Vivement attaqué à gauche comme à droite, menacé de disparition par plusieurs candidats à l'élection présidentielle, le Conseil supérieur des programmes (CSP) sort de sa réserve. Son président, Miche Lussault, un géographe, revient sur l'oeuvre accomplie. Il évoque aussi les obstacles que le CSP a trouvé sur sa route. Et il manifeste son intention de continuer. Mais pas dans n'importe quelles conditions...
Le CSP entame sa 4ème année et a été très critiqué aussi bien à droite qu'à gauche. De quoi êtes vous le plus fier ?
D'abord notre fierté c'est d'être toujours là. Nous avons réussi à imposer notre présence et proposer des programmes audacieux et neufs. Notre première fierté c'est d'avoir réussi à prouver l'intérêt d'une structure comme la notre. Nous sommes quelque chose d'étrange : ni une agence , ni un service ministériel mais une entité placée auprès du ministre , jouissant donc d'une indépendance relative car liée aux commandes ministérielles. Par contre notre indépendance est réelle par rapport aux organes du ministère comme la Dgesco, l'Inspection générale, et aussi une certaine indépendance politique même si nous avons souvent réalisé des compromis qui nous semblaient nécessaires.
Ensuite on est fier de ce que nous avons produit : le socle, les programmes de maternelle, de la scolarité obligatoire, les parcours, l'EMC, les adaptations des programmes. Nous avons tracé des voies de réflexion et d'action porteuses de refondation de l'Ecole.
Qu'est ce qui est audacieux et neuf dans ces programmes ?
Pour la première fois nous avons essayé de s'affranchir de pesanteurs. D'abord les programmes ne sont pas écrits pour décrire ce que les enseignants doivent savoir et faire mais pour dire ce que les élèves doivent apprendre. C'est une rupture avec la tradition française où écrire les programmes revenait à dire ce que les enseignants devaient maitriser. Nous avons établi une révolution copernicienne dans les programmes en disant que ce qui compte c'est ce que l'élève maitrise.
Cette maitrise ne peut pas être pensée seulement comme une connaissance disciplinaire. Une partie renvoie à d'autres types de savoirs et compétences qui sont des méthodes, des langages, des capacités à traiter l'information. Le socle par exemple va beaucoup plus loin dans la réflexion sur ce qu'est une culture commune. Il donne une importance considérable à l'apprendre à apprendre.
Nos élèves sont en difficulté dans leur capacité à apprendre. Préalablement à l'apprentissage de connaissances il faut les stabiliser dans leur capacité à apprendre. Ce n'est pas la faute de l'Ecole. Mais elle doit redonner aux élèves des capacités à apprendre, comprendre, maitriser, réinvestir des savoirs.
La deuxième audace c'est de penser en cycles de 3 ans. C'est insister sur l'importance du temps long des apprentissages. Il est surprenant que certains syndicats ne comprennent pas l'intérêt de cycles de 4 fois 3 ans, 12 années continues où on peut réfléchir au temps long des apprentissages. C'est ce temps long de capitalisation qui permet à l'enfant de s'élever dans le savoir. L'annuité est une entrave à une bonne compréhension des élèves. Quand je vois des candidats promettre de revenir à l'annualité des programmes c'est idiot et réactionnaire.
La troisième nouveauté des programmes c'est l'insistance que nous avons montré à la question de la connexion entre les enseignements. Nous avons insisté sur la complémentarité des enseignements et la nécessité de faire en sorte qu'ils soient articulés les uns aux autres.
Justement n'est ce pas trop ambitieux pour les enseignants ? Beaucoup ne s'y retrouvent pas entre le socle et les programmes. L'annualité, le lien entre les disciplines sont en contradiction avec le fonctionnement habituel de l'Ecole. Les programmes ne sont-ils pas aussi trop ambitieux pour les élèves ? N'élèvent ils pas trop haut la barre de ce qu'on attend d'eux ?
Au moins vous ne pensez pas comme certaines gazettes que l'on brade le niveau ! Nous nous sommes posés ces questions. On a fait le pari que les élèves, tous les élèves, même de milieu populaire, peuvent apprendre et qu'ils sont avides d'apprendre. Il y a une demande scolaire forte dans les catégories populaires.
On constate que l'organisation du système scolaire et la formation des enseignants ne sont pas tout à fait en correspondance avec nos innovations programmatiques. On regrette donc de ne pas être associés à la rédaction des ressources pédagogiques des enseignants. On aimerait l'être également à la formation des enseignants, le grand chantier de demain. Il faut préparer les enseignants au travail en commun. Sinon ces programmes seront détournés.
Vincent Peillon pensait que par une modification des logiques de construction des programmes on provoquerait une transformation du système. Il a mis les nouveaux programmes au centre de la Refondation.
L'institution saura-t-elle aller jusqu'au bout des logiques mises en place par ces nouveaux programmes et en tirer toutes les conséquences ? Un nombre substantiel d'acteurs de l'Ecole a compris ce que ces programmes permettent de réaliser. On voit déjà sur le terrain les effets des programmes sur les pratiques.
La question de l'indépendance des rédacteurs des programmes est une vieille question dans l'Ecole. Historiquement ce qui a assuré le plus de stabilité, qui est quelque chose que vous demandez, et d'indépendance c'étaient les circuits compliqués et longs type CNP. Une structure légère comme le CSP peut-elle être stable et indépendante ?
