Le film de la semaine : « Confident royal » de Stephen Frears 

A quoi bon porter à l’écran le récit (authentique) de l’amitié improbable entre la reine Victoria et un serviteur indien de confession musulmane ? Un petit sujet ? Stephen Freaks y puise au contraire matière à alimenter une entreprise de longue haleine. Grâce à son talent à décliner tous les genres cinématographiques, de la chronique sociale au thriller en passant par la fresque historique, le cinéaste britannique n’en finit pas d’explorer l’histoire contemporaine de son pays (de « My Beautiful Laundrette » en 1985 à « The Queen » en 2006). Cette fois, à travers la reconstitution grandiose et soignée des fastes de la cour à la fin du règne de la souveraine d’alors, la mise en scène, ample et lyrique, met en lumière les multiples facettes de la relation exceptionnelle (qui fit scandale à l’époque) nouée par ‘l’impératrice des Indes’ avec un commis indien, devenu « Confident royal ». Au-delà d’une satire féroce de la monarchie et de sa pompe, apparaît en filigrane la dimension métaphorique de cette (petite) histoire de palais au regard de la grande histoire, à un moment où l’empire colonial britannique connaît à l’aube du XXème siècle des mutations notables.

 

Du greffe d’une prison indienne à la cour de la reine Victoria

 

Abdou Karim (Ali Fazal) a bien du mal à réaliser ce qu’il lui arrive. Nous aussi. Obscur greffier adjoint de la prison d’Agra en Inde, il se retrouve embarqué à bord d’un voilier (un ami de même condition voyage avec lui) sur ordre des autorités britanniques. Destination l’Angleterre où ils seront tous deux serviteurs à l’occasion du jubilé d’or de la reine Victoria. Une fois arrivés au Palais, sans leur consentement, ils sont « déguisés » en Indiens et doivent revêtir tuniques et turbans flamboyants. Ils sont aussi tenus de respecter le strict protocole. Avant d’entrer dans la gigantesque et somptueuse salle à manger décorée, où de nombreux invités de marque entourent la souveraine (Judi Dench), bientôt repue et somnolente, Abdou reçoit l’injonction de servir les plats sans jamais lever les yeux en direction de cette dernière. Alors que les responsables (anglais) du service s’évertuent à domestiquer les Indiens nouveaux arrivants et à les maintenir dans un statut de domestiques de deuxième catégorie, rien ne se passe comme prévu. L’acolyte a le mal du pays et n’ai qu’une idée en tête : rentrer au pays.  Abdou, quant à lui, croise le regard de la reine. Un échange complice et furtif aux prolongements insoupçonnés. Née d’une simple curiosité (d’où sort ce jeune homme ?), entamée sur un mode amusé, la relation s’approfondit au gré des interrogations de la souveraine de 81 ans, rongée par l’ennui et engoncée dans le rituel des contraintes liées à sa charge.

 

De la curiosité intellectuelle à l’affection mutuelle, une ‘alliance’ scandaleuse

 

Habitudes culinaires, modes de fabrication des tapis, traditions en matière de décoration et d’architecture, la reine, comme au sortir d’un long sommeil, élargit chaque jour le champ de ses connaissances sur une colonie où elle n’a jamais mis les pieds, un éveil suscité par Abdou, le tout sous l’œil effaré des proches et des conseillers. Bientôt, le jeune homme supposé sans éducation se révèle fin lettré et devient même professeur particulier d’ourdou.

 

Dans l’immense solitude de son pouvoir, la monarque noue progressivement une relation affective fondée sur la loyauté et le respect mutuel. Au Palais, trahisons et manigances en tous genres s’organisent pour salir la réputation d’Abdou et saper la confiance. Brouilles, départs pour l’Inde, retrouvailles témoignent des alea d’une ‘alliance’ hors normes. Considéré par la souveraine comme un conseiller à part entière, doublé d’un confident intime, Abdou (installé dans des appartements destinés à son fils, so épouse et sa belle-mère, femmes de confession musulmane et portant le voile) acquiert un pouvoir d’influence à la cour que tous les officiels s’obstinent à fustiger comme impensable : ‘Mais, Majesté, c’est un roturier et c’est un homme de couleur ! ‘. Maintenant le bras de fer engagé à ce sujet jusqu’au bout, Victoria sur son lit d’agonie exige la seule présence, apaisante, d’Abdou, et reçoit la force spirituelle de paroles consolatrices.

 

Puis, l’explosion de violence présidant à l’expulsion immédiate du ‘confident’ donne la mesure de la haine et du racisme à l’encontre de l’usurpateur. Le fils, héritier du trône, fait détruire par le feu appartements et objets personnels, chasse manu militari Abdou et sa famille, contraints au retour sans délai, comme pour effacer toute trace d’une association contre nature.

 

Polyphonie de la mise en scène, métaphore du système colonial

 

Fidèle à ses obsessions esthétiques, Stephen Freaks concilie le lyrisme et le romanesque associés à la chronique intime d’une aventure hors du commun (la vielle reine et le jeune roturier indien) avec l’amplitude d’une fresque historique reconstituant le faste de la cour britannique à l’ère victorienne. Un décorum et des rites recréés à la fois dans leur grandeur somptueuse et dans leur dérision ridicule.  La dimension de satire sociale, chère au cinéaste, se retrouve ici en particulier dans la peinture féroce des intrigants du Palais, bravaches, prêts aux pires vilénies, en l’absence de la reine, bientôt tremblants, soumis et silencieux, face à celle qui renoue in extremis avec les attributs de la monarchie et assoie à nouveau son pouvoir contre les factieux.

 

Dans la presse britannique, certains critiques reprochent au cinéaste de minimiser, avec ce sujet, la responsabilité de la reine Victoria dans les crimes commis du temps de l’empire colonial britannique. En s’inspirant librement d’un épisode (véridique) de la vie de la souveraine, Stephen Frears choisit plutôt de donner une dimension métaphorique à la relation particulière tissée entre l’impératrice des Indes et un de ses ‘sujets’ colonisés. « Confident royal » fonctionne sous nos yeux comme une fiction historique, révélatrice des mutations en cours au sein de l’empire britannique, un état des lieux qui n’affleure pas nécessairement à la claire conscience des deux protagonistes. Au cours de la séquence, très forte, du renvoi brutal d’Abdou dans son pays d’origine, nous voyons pourtant à l’œuvre le déchaînement de la violence sociale, l’injustice et la négation de l’autre, comme autant de fondements de la domination coloniale. Loin de la ‘courtoisie’ revendiquée par les représentants du pouvoir monarchique, « Confident royal » met alors au jour la sauvagerie des colonisateurs et la folie d’un système d’exploitation, lourd des tensions de l’histoire à venir.

 

Samra Bonvoisin

« Confident royal », film de Stephen Frears-sortie le 4 octobre 2017

Adapté du livre de Shrabani Basu, traduit par Marion Roman-Presses de la cité-2017

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 04 octobre 2017.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces