Jean-Claude Meyer : Comment installer le travail collaboratif ? 

"La question du travail d'équipe des enseignants est fortement marquée par le désenchantement ou la crainte d'une impasse". Pourtant l'inspection, les instructions officielles, les programmes et le socle, la réforme du collège, l'accompagnement personnalisé en lycée, bref toute la puissance de l'institution pousse dans le sens du travail collaboratif des enseignants. Alors comment faire pour qu'il s'installe vraiment  C'est la question que Jean-Claude Meyer, professeur de français et formateur, prend à bras le corps dans un nouveau livre publié par ESF. L'ouvrage donne des pistes concrètes, particulièrement en français, pour impulser le travail collaboratif dans une équipe disciplinaire et dans un établissement.

 

Pourquoi ne voit-on pas la grande majorité des établissements et des enseignants suivre la voie du travail collaboratif ? C'est pour JC Meyer que si le travail collaboratif peut permettre une véritable refondation des pratiques enseignantes il peut aussi être un piège et déboucher sur une déprofessionnalisation des enseignants.. C'est aussi que malgré les injonctions institutionnelles répétées, on laisse les enseignants se débrouiller et on n'instaure pas les conditions du travail collaboratif.

 

Dans on livre, Jean-Claude Meyer veut apporter des réponses concrètes pour aider les chefs d'établissement et les enseignants à mettre en place le travail collaboratif. Pour cela il donne des exemples de démarche de travail collaboratif au collège et au lycée , particulièrement en français.

 

Mais l'ouvrage s'adresse aussi aux chefs d'établissement qui y trouveront des pistes pour institutionnaliser le travail collaboratif de façon durable dans leur collège ou lycée.

 

François Jarraud

Jean-Claude Meyer, Le travail collaboratif des enseignants Pourquoi ? Comment ? Travailler en équipe pour plus d'efficacité. ESF. ISBN :  978-2-7101-3190-8

 

Sommaire

 

 

 

Jean-Claude Meyer : Le travail collaboratif peut changer l'Ecole demain

 

" J'aimerais que la lecture du livre amène le lecteur à une interrogation fondamentale : nous enseignants quel métier voulons construire pour demain ?" Jean-Claude Meyer réfléchit aux difficultés de mettre en place le travail collaboratif dans le contexte actuel. Il cherche aussi les leviers d'un éventuel changement. Le principal étant la réflexion des enseignants.

 

Pour qui avez-vous écrit ce livre ? Des formateurs ? Des enseignants ?

 

Dans mon esprit la question est proche maintenant des enseignants mais aussi des chefs d'établissement et des formateurs. Je vois le livre s'adresser en priorité aux enseignants pour leur dire qu'il y a des choses à faire en travail collaboratif pour son développement professionnel. C'est pour cela que le livre donne des exemples précis en français pour le collège et en accompagnement personnalisé (AP) en lycée.

 

Le livre veut aussi souligner que c'est un sujet de recherche et pas seulement une vision fonctionnaliste des établissements. Si le travail collaboratif se développait il serait porteur d'effets innovants.

 

Pourquoi encourager le travail collaboratif ?

 

Depuis un demi siècle, le discours officiel valorise le travail de l'enseignant dans sa classe. On a peu visité l'activité enseignante en amont et en aval de la classe. Alors je me demande si on n'a pas délaissé un levier essentiel de changement.

 

Quand elles s'intéressent à l'amont, les instructions officielles parent du travail en équipe comme allant de soi. Or ce n'est pas le cas. Et le livre aborde avec cette question un domaine qui ne fait pas l'unanimité chez les enseignants. Tout ce travail est considéré comme de la responsabilité individuelle de l'enseignant.

 

Alors je dis qu'avec le travail collaboratif les enseignants peuvent se saisir du pouvoir qu'ils ont pour questionner leur cadre de travail. Et je ne dissocie pas l'encadrement des enseignants : ça doit se faire en interaction forte dans un projet..

 

On voit bien par exemple qu'il n'y a pas d'accord sur les objectifs prioritaires, par exemple l'évaluation, entre les enseignants d'une classe. Le travail collaboratif doit permettre d'améliorer la cohérence et de mettre sur la table les réflexions. Dans mon esprit ce travail ne peut pas se faire en un an. Il faut 4 ou 5 ans pour qu'une équipe mène une réflexion et corrige son fonctionnement avant de poser quelque chose de durable.

 

Evidemment ce travail collaboratif a un coût important au départ. Mais à terme il apporte gain de temps et confort aux équipes.  En même temps la qualité de l'enseignement s'améliore.

 

Comment expliquer alors que ça ne se fait pas sur le terrain ?

 

Le cadre professionnel n'y invite pas. Les enseignants préfèrent passer moins de temps dans les établissements préférant travailler chez eux sur le modèle des professions libérales. Les établissements ont rarement des locaux adaptés. Si on veut que le travail collaboratif s'installe il faut donc mener de front le travail entre les enseignants et que l'établissement les équipe. Pour moi cela veut dire que ça doit passer par le projet d'établissement.

 

Ca ne marche pas aussi à cause du contexte actuel où les enseignants voient tout investissement supplémentaire comme inconvenant car ils sont déjà à la peine et mal reconnus.

 

D'un autre coté l'insatisfaction des enseignants pousse aussi au travail collectif. Le gain est dans davantage de réflexivité sur son action d'enseignant.

 

Enfin il faut souligner que le travail collaboratif ne doit pas empiéter sur la façon dont chacun conduit sa classe, sa relation personnelle avec les élèves.

