Enseigner en lycée professionnel aujourd'hui 

Qu'est ce qui fait la singularité de l'enseignement professionnel aujourd'hui ? Alors que les lycées professionnels connaissent une véritable révolution, Aziz Jellab, inspecteur général mais aussi chercheur à l'université Lille 3, tente de faire un tableau contrasté d'une filière mal aimée. Particularité de ce nouveau livre : la proximité du terrain. Le sociologue Aziz Jellab se fait aussi pédagogue.

 

 "Si le LP constitue bien un laboratoire pédagogique, il pourrait éclairer les pratiques éducatives et didactiques en vigueur dans d'autres ordres d'enseignement".  Cette conviction anime le petit livre d'Aziz Jellab et d'une façon le signe d'un trait positif qui lui semble important.

 

Souvent décrié et méprisé, décrit en terme de domination, l'enseignement professionnel est pourtant la grande réussite du système éducatif français. Il sait chaque année conduire au bac et vers le supérieur un nombre croissant de jeuens qui auraient quitté l'école sans diplôme ou avec un diplôme d'un rang inférieur. Pour illustrer cette révolution deux chiffres : en 1990 3% des jeunes d'une génération ont un bac pro. En 2015, 22%. La démocratisation du bac ce sont les LP qui l'ont porté. Ils ont su à la fois diminué la durée de formation, accueillir des élèves plus jeunes et plus nombreux et les pousser au bac.

 

L'analyse d'A Jellab ne se limite pas à ce coup de clairon. Il retrace toute la mutation de la voie professionnelle. Il analyse ses publics élèves et ses enseignants pour en souligner les particularités.

 

La particularité de ce livre c'est la place qu'il donne aux pédagogies utilisées en lycée professionnel. Il montre la diversité des formes de savoir en LP et la façon dont les enseignants créent un nouveau rapport à l'école et aux savoirs scolaires. Sur ce terrain il se démarque des critiques de la socialisation à l'école. Pour lui les concessions faites au relationnel font partie de la démarche pédagogique , en sont une condition et ne sont donc pas en opposition avec les savoirs comme cela a pu être montré en REP.

 

Un aspect très appréciable du livre sont les nombreux encadrés. Chacun pointe une particularité pédagogique de la riche mosaïque qui constitue l'enseignement professionnel.

 

L'ouvrage intéressera donc les enseignants des lycées professionnels. Mais aussi tous les acteurs de l'Ecole qui veulent comprendre les réussites et les défis de la voie professionnelle.

 

François Jarraud

 

Aziz Jellab, Enseigner et étudier en lycée professionnel aujourd'hui. Éclairage sociologique pour une pédagogie réussie. L'Harmattan, 2017, ISBN : 978-2-343-12018-8

 

Le sommaire

 

 

Aziz Jellab : " Les enseignants de la voie professionnelle n'ont pas intériorisé l'image de l'élève idéal"

 

Qu'est ce qui fait l'originalité de l'enseignement professionnel ? Ses crises ? Sa réussite ? Son caractère d'enseignement dominé ? Ses enseignants ? Aziz Jellab répond aux questions du Café pédagogique...

 

Peut-on dire que ce nouvel ouvrage est le plus pédagogique de vos livres sur l'enseignement professionnel ?

 

 Oui. Mais c'est que la sociologie contribue aussi à apporter un éclairage utile aux enseignants et aux personnels d'éducation.

 

Vous présentez le corps des professeurs de lycée  professionnel, les PLP. Peut-on dire qu'ils sont différents de leurs collègues ? Et qu'ils forment un corps dominé ?

 

Traditionnellement les PLP ont un profil plus hétérogène que les autres professeurs. Ce sont souvent des enseignants qui entrent dans le métier en 2de ou 3ème carrière et qui vivent ce métier comme une promotion.

 

Il faut aussi distinguer entre les PLP des matières générales et des matières professionnelles. Ces derniers ont souvent travaillé en entreprise et ont plus d'expérience. Les enseignants des matières générales se recrutent plutôt parmi les étudiants et souvent ils optent pour le corps de PLP après un échec au capes ou à l'agrégation. Leur arrivée en LP ressemble à celle des élèves qui sont là sans l'avoir vraiment demandé.

 

Le sentiment de domination va dépendre aussi du type de lycée où ils enseignent. Il va être ressenti plus fortement dans un lycée polyvalent, où les PLP sont confrontés à des enseignants d'un autre statut, que dans un LP. Maintenant là où les PLP enseignent en BTS, ce la contribue à diminuer le sentiment de domination.

 

Il y a quand même une particularité qui signe la domination : ce sont les nombreuses suppressions de postes avant 2012...

