FEI16 : Le cours magistral : Comment une ''innovation'' devient ''tradition'' 

Le cours magistral une innovation ? C'est la thèse soutenue par Claude Lelièvre le 26 novembre lors du 9ème Forum des enseignants innovants. Intervenant aux cotés d'Eric Charbonnier et de 5 enseignants innovants, Claude Lelièvre revient sur l'histoire du cours magistral, une innovation de la fin du 19ème siècle. Alors tout ce qui est traditionnel aujourd'hui a été une innovation ?

 

Naissance du cours magistral

 

Dans l'enseignement secondaire, c'est seulement vers la fin  du XIXème siècle que le ''cours magistral'' prend  vraiment son essor. Cette innovation - qui va devenir en une génération le socle même de ce que nous désignons maintenant sous le nom d'''enseignement traditionnel'' - est au confluent de différents changements (dont certains interagissent entre eux).  C'est d'ailleurs le plus souvent comme cela que les innovations (du moins celles qui ''réussissent'' et perdurent) prennent racine et se sédimentent pour devenir une ''tradition''.

 

Au XIXème siècle, dans les lycées et collèges, l’espace temps privilégié est celui des ‘’études’’ (pour les internes, et même les externes). La journée type du lycéen se déroule selon l’horaire journalier suivant : 7 heures 30 en études (de 6 H à 7 H 30, de 10 H à 12 H, de 13 H 30 à 14 H 30, de 17 H à 20 H) pour 4 heures de classe (de 8 H à 10 H et de 14 H 30 à 16 H 30). Et les heures de ‘’classe’’ sont rarement des heures de ‘’cours’’ (sauf en histoire et philosophie) : on y corrige surtout des exercices et des devoirs qui ont été faits en études. C’était une époque – pourrait-on dire – où les élèves ‘’étudiaient’’ au lieu de ‘’suivre’’ des ‘’cours’’.

 

Assomption du cours magistral

 

A partir de la fin du XIXème siècle, plusieurs éléments ont concouru à l'assomption du ''cours magistral'', qui n'a pas eu lieu cependant facilement et très rapidement (car rien ne va de soi...). Le déclin de l'internat et la redéfinition des tâches des anciens « maîtres d'études » (dénommés «  maîtres répétiteurs » à partir de 1853) ) et devenus finalement adjoints d'enseignement chargés de l'externat au début du XXème siècle. La multiplication des disciplines enseignées (en raison du recul du modèle quasi hégémonique des humanités classiques et de son maître de lettres classiques trivalent), entraînant ipso facto une certaine réduction des heures d'études dans les emplois du temps. La réduction (en partie corrélative) de la durée des séquences d'enseignement qui, à partir de la grande réforme de 1902, passent toutes -en principe - de deux heures à une heure.

 

A ces changement structurels et organisationnels au cours de toute une génération dans les lycées et collèges, s'ajoute la modification sensible de ce qui passe à l'université (qui change la donne quant à ce qu'il paraît légitime voire prestigieux de faire).

 

Un modèle universitaire prestigieux

 

Dans les facultés de sciences et de lettres qui avaient été reconstituées sous le Premier Empire, il existait des ''cours'' (des ''suites de leçons'' pourrait-on dire). Mais leurs publics n'étaient guère composés d'étudiants, car la plupart d'entre eux se dispensaient de ces ''cours'' (à l'instar de ce qui arrive encore parfois actuellement, par exemple à Sciences-Po Paris). Pour trouver un public (au-delà de leurs étudiants)  et lui être agréable, les professeurs furent amenés à faire moins des ''leçons'' que des ''conférences'' (où le talent oratoire et le brillant pouvaient l'emporter sur les exigences de rigueur et de la science).

 

Mais vers la fin du XIXème siècle, la troisième République va donner des étudiants aux professeurs des facultés de sciences et de lettres, en instituant des bourses dont le versement sera suspendu à l'assiduité aux cours et en créant des cours « fermés » (c'est à dire réservés aux seuls inscrits à la faculté). Le cours (ou plutôt la conférence) devient alors réellement « magistral (e)» en ce sens qu'il (ou elle) s'adresse désormais à de véritables étudiants (qui vont avoir tendance à reprendre à leur compte, dans leur enseignement en lycée ou en collège, ce modèle universitaire prestigieux).

 

In fine, on peut songer à l'aphorisme de Raymond Aron : « Ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font » ( « Leçons sur l'histoire ; cours au Collège de France. 1972-1974 »)

 

Claude Lelievre

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 29 novembre 2016.

Commentaires

  • ludgiL, le 28/12/2016 à 21:15
    Article très complet merci beaucoup
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