Le film de la semaine : " L'Apparition" de Xavier Giannoli 

Que se passe-t-il dans la tête d'une jeune fille d'aujourd'hui prétendant avoir assisté des apparitions de la Vierge Marie ? Et dans celle de Xavier Giannoli, cinéaste aguerri, lorsqu'il décide de porter à l'écran l'incroyable aventure d'un grand reporter de guerre chargé par le Vatican d'enquêter sur le phénomène dans un village du sud-est de la France ? A vrai dire, le réalisateur n'en finit pas d'interroger la croyance sous toutes ses formes, de l'imposture à l'aveuglement, de la supercherie d'un malfrat devenu chef d'entreprise d'un chantier fictif (" A l'origine", 2009) à l'auto-persuasion d'une aristocrate fortunée à la voix de fausset se rêvant en star du chant lyrique (" Marguerite", 2015). Cette fois, jouant encore de miroirs et de faux-semblants, il choisit de confronter deux personnages a priori antinomiques, un journaliste d'investigation adepte de la raison et une jeune mystique portée par l'absolutisme de sa foi. Le drame, d'abord marqué par le choc des deux trajectoires intimes, se transforme progressivement en mises à l'épreuve de la part d'humanité de chacun. Ainsi, en revêtant les habits du polar spirituel et de l'enquête sociale, " L'Apparition" n'interroge pas seulement les dangers d'une croyance radicale, le film de Xavier Giannoli met également en lumière la soif d'engagement chez des jeunes en quête d'idéal au service des autres. Et les méandres multiples de la forme traversent les frontières séparant vérité et mensonge, réalité et fiction, comme autant de signes de la plasticité du cinéma, cet art de l'illusion.  

 

Théâtre de guerre, mission impossible

 

En ouverture, un homme assis tournant le dos à l'écran de télévision où défilent des images de guerre dans la pénombre d'une chambre d'hôtel, non loin du théâtre d'opérations militaires, en Irak peut-être. Blessé lui-même et accablé par la mort de son ami photographe parti seul en mission, Jacques (Vincent Lindon), grand reporter, rentre en France au siège de son journal. Il y reçoit alors un étrange coup de téléphone en provenance du Vatican. On lui propose de diriger une enquête dite canonique sur une jeune fille de 18 ans qui prétend depuis deux ans avoir assister à des apparitions de la Vierge dans un petit village des Alpes. En dépit de réticences formulées (il a bien reçu une éducation catholique dans son enfance mais il n'est pas pratiquant…), il finit par accepter et part à Rome auprès du service concerné recueillir documentation et consignes au sujet de sa mission.

 

A son arrivée dans le petit village de montagne, nous suivons les premiers pas d'un enquêteur cartésien dans un univers qui lui est étranger. Il fait la connaissance des autres membres de la commission (psychologue, historien, prêtre, théologien…), tous experts a priori habitués à interroger le surnaturel. Notre homme découvre surtout la petite église où est célébrée la messe et la ferveur dont la jeune fille fait l'objet : la foule de pèlerins qui se pressent, les deux hommes d'église qui la protègent et organisent le commerce d'objets dédiés (photographies, statuettes et autres figurines à l'effigie de celle-ci). Il demande à rencontrer Anna Galatea Bellugi, interprète saisissante), laquelle a choisi de vivre au couvent depuis quelques années.

 

Quête spirituelle, enquête policière

 

Sans manifester la moindre appréhension, Anna fait la connaissance de Jacques et accepte de de se prêter à l'interrogatoire mené par ce dernier en présence des autres experts dépêchés par le Vatican, et d'être filmée. D'emblée, une relation de confiance paraît se nouer entre eux deux, par-delà l'opposition immédiatement perceptible entre la frêle silhouette de la jeune fille à la peau diaphane et le corps massif du baroudeur à la parole mesurée. Bien vite, à la manière d'un journaliste d'investigation (après tout c'est son métier), la parole de Jacques se délie et il mène une enquête intense afin de cerner la personnalité d'Anna et son cheminement. Après la phase d'observation, les différentes étapes de son investigation dessinent l'enfance et l'adolescence d'une orpheline née sous X élevée en foyer. Les recherches permettent de retrouver familles d'accueil et relations amicales tissées au fil des années passées.