 

Le bac pro en 3 ans a aussi mis sous tension des professeurs habitués à de petites classes que la réforme fait enseigner en classe entière.  Ils doivent gérer l'hétérogénéité des élèves et elle est plus grande qu'avant. Il faut aussi accompagner davantage els élèves, de façon plus personnalisée pour des effectifs plus importants. Tout cela fait qu'il y a de vraies interrogations particulièrement dans des sections tertiaires.

 

Vous montrez dans le livre l'importance de la socialisation pour pouvoir enseigner. Sur ce point vous prenez à rebours les thèses de Rochex.

 

Le fait de dire que l'on fait de la socialisation n'empêche pas les apprentissages. Les enseignants de lycée professionnel sont très sensibles à la qualité de la relation avec les élèves. Ils savent que c'est un travail nécessaire à mener au quotidien.  Ce qui peut paraitre comme une bienveillance exagérée est en fait une ruse pédagogique. Le professeur dédramatise l'échec. Il dit aux élèves qu'on redémarre sur une autre piste. Cela crée chez l'élève le sentiment d'être pris en considération. C'est fondamental.

 

Un autre élément joue aussi : les enseignants de la voie professionnelle n'ont pas intériorisé l'image de l'élève idéal. Ils partent d'emblée avec un public en difficulté. Beaucoup savent que les élèves n'ont pas choisi la voie où ils sont. Ils comprennent qu'il faut valoriser les compétences des élèves pour assurer leurs progrès.

 

C'est cette qualité de relation , qui est un préalable à l'enseignement, et le dosage de la difficulté scolaire qui permettent à l'élève de reprendre confiance. Et les élèves font très bien la différence entre le professeur qui ne cherche que la paix scolaire et celui qui a aussi des exigences.

 

Dans votre livre, vous évoquez le controle en cours de formation (CCF). C'ets un point très critiqué par les enseignants qui jugent qu'il tire le niveau vers le bas. Vous le jugez plutôt positivement. Pourquoi ?

 

C'est vrai que c'est une surcharge de travail et qu'il pose des questions éthiques. Des enseignants disent qu'ils ne peuvent à la fois être formateur et évaluer. Mais il ya plusieurs façons de faire. Le CCF est surtout une façon d'individualiser le travail des élèves. Quand ils ont atteint un niveau de compétence on le valide avec le CCF. Pour autant , on peut dire que ce n'est pas encore un point stabilisé. Le CCCF est positif s'il est mis en oeuvre dans l'esprit attendu pour permettre à chaque élève d'avancer à son rythme.

 

Une des questions majeures de l'enseignement professionnel aujourd'hui c'est la poursuite d'études vers le supérieur. Que faut-il faire pour que les élèves réussissent dans le supérieur ? Relever le référentiel du bac pro ou créer des filières spécifiques aux bacs pro ?

 

La préparation au supérieur doit effectivement évoluer. Par exemple sur la question du rythme de travail. Les élèves disent qu'ils ont du mal à suivre celui du BTS. Ils ne sont pas habitués au travail à la maison. Mais il faut aussi se poser la question de la finalité du bac. Est ce un diplome de fin d'étude ou un examen d'entrée dans le supérieur ? La poursuite des études vers le BTS n'est elle pas en train de déqualifier le bac pro comme diplome d'insertion ?

 

Il faut aussi travailler la question de la filière du supérieur. Faut il une filière spécifique, qui prenne mieux en charge les besoins de ces élèves, ou une filière mixte qui permette à tous d'apprendre de tous ? C'est une question à travailler.

 

Faut-il augmenter la part de l'entreprise dans la formation, notamment développer l'apprentissage en LP ?

 

L'apprentissage a une image positive mais il est soumis aux aléas de la conjoncture économique. Il y a des tentatives de développer l'apprentissage en LP mais ça fonctionne plus ou moins bien. Ma position c'est de dire que le LP et l'apprentissage doivent travailler de façon complémentaire.  Dans les lycées où il y a de l'apprentissage, il favorise la mixité des cultures, la prise en compte des évolutions professionnelles, l'ouverture sur l'économie.

 

Dans lelivre vous n'évoquez pas deux points noirs : la discrimination lors des stages et la crise de professionnalisation des enseignants. C'est le moment d'en parler...

 

La discrimination, je l'ai abordée dans un livre précédent. C'est un point important. Des lycéens anticipent ce problème avec des conventions avec les entreprises. Ce qu'il faut éviter  c'est anticiper l'écueil et inviter les élèves à changer d'orientation. Il faut aussi travailler l'autre coté, celui de l'autocensure des familles au moment de l'orientation..

 

La crise vécue par des enseignants existe dans certaines filières. Il y en a beaucoup dans l'enseignement professionnel. Cela concerne par exemple le bac pro GA. Même si on a enrichi le référentiel de ce nouveau diplôme il garde une vocation à la poursuite d'étude vers le supérieur. Il n' y a donc pas déprofessionnalisation mais une pré-professionnalisation ouvrant sur le supérieur.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 24 mai 2017.

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