Rodrigo Arenas : Réforme du lycée : L’école de l’intelligence 

Quatre épreuves pour un enterrement. Nul doute que la proposition de réforme du sacro-saint baccalauréat devrait déclencher à nouveau une de ces guerres scolaires dont notre République est friande. Car depuis plus d’un siècle, l’Ecole c’est la République et la République c’est l’Ecole. Qu’importe si le bac est une création napoléonienne dont l’objectif est avant tout de sélectionner les élites de la nation, il est devenu le rite de passage de générations entières, à qui l’on a fait croire que ce sésame ouvrait toutes les portes de l’avenir. "Passe ton bac d’abord". Jadis certes, mais aujourd’hui, pour faire quoi ? Entrer dans la course à l’excellence, grossir les rangs des damnés de l’universitaire, faire mentir les statistiques de la reproduction sociale et culturelle ?

 

Garder au bac son caractère initiatique tout en réduisant son impact dans la sélection sociale, l’idée n’est pas mauvaise. En tout cas elle vaut mieux que des oppositions pavloviennes et des polémiques stériles. Et il faut s’en saisir.

 

Mais le problème est ailleurs. Il est illusoire de s’imaginer béatement que les dernières mesures de la réforme du lycée vont combler le défaut majeur de l’école aujourd’hui : le déficit de sens. Autrement dit, qu'attendons-nous de nos enfants dans ce siècle ? Notre école les prépare-t-elle vraiment à embrasser la complexité d’un monde en recomposition permanente ? Les forme-t-elle à s’orienter dans une réalité mouvante, dans une galaxie d’informations massives, incertaines et souvent contradictoires, dans une civilisation matérielle suffocante, consumériste jusqu’à l’absurde ?

 

Obsédée par une définition socio-économique de la méritocratie, notre école républicaine perd de vue la dimension culturelle des inégalités scolaires. Elle semble convaincue que la redistribution suffirait à compenser le fossé culturel. Mais on ne fait pas de la cohésion sociale en niant l’hétérogénéité et en formatant les cervelles comme des disques durs. Ce n’est pas d’une tablette pour étudier la Vénus de Milo qu’on aura besoin, mais d’une visite pédagogiquement encadrée au Louvre. Dresser les esprits à réciter « 1515-Marignan » ou « E=mc2 » n’a aucun intérêt à l’heure de la wikiothèque universelle. C’est savoir se servir de ces informations qui compte vraiment. Et à ce jeu, pendant que les uns mesurent le gouffre culturel qui les sépare des critères académiques de la réussite scolaire, les autres peuvent déjà se répartir les places au soleil. Dans ce contexte, l’introduction du contrôle continu pourrait justement être pensée comme une valorisation des talents divers de nos enfants mais il y a fort à craindre qu’elle ne serve qu’à entériner la conformité des lycéens à un modèle rêvé de « bon élève ».

 

La responsabilité des enseignants dans ce dispositif va devenir plus cruciale que jamais : dotés de la licence pédagogique ce sont eux qui pourront, qui devront, répondre au défi de détecter, valoriser et promouvoir la multiplicité des talents. C’est entre leurs mains que reposera la réussite de la transformation d’un système de ségrégation culturelle en matrice de l’intelligence différenciée.

 

Cette réforme du lycée ne peut pas se contenter d’être une énième réorganisation technique des parcours. Elle doit renverser la tendance décennale à la calcification d'un système injuste qui subordonne inégalités culturelles aux inégalités sociales. Oui, il faut des moyens supplémentaires. Mais pas des gadgets déployés à grand frais comme autant de cache-misères. Le débat n’est pas entre nostalgiques du tableau noir et adeptes du tableau optique. Les défis de la formation des individus, de la cohésion sociale, et de la construction d’un futur pour tous demandent plus que des solutions techniques. Ils exigent une réflexion en profondeur sur notre école et son rôle dans la formation de l’individu contemporain.

 

Loin des querelles surjouées où anciens modernisateurs et modernes réacs s’invectivent sans vergogne, l’école de la République a besoin d’Assises de l’éducation. Pour qu’elle devienne par excellence le lieu où l’on apprend à être intelligent.

 

Rodrigo Arenas, président de la FCPE 93

Edouard Gaudot, essayiste et ancien professeur d’Histoire-Geographie

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 15 février 2018.

Commentaires

  • diourf, le 15/02/2018 à 17:30
    Marignan-1515 : un cliché un peu suranné... Cela dit, la wikiothèque universelle ne peut pas tout, et l'entraînement de la mémoire, incluant effort, concentration, choix, classement, hiérarchisation reste une activité fondamentale de la pensée, de l'analyse, de l'argumentation. Des filières de l'enseignement supérieur très recherchées recrutent sur la base du par-cœur...
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