Oui je pense qu'il faut de la stabilité. Mais elle est de la responsabilité du ministère et des enseignants et des syndicats. La mise en oeuvre des nouveaux programmes a demandé un effort considérable aux enseignants. Leurs organisations syndicales devraient demander la stabilité quitte à ce qu'on amende les programmes. On peut être dans une logique d'évolution des programmes à partir de diagnostics sur ce qui ne fonctionne pas. Mais on ne peut pas aujourd'hui, au bout de quelques mois, préjuger de l'échec de ces programmes. La stabilité est nécessaire aux enseignants, aux enfants et à la société pour que l'Ecole ne soit plus le terrain de jeux des polémistes.
Mais il faut aussi que l'institution veuille faire vivre ces programmes, accompagner les enseignants et qu'elle n'essaie pas de les enterrer comme cela s'est fait pour le socle de 2005.
Mais être une petite structure ne vous rend il pas plus fragile face aux pressions ?
Un CSP plus important deviendrait un cénacle de spécialistes. J'assume le fait que l'on soit spécialistes de rien. Quand on a besoin de spécialistes on va les chercher. Le défaut c'est que parfois c'est le pot de terre contre le pot de fer. On manque de ressources pour expliquer ce qu'on veut et pour aller chercher des spécialistes.
Le CSP est fragile dans sa capacité de suivi de ses propositions. J'aurais voulu qu'on puisse organiser des forums sur les programmes ou monter des formations pour les enseignants. Je regrette que l'on n'ait pas en France un débat à la hauteur des enjeux de l'Ecole et que le CSP n'ait pas été armé pour organiser ce débat. Finalement on n'a pas su suffisamment expliquer les nouveaux programmes aux enseignants. On n'en a pas toujours eu l'autorisation d'ailleurs...
Les programmes sont très bien accueillis en maternelle, bien accueillis au primaire et nettement moins bien au collège. Comment expliquez vous ces différences ?
Cela vient du fait que le collège est construit comme un petit lycée. Notre proposition de cycles est différente de la logique dominante qui est celle du spécialiste disciplinaire. Enfin la mise en application intégrale sur une année a posé plus de problème au collège. Notamment à cause du cycle 3 en 6ème. Enfin la mise en oeuvre a souffert du brouillage lié à la mise en place de la réforme du collège, une réforme que nous n'avons pas demandé. On a regretté de ne pas être associé à cette question.
La logique du socle non disciplinaire brouille aussi beaucoup la question de l'évaluation. Or l'institution n'a pas franchi le cap. On avait proposé que le brevet soit simplement la validation du socle. Finalement on maintient le DNB pour des raisons rituelles et cela n'a pas grand sens par rapport à notre cursus curriculaire.
Enfin la manière dont les formations ont été proposées aux enseignants, sans qu'on y soit associé, a joué aussi. Parfois elles ont été trop descendantes, trop prescriptives alors qu'elles auraient du porter sur la façon de régler les problèmes quotidiens des enseignants. Cela a produit plus d'effets secondaires négatifs au collège qu'à l'école. Car les professeurs des écoles ont davantage l'habitude de travailler par cycle et ont déjà travaillé sur l'évaluation.
Dans un communiqué récent vous dites "le CSP a parfois eu du mal à faire respecter ses choix". Un exemple ?
Je viens d'en donner un. Je peux ajouter qu'on a eu un moment difficile quand certains se sont mis en tête de réécrire une partie du socle. Il a fallu que le CSP fasse sa place...
Le gros problème de l'Ecole c'est les inégalités. Le travail du CSP y répond il ?
Le CSP n'a pas les clés pour ce dossier. Mais on en a tenu compte. Le socle commun pose le principe que la République doit proposer à l'ensemble des élèves, quelque soit leur origine, des connaissances et des compétences. Dire cela c'est se projeter dans un idéal d'une Ecole juste. En ce sens, dans le socle, il y a une partie qui explicite les questions d'apprentissage , qui explique le curriculum caché. Car la volonté de rendre explicite les méthodes d'apprentissage contribue à réduire les inégalités de classe. On insiste sur ces points de façon à permettre aux enseignants d'être attentifs à cela.
On fait aussi passer par les programmes le discours que tous les élèves doivent avoir les mêmes apprentissages et ne pas être envoyés pour certains dans des filières où les enseignements sont allégés. On pense qu'il faut avoir de l'ambition pour tous les élèves. Il faut le meilleur de l'Ecole pour tous. Peillon disait "l'Ecole en instruisant éduque à la liberté". On a repris cette conception. Remettre en question le socle commun ce serait consentir au fait qu'on mette à l'écart une partie des élèves et qu'on leur donne des soins palliatifs.
On est à la veille de l'élection présidentielle. En fonction des résultats vous partez ?
Le CSP se situe dans la loi d'orientation et est inamovible. Nous souhaitons continuer. Personne d'autre que nous ne pourra faire le choix de continuer ou d'arrêter. Personnellement je suis inamovible. Mais il y a des conditions dans lesquelles j'estimerais que la mission qui m'a été confiée par la République est compromise. Par exemple si un ministre nous disait qu'il n'a aucune intention de nous confier des missions. Certains candidats ont des visions très négatives du CSP. Il est clair que dans certaines circonstances il serait difficile pour moi de rester.
Propos recueillis par François Jarraud
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