 

Que retenez vous des tentatives d'instituer le travail collaboratif dans la réforme du collège et du lycée ?

 

Pour la réforme du collège, la façon dont les instructions ont été données de façon descendante ont abouti à ce que dans les établissements les équipes se forment mais manquent de pratique quand elle ne se diluent pas dans des discussions sans fin. Les professeurs se plaignent de ne pas être accompagnés. On ne peut pas lancer une réforme de cette ampleur sans un véritable dialogue sur le terrain avec les formateurs. Très souvent au collège on arrive à des propositions fades portées par des équipes qui se défont. Il y a peu de réflexion sur le curriculum.

 

Au lycée, il n'y a pas de programme pour l'accompagnement personnalisé. Les choses se sont passées de façon plus interactive.

 

Quel rôle a le chef d'établissement ?

 

Il est capital. Il est souvent vu comme un petit chef. Mais dans le processus du travail collaboratif il faut qu'il prenne des risques et qu'il libère des espaces pour le travail collaboratif. Il aura alors un corps enseignant qui exprimera plus facilement ses divergences. Le travail collaboratif peut permettre de crever des abcès , d'ouvrir des conflits larvés. Il implique une mutation dans la gestion du collectif professionnel de l'établissement.

 

Si je résume il faut des efforts, de la militance, prendre des risques. Ca suffit pour impulser un changement ?

 

Il faut le dire. Mais il faut aussi que l'institution donne les moyens nécessaires pour accompagner les équipes comme par exemple des formations. Je verrais cela avec des incitations au niveau du bassin. Il faudrait des accompagnateurs d'établissement présents sur 3 ou 4 ans.

 

J'aimerais que la lecture du livre amène le lecteur à une interrogation fondamentale : nous enseignants quel métier voulons construire pour demain ? Je vois dans le travail collaboratif un processus de transformation de l'action éducative.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 07 avril 2017.

Commentaires

  • Hirondl, le 08/04/2017 à 16:17
    Enseignante PE depuis 3 ans après de longues années en entreprise (TPE et grosse PME), j'hallucine régulièrement sur la façon dont les enseignants envisagent et mettent en œuvre le travail en équipe. Cela dit le livre a l'air pertinent : "malgré les injonctions institutionnelles répétées, on laisse les enseignants se débrouiller" ...... tout est dit ! De plus, les enseignants ne se vivent pas suffisamment eux-mêmes comme des salariés, mais sont en effet des travailleurs à moitié étudiants... libéraux.... assez dociles dans l'ensemble. Le travail d'une équipe de salariés s'organise et se coordonne, et a donc besoin d'un chef de projet, pas d'une injonction. Je suis convaincue de la nécessité d'une reforme en profondeur de l'organisation du travail des enseignants, mais je me sens assez seule sur le terrain dans cette réflexion !!! J'ai l'impression d'avoir intégré l'armée mexicaine : nous sommes tous généraux dans notre classe, tout en subissant un régime totalitaire. Sans parler de la paperasse........ pire que n'importe quel contrôle de certification AFAQ que j'ai connu..... Bref mon nouveau métier est passionnant ! pour preuve je suis sur le cafe pédagogique un samedi, mais l'organisation professionnelle est déplorable, voire inquiétante. Valerie, "jeune" PE. (et je n'ai pas dit ce que je pensais du processus d'inspection et d'évaluation des enseignants ah ah ah ! ça aussi c'est surréaliste )
    • Ailise, le 14/04/2017 à 10:50
      Merci Hirondl. Vous m'avez bien fait sourire en ce matin morose. Je ressens la même chose. J'enseigne en lycée des métiers et j'hallucine souvent sur le fonctionnement de La Maison. Beaucoup d'enseignants des matières "générales" n'ont jamais mis le nez dans la vraie vie des vrais gens. Ils sont dans le système éducation nationale depuis la petite section maternelle jusqu'à l'obtention de leur CAPES, puis jusqu'à leur retraite. C'est sans doute là que le bât blesse. C'est dans les équipes pro et techno que Monsieur Meyer trouvera quelques solutions. Nous pour enseigner on juste BESOIN du travail collaboratif, de mutualiser nos documents, nos évaluations, nos progressions, nos intentions pédagogiques... En dehors de ça il n'y a pas d'enseignement possible. On ne connait que ça. Sinon nos ateliers ne fonctionneraient pas tout simplement.
      L'ennui c'est que l'armée mexicaine le sait ! Tout dans la réforme du bac techno tend à mettre en place cette stratégie ailleurs commune : diviser pour mieux régner. Notre réforme du bac STHR, intervenue il y a 2 ans (oui, nous sommes les derniers a avoir été rénovés, nous avons bien résisté, comme un certain village gaulois !) tend à nous scinder, à nous enfermer dans des salles de classes portes closes, chacun avec ses élèves, à rentrer dans le rang des batallones. Mais nous résistons. Nous collaborons toujours. No pasaran !
    • cdivoux1, le 10/04/2017 à 11:04
      "Je suis convaincue de la nécessité d'une réforme en profondeur de l'organisation du travail des enseignants".
      Tout est dit encore une fois. Faire évoluer les pratiques enseignantes (les fameuses injonctions institutionnelles) nécessite de réorganiser le travail dans le temps et dans l'espace. Tant que l'on mettra la charrue devant les boeufs, ça ne pourra pas marcher.
      À lire aussi "L'organisation du travail, clé de toute pédagogie différenciée" de Philippe Perrenoud, ESF 2012. Comme quoi cela fait longtemps que l'on en parle.
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