport scolaire à l'enfant, par rapport à d'autres rapports possibles à lui, notamment liés au care... La maîtresse impliquée corporellement dans le mouchage de l'enfant semble avoir laissé la place à la maîtresse se protégeant des morves enfantines. Du même coup, l'enfant se voit responsabilisé dans l'accomplissement de cette tâche, la boîte à mouchoirs appelant idéalement l'émergence d'un enfant capable, seul, en toute autonomie, d'y recourir quand besoin est. Des évolutions comparables existent concernant le torchage des enfants", note-il.

 

Comment expliquer cette évolution ? G Leroy croise les disciplines. Il note l'élévation du niveau de formation des enseignants qui s'accompagne d'une scolarisation accrue de l'école maternelle. L'embourgeoisement des enseignants lui semble aller dans le même sens. Le contexte d'angoisse autour de l'enfant et des déviances sexuelles également. Mais il y voit aussi un projet éducatif fort marqué par la volonté de transformer l'enfant, de lui faire quitter sa nature originelle.

 

F Jarraud

 

L'article

 

 

Par fjarraud , le mercredi 21 février 2018.

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