Françoise Leclaire : Apprendre des langues pour comprendre 

Et si les langues nous aidaient à comprendre ? Lire c’est comprendre. Et principalement comprendre ce que le texte ne dit pas ou dit « entre les lignes ». Or c’est justement là que les performances des petits écoliers français aux épreuves PIRLS ont particulièrement chutées. Nous souhaitons montrer que ce n’est pas une fatalité et qu’il existe  des mises en œuvre pédagogiques simples qui permettraient non seulement d’améliorer les compétences en compréhension mais également d’améliorer les compétences en langues vivantes enseignées. Recette miracle ?  Que nenni !

 

Posons d’abord quelques certitudes grâce aux chercheurs ayant travaillé sur la question de la compréhension.

  • Il n’y a pas de corrélation entre déchiffrage et compréhension. (Gaonac’h, Fayol)
  • La différence entre « bons » et « mauvais » compreneurs est corrélée à
  • La capacité à effectuer des inférences,
  • La capacité à contrôler leur compréhension,
  • La capacité à utiliser les marques référentielles.  (Yuill et Oakhill 1991, Ehrlich et Rémond 1997 )
  • Le niveau de connaissance morphologique est corrélé au niveau de compréhension. (Carlisle 1995, Lecoq 1996, Pascale Colé 2007)
  • La maitrise du vocabulaire est un prédicteur des capacités de compréhension (Maryse Bianco, 2015)

 

Expérimentation

 

Nous avons mené en 2010 une expérimentation dans 3 classes de cycle 3 (Echantillon) comparées à 3 autre classes équivalentes (Témoin). Les trois classes du groupe échantillon ont participé pendant une année à des séances hebdomadaires d’éveil aux langues et d’intercompréhension.

 

L’éveil aux langues est une approche méthodologique initiée par Eric Hawkins en Angleterre dans les années 60 pour répondre au défi de l’échec en langue(s) des enfants immigrés. Cette approche développe des attitudes de tolérance et d’ouverture à la diversité linguistique et culturelle, des aptitudes susceptibles de faciliter l’apprentissage d’une langue étrangère. Concrètement, il s’agit d’une approche comparative des langues où l’on réfléchit sur les langues, leurs similitudes et différences, à partir de matériaux sonores ou écrits. L’intercompréhension s’appuie sur l’exploitation des ressemblances et transparences entre les langues.

 

Les 6 classes ont passé des tests en septembre et en juin portant sur la capacité à produire des inférences et sur la capacité à trouver le sens d’un mot inconnu en fonction du contexte ou de l’analyse morphologique.

 

Analyses des résultats

 

Tableaux de moyennes de groupe en juin et en septembre

groupe

septembre

juin

Echantillon

45.84

68.57

Témoin

38.41

53.42

total

42.03

60.79

 

La différence entre les deux groupes en septembre n’est statistiquement pas significative. Il n’y a donc pas d’effet groupe en début d’année. En revanche la différence en juin est très significative. Les séances d’éveil aux langues ont donc eu un impact sur la capacité à produire des inférences.

 

Interaction de « niveau en septembre » et « groupe » pour « progression des scores »

échantillon

témoin

Total

TF

29.09

21.81

24.78

F

34.78

17

25.89

M

26.26

15.94

20.03

B

10.89

1.33

5.43

TB

13.55

16.25

14

total

22.31

15.01

18.56

 

Un autre élément remarquable est que le dispositif a été particulièrement bénéfique aux élèves classés comme très faibles ou faibles compreneurs en début d’année.

groupe

Dif anglais

échantillon

60.01

Témoin

39.99

total

100

 

 

Enfin la progression des scores en compréhension en anglais se passe de commentaire.

 

Entretiens d’explicitation : que disent les élèves de ce qu’ils font et que font-ils ?

 

Retournons maintenant auprès des élèves du groupe échantillon pour regarder ce qu’ils ont fait, ce qu’ils pensent avoir fait. Maryse Bianco souligne dans le Café Pédagogique l’importance de l’apprentissage explicite c’est-à-dire de la capacité des élèves à expliciter leurs démarches.

 

Les élèves disent, dans des entretiens d’explicitation, utiliser leurs connaissances pragmatiques. « 8A On essayait de trouver euh un peu le contexte du mot euh dans quelle euh situation i’s’trouvait et euh ».

 

La contextualisation tient une place importante. Par exemple, dans un travail sur une légende italienne, on voit bien dans l’extrait suivant comment les élèves vont mobiliser ces connaissances pragmatiques (sur les volcans) pour arriver à comprendre le texte -

« 179E – oui++ mais vous voyez le mot volcan ?

180B – non y’a pas

181En - oui mais y’a ça-> fuoco, fire

182B - le feu

183F - le feu du volcan

184G - la colonne elle est fragile à cause du volcan

188E - oui et elle vacille++ c’est-à-dire ++

189 F- ben ++ça fait comme un tremblement de terre++ elle bouge »

 

L’appui sur le contexte est évoqué dans tous les entretiens comme stratégie de contrôle de même que l’appui sur la cohérence syntaxique. Comme dans cet exemple lors d’un « qui est-ce ? » plurilingue.

« 1El1 Non bon ça c’est non +++[occhiali] c’est les yeux

2El2 j’ai pas d’yeux  +++c’est idiot

3El1 ben oui ça veut rien dire+++ si c’était yeux on aurait une couleur »

 

Les élèves disent aussi s’appuyer sur la morphologie des mots :

« (A1)8El et euh +++ grâce aux terminaisons et au début des mots on arrivait à trouver euh[…] ou aux mots de la famille »

 

Ils mettent effectivement en œuvre ces stratégies :

« 44El2 ce mot là (lliovendo) +je trouvais que c’était un peu pareil que lliova dans la météo »

Jusqu’à utiliser des transferts inter et intralinguistiques :

« 45A pasqu’on l’a vu dans un texte y’avait [tranquillo] en italien et [kouaït] en anglais[….]

49A ben +euh +quiétude c’est la même famille que [quiet]

50Ag euh alors ++c’est le contraire++ d’inquiétude

51E oui comme in+capable

52Ag Ben c’est qu’on [kouaït]+ on est tranquille++ bien »

 

En conclusion

 

Les approches plurielles des langues et des cultures ont donc permis aux élèves de développer des compétences réelles en langue de scolarisation et en langue vivante enseignée. Ce travail leur a permis de développer des stratégies dont on sait qu’elles sont fortement corrélées avec le niveau de compréhension en lecture comme les stratégies de contrôle, l’utilisation du contexte, de la morphologie etc. On peut donc se demander pourquoi ces approches qui sont de plus interdisciplinaires ne sont pas plus présentes dans les classes.

 

Une timide avancée avait eu lieu avec les programmes 2015 pour l’école maternelle avec l’introduction de « l’éducation à la diversité linguistique. A quand la généralisation à tous les cycles ?

 

Françoise Leclaire,

Centre de Recherche en Education de Nantes,

Association Famille Langues Cultures (AFaLaC)

 

 

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 14 décembre 2017.

Commentaires

  • cjpuren, le 14/12/2017 à 13:00
    Bonjour,

    Bien sûr que les langues aident à comprendre, puisqu'il faut comprendre pour les apprendre... L'apprentissage des langues étrangères est effectivement une occasion naturelle de transférer une capacité aussi générale que celle de l'inférence (étymologique, grammaticale et contextuelle) depuis la langue maternelle - où elle a dû être travaillée initialement - aux langues étrangères, et de continuer à s'y entraîner. Il en est de même de la capacité à "contrôler sa compréhension" (ou capacité d'"autorégulation"), avec le recours aux même types de tâches métacognitives. Le problème est différent en ce qui concerne le vocabulaire: les élèves disposent en langue maternelle d'une capacité de "reconnaissance phonologique" bien supérieure à celle qu'ils ont au départ en langue étrangère, parce qu'ils peuvent reconnaître, au décodage, la forme orale de tous les mots qu'ils utilisent dans leur vie quotidienne. 

    L'approche "éveil aux langues" est effectivement très intéressante au cycle 3, et déjà au cycle 2 (vous auriez pu citer aussi les travaux très élaborés, matériels didactiques compris, du Français Michel Candelier et de ses équipes). Mais au cycle 4, le relais peut avantageusement être pris, me semble-t-il, par la "didactique intégrée", qui implique une collaboration entre le professeur de français langue maternelle, de la langue commencée en cycle 2 et de celle commencée en classe de 5e, dans un travail sur les stratégies d'enseignement-apprentissage. Quant à l'intercompréhension, elle a été surtout expérimentée (avec succès) à l'université, et elle pourrait fournir le relais idéal en second cycle.

    L'éveil aux langues, jusqu'à présent, a été conçu dans une perspective de sensibilisation, et cela me paraît raisonnable: on ne peut pas "sensibiliser" pendant des années (c'est le problème structurel auquel s'est historiquement heurtée l'approche interculturelle dans l'enseignement scolaire des langues étrangères, et qu'elle n'a pu résoudre). Après la sensibilisation jusqu'en fin de cycle 3, la didactique intégrée, en collège, et l'intercompréhension, en lycée, permettraient d'aller progressivement vers la mise en oeuvre du même principe (l'interdisciplinarité entre langues), globalement de la sensibilisation à l'apprentissage puis à l'usage. Dans les classes européennes, les passages devraient être plus précoces, en cohérence avec la relation entre les objectifs d'apprentissage et les objectifs d'usage.

    L'intérêt didactique de ces différents dispositifs n'est plus à démontrer. La seule question qui se pose - mais elle est redoutable -, est de savoir comment réunir les conditions de leur généralisation ou du moins de leur diffusion partout où ils seraient considérés comme utiles. Mais c'est là un problème général et permanent dans l'enseignement scolaire, et pas seulement dans l'enseignement des langues... (sur ce sujet, cf. par ex. "La didactique des langues-cultures face aux innovations technologiques : des comptes rendus d’expérimentation aux recherches sur les usages ordinaires des innovations", www.christianpuren.com/mes-travaux/2016d/).

    Cordialement,

    Christian Puren
    www.christianpuren.com

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