Le film de la semaine : « Marie Francine » de Valérie Lemercier 

A  50 ans, revenue chez Papa-Maman, le mari parti et le travail perdu, une femme peut-elle refaire sa vie ? Quand tout a ‘foutu le camp’, est-il encore temps d’aimer ? Pour son cinquième film (depuis « Quadrille » en 1997), la réalisatrice Valérie Lemercier ne craint pas, une nouvelle fois, de cumuler les emplois : coauteure d’un script foisonnant, fruit d’une heureuse complicité avec la comédienne Sabine Haudepin, elle interprète avec panache sa « Marie-Francine » au bord du dépôt de bilan, d’abord infantilisée par des parents au conformisme envahissant. Une ‘grande brune un peu dépressive’ capable cependant de se métamorphoser devant nous en héroïne entreprenante et inventive, débordante d’imagination et de ressources pour faire triompher son amour. Au fil du chemin d’émancipation tardif d’une grande fille au cœur d’enfant, la réalisatrice explore des styles cinématographiques sans limites. Par un subtil mélange des genres et des registres, elle glisse de la satire sociale à la tendre drôlerie, de l’humour ravageur à la comédie sentimentale. Et conquis, nous adhérons avec jubilation à la mélodie du bonheur, telle que l’incarne le couple inattendu formé par Valérie Lemercier et son partenaire, Patrick Timsit. 

 

Catastrophes en série

 

Grosses lunettes cerclées de noir, blouse blanche, regard concentré sur son activité au microscope, Mari-Francine (Valérie Lemercier), chercheuse en biologie dans un petit laboratoire, épouse et mère sans histoire, ne se doute de rien. En quelques minutes, le ciel lui tombe sur la tête. Agité, fébrile, son mari Emmanuel (Denis Podalydès) débarque sur son lieu de travail et lui annonce brutalement qu’il est tombé amoureux d’une fille de 32 ans. Face à la cruauté aveugle d’une nouvelle formulée par un époux béat aux yeux hagards, Marie-Francine passe de la sidération à la révolte et quitte le domicile familial en deux temps trois mouvements. Au même moment, à la faveur d’une restructuration du laboratoire qui l’emploie, la suppression de son poste lui est signifiée tout en lui faisant miroiter un improbable reclassement (‘on va certainement vous proposer autre chose’, assure un DRH tout de blanc vêtu). Et lorsqu’elle loue un minuscule appartement avec les ‘wa-wa’ à la turque sur le palier auprès de sa sœur jumelle Marie-No (une variante désopilante de la snob propriétaire de la Renardière, également interprétée ici par Valérie Lemercier), elle doit se résoudre à la pire des solutions : l’hébergement chez les parents, confortables retraités habitant dans le XVIème arrondissement de Paris.

 

Infantilisation tenace, printemps tardif

 

Pour aide leur fille à sortir de l’impasse, les parents BGM (‘Bridge-golf-messe’, selon la définition donnée par la réalisatrice elle-même) déploient tous les moyens à leur disposition sans grand discernement. L’entrée dans leur vaste appartement cossu et chamarré, surchargé de meubles et d’objets décoratifs, constitue déjà un choc. Chacun dispose de sa chambre personnelle,-dispositif original et source de savoureux échanges à distance, le soir venu-, mais c’est sur le canapé du salon que Marie-Francine est invitée à dormir. Pour la réveiller, Dadick, la mère (Hélène Vincent) organise une séance de marionnettes où certains reconnaîtrons le petit Nicolas, frère de Pimprenelle, héros récurrent avec Gros Nounours d’une série TV destinée aux tout-petits et diffusée dans les années 60-70. Fan des achats en ligne, elle fait livrer pour Marie-Francine (qu’elle trouve bien pâle) un caisson à bronzage dans laquelle l’acheteuse, prise au piège de sa folle coquetterie, se retrouve coincée en train de griller avant un sauvetage en catastrophe. Papick, le père (Philippe Laudenbach), pour sa part, outre un goût prononcé pour les vestes matelassées, fait des pieds et des mains, comme son épouse, pour recaser sa progéniture, tout en rageant si cette dernière n’arrive pas à l’heure pour le dîner. Et, lorsque ses parents lui offrent la possibilité d’ouvrir une boutique de cigarettes électroniques, en guise de nouveau travail, Marie-Francine, de guerre lasse, sans y croire, accepte. Une activité pas si éloignée de son ancien travail puisqu’on y manie flacons et pipettes aux dires de sa maman. Résultat, une vendeuse poussive et peu avenante, incapable de faire une démonstration de ses produits sans renverser le liquide partout. Pourtant tout bascule dans une autre dimension le jour où Miguel (Patrick Timsit), cuisinier d’origine portugaise, employé dans un restaurant proche, franchit la porte de la boutique.

 

Mélange des genres, risque inédit

 

Nous nous garderons de raconter par le menu les incroyables obstacles que ces deux-là doivent surmonter pour s’aimer, sous peine d’altérer le charme d’une fiction aux visages multiples. A l’origine de la rencontre, un non-dit sur un vécu en réalité partagé : Miguel, ex-chef cuisinier de renom, est réduit à ce nouvel emploi après une faillite et sa situation financière précaire l’oblige à dormir dans la loge de concierges de ses parents. En bref, alors que le désir grandit (alimenté chaque jour par les petits plats concoctés par Miguel pour la vendeuse de cigarettes électroniques et livré le midi à la boutique dans un bol géant), les deux cinquantenaires amoureux restent sans lieu pour assouvir le dit-désir. De café en brasserie, de rendez-vous rapides en baisers volés, ils trouvent enfin, une fois les aveux passés, l’espace commun  de la première étreinte en plein jour dans l’appartement de Dadick et Papick occupés à l’extérieur par une partie de golf. Les deux amants ne sont pas au bout de leurs peines mais le jeu de cache-cache en vaut la chandelle et l’amour triomphe !

 

Raccourcis de langage savoureux (‘ça fait trente ans que je suis majeure’, ‘Ne prends pas le métro, c’est ballot’), loufoquerie des situations (le mari plaqué et repentant déguisé en cliente portant foulard et jupe entrant dans la boutique pour faire une surprise à son épouse et la reconquérir), inventivité hilarante de certaines scènes (le banc de bronzage lumineux d’où sort la voix affolée de la mère, tandis que le père et la fille tentent d’en soulever le couvercle). Autant de traits familiers du talent protéiforme, comique et satirique, de la réalisatrice. Avec « Marie-Francine », elle explore cependant des pistes nouvelles : ses amoureux tardifs s’ouvrent aux sentiments qui affleurent, à la tendresse qui les submerge. Et nous entendons à l’unisson des chansons sentimentales de Charles Aznavour et des standards de Julio Iglesias à faire pleurer Margot tandis que les images se teintent de couleurs douces.

 

De la mélancolie à l’euphorie, du désenchantement à la croyance, « Marie-Francine » ne se réduit nullement à la mise en scène fantaisiste de la crise de la cinquantaine chez une ‘petite fille attardée’ qui découvre le sel de la vie grâce à l’amour partagé. Portée par un casting épatant et un scénario proliférant, cette histoire inclassable nous réserve une sacrée surprise : Valérie Lemercier n’a pas peur de la guimauve ni de l’excès de lyrisme. Elle ose une comédie étrange  en forme de mélodie du bonheur. Chapeau, l’artiste.

 

Samra Bonvoisin

« Marie-Francine », film de Valérie Lemercier-sortie le 31 mai 2017

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 31 mai 2017.

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