 

Tandis que le préfet ordonne, en accord avec le Vatican l'analyse du suaire retrouvé sur le lieu des apparitions (avec des résultats peu concluants), Jacques s'engage dans une recherche, étayée par des photographies, des visites et des témoignages, qui se rapproche des méthodes policières. Démarche mystérieuse auprès d'un détenu en prison, ancienne connaissance possible d'Anna mais gardant le silence, recueil d'éléments portant traces d'une amitié fusionnelle entre une certaine Meriem (du même âge) et Anna. En tout cas, de découvertes en rencontres, l'enquête au long cours met au jour des événements (des drames aussi) qui n'ont a priori rien à voir avec les critères canoniques de vérification de phénomènes surnaturels. En tout cas, Jacques n'est pas au bout de ses peines ni de ses surprises. Le suspense change de nature et il convient d'en préserver une partie des rouages secrets et des soubresauts tragiques.

 

Soulignons simplement que le travail de retour aux sources entrepris par Jacques ébranle Anna au point que nous la voyons littéralement s'effondrer sous nos yeux tandis que la radicalité de la foi chez cette gamine sans famille ni attache oblige l'enquêteur à une remise en cause des fondements de sa propre existence.

 

Pièges de la croyance, miracle du cinéma

 

Avec Xavier Giannoli, maître des faux-semblants et de la traversée des apparences, nous pouvons nous attendre à tous les retournements. Plus qu'une dénonciation des faussaires de Dieu et autres charlatans du commerce de la croyance, davantage qu'une mise en accusation des fanatiques religieux et autres dangereux illuminés, le récit et ses facettes changeantes sont portés par une double exigence : questionner l'engagement de chacun dans l'intimité de son cœur et le pouvoir du cinéma à suggérer les forces secrètes qui y conduisent.

 

Au-delà du thriller social et du bouleversement intérieur de l'enquêteur en terre inconnue, les destins croisés de deux jeunes filles de la même génération rebattent les cartes : Anna quitte le réel et se perd, Meriem affronte la réalité et se trouve. Malgré la lourdeur du symbole, la rencontre, improbable, entre Meriem (avec son compagnon et son enfant) et Jacques se produit dans un camp pour réfugiés à la frontière syrienne en Jordanie. L'une fait partie d'une mission humanitaire. L'autre n'est pas envoyé par son journal pour un nouveau reportage. Il vient accomplir une promesse intime, dont il faut garder le secret.

 

"On ne répondra pas au sens de nos vies avec des algorithmes, des smartphones, des promesses économiques ou des illusions politiques" confie Xavier Giannoli.  Avec " L'Apparition", le cinéaste déploie tous les pouvoirs du cinéma pour nous faire partager une expérience paradoxale. Nous assistons à la prise de conscience d'un être de raison confronté au désir d'absolu d'une jeune fille, à la folie de sa croyance. Et cette mise à l'épreuve du protagoniste, magistralement incarné par le comédien Vincent Lindon, résonne en chacun de nous comme un besoin de transcendance, comme un appel à l'engagement. Ici et maintenant.

 

Samra Bonvoisin

" L'Apparition", film de Xavier Giannoli-sortie le 14 février 2018

 

 

Par fjarraud , le mercredi 14 février 2018.

Commentaires

  • Victor57, le 18/02/2018 à 12:34
    J'ai bien aimé ce film : un film sur l'engagement dans la société et les mystères de la foi. Cependant, je note que vous en faite une lecture partielle, vous n'en percevez qu'un versant, la dimension laique qui est sans doute la vôtre. Vous oubliez la subtilité de Giannoli en matière de foi et de croyance, ce qui le guide souvent dans ses films. Lorsque vous affirmez "les destins croisés de deux jeunes filles de la même génération rebattent les cartes : Anna quitte le réel et se perd, Meriem affronte la réalité et se trouve" vous omettez de nombreux éléments. Le chapitre sur Anna est éloquent à ce sujet : Jacques la retrouve devant la chapelle isolée et tel le christ elle marche en compagnie de Jacques à travers un paysage sauvage,  un cours d'eau qu'ils s'apprêtent à traverser (tout un symbole) et lui délivre une "parabole" (celle de l'Antiquaire) avant de faire un miracle (elle le prend dans ses bras lors de sa douleur à l'oreille...elle le guérit...il n'aura plus de douleur à partir de là)....le gros plan sur les pieds nus de Anna (qui renvoie aux paroles prononcées au Vatican "qui aurait imaginé un pauvre aux pieds nus être le Christ"). Anna a une foi profonde et authentique, elle donne sa vie pour que l'Homme se lave de ses péchés, elle donne sa vie pour que Meriem puisse vivre la sienne.  Laquelle a vu l'apparition? Tout est là...Meriem ne va pas l'accepter ("c'était trop pour moi, je voulais avoir un enfant" dit-elle) Anna l'accepte et va suivre son "chemin de croix" (la scène où elle perd connaissance lors de la "procession"). Quant à la scène finale,  le parallèle entre Anna et jacques est éloquent...
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