FEI16 : L’école maternelle : une école de la citoyenneté ? 

A l’école maternelle Albert Camus de Talence, Philippe Guillem invite chaque jour ses élèves à un étonnant rituel : publier un tweet sur le réseau social Babytwit pour informer les parents de l’actualité de la classe. Perte de temps ? ou apprentissage fondamental de la citoyenneté ? Par ce tweet, résultat d’un choix collectif, les élèves s’approprient le vote comme outil de prise de décision, ils font l’apprentissage du renoncement et de la primauté de l’intérêt collectif, ils apprennent à penser leur identité numérique et, par un rituel, à s’intégrer à une société. Philippe Guillem a participé plusieurs fois au Forum des Enseignants Innovants du Café pédagogique : il explique aussi pourquoi il y présente ce projet, comment le Forum lui-même invite à échapper à la solitude et dépasser la tentation de l’individualisme pour participer pleinement à une communauté d’enseignants.

 

Vous invitez chaque jour vos élèves de maternelle à publier un tweet : pouvez-vous nous éclairer sur le réseau utilisé et le contenu du message publié ?

 

Les messages répondent à l’éternelle et légitime demande faite par les parents d’être informés de ce qui se passe en classe. Pas toujours très facile de répondre à cette question pour des élèves de moyenne et grande section … Alors, en groupe, la classe décide d’écrire un message quotidien pour informer les parents.

 

Nous utilisons le réseau social Babytwit. C’est un réseau porté par l’association AbulEdu qui promeut les logiciels libres dans l’éducation. Ce réseau de microbloging semblable à Twitter dans ses fonctionnalités se veut éthique et responsable. Il n’utilise pas les données personnelles à des fins commerciales. Il est sans publicité et les données sont réellement effacées à la clôture d’un compte. C’est une façon de sensibiliser aussi les parents aux enjeux des réseaux sociaux. Les messages comptent au plus 140 caractères, ce qui est largement suffisant pour créer des phrases précises et grammaticalement élaborées.

 

Le tweet publié est le résultat d’un vote : comment procédez-vous pour parvenir au choix collectif ?

 

Tous les matins, 3 élèves proposent chacun leur sujet. Ces sujets sont affichés au tableau sous-forme de dessins permettant de les mémoriser. Ils choisissent généralement un événement récent, un atelier, un moment de récréation : c’est très variable, mais c’est toujours quelque chose qui les concerne de près.

 

Les modalités du choix de l’un de ces sujets vont évoluer tout au long de l’année. Au départ, chaque élève vient dessiner un trait au tableau sous le dessin de son sujet préféré. Le sujet qui obtient le plus de barres sera choisi. Au fil de l’année, à la faveur d’un véritable scrutin, certains élèves accompagnent leurs parents au bureau de vote. En s’appuyant sur leur témoignage, nous introduirons le vote à bulletin secret avec une urne, une liste électorale et un dépouillement public en bonne et due forme. Les élèves s’initient ainsi au vote par la pratique.

 

A l’usage quotidien, ce système de choix s’avère cependant très chronophage. Beaucoup de travail de mise en place de l’urne, d’un endroit isolé pour voter, sans compter le dépouillement. J’ai alors demandé à des étudiants de l’IUT d’Informatique de Bordeaux dans le cadre de leur projet tutoré, de créer une application sur tablette permettant de reproduire la procédure de vote numériquement : cela a pris la forme de l’appli Boit’avot’.

 

La dernière modalité de vote utilise l’application Plickers. Par un système de carte semblable à un QR code, elle permet une consultation instantanée grâce à un smartphone ou une tablette. L’affichage des résultats est très rapide. Peut-être la préfiguration d’un futur vote électronique ? En tout cas, une procédure de consultation très souple et rapide à mettre en œuvre.

 

En quoi une telle activité vous semble-t-elle susceptible d’aider à construire la citoyenneté en général ?

 

Tout au long de ce projet les élèves ont à mettre en œuvre des procédures de choix collectif. C’est un exercice difficile, car choisir, c’est aussi l’apprentissage du renoncement, la décision collective prévalant sur le choix personnel. C’est un apprentissage fondamental pour le citoyen que d’accepter l’intérêt collectif. L’exercice régulier du vote fait que les élèves intègrent véritablement le vote comme un outil de prise de décision. Le fait que ce vote soit quotidien modère les effets de frustration, car au fil des jours les élèves comprennent bien que parfois leur choix ne correspondra pas à celui du groupe, mais parfois aussi leur avis sera suivi. Cela dédramatise ce qui souvent est considéré comme « un échec ».  Dans les ateliers collectifs, j’ai pu constater qu’ils utilisaient le vote spontanément pour choisir entre plusieurs propositions d’élève, preuve que cette modalité de choix a bien été intégrée.

 

En quoi une telle activité vous semble-t-elle susceptible d’aider à construire la citoyenneté numérique en particulier ?

 

Pour ce qui est de la construction de la citoyenneté numérique, elle passe bien évidement par l’utilisation du réseau social Babytwit, pour les élèves tout comme pour leurs parents. Lors de la rédaction des tweets, inévitablement, se posent les questions telles que : « A qui écrit-on ? Qui peut lire ce que j’ai écrit ? Qu’est-ce que je peux écrire sur le réseau ? » Les questions d’identité numérique et de « Netiquette » sont abordées à partir de cas concrets. Ces questions trouvent leurs réponses peu à peu et sont construites par les élèves. Quand un élève propose d’écrire aux parents qu’« Untel » a fait une bêtise, point besoin d’interdire. La question : « Est-ce que vous êtes sûrs que vous voulez écrie cela ? » suffit à enclencher leur réflexion. Pas besoin alors d’injonction ou d’interdiction puisque les élèves ont pensé et compris pourquoi il ne fallait pas dire cela sur le réseau. Tout cela contribue bien sûr à la construction de la citoyenneté numérique de ces tous jeunes élèves mais aussi à celle de leurs parents.

 

Il s’agit là d’un rituel de classe : en quoi de tels rituels vous semblent-ils importants ?

 

Avant tout, l’école maternelle est souvent le lieu des rituels. Tout d’abord parce qu’il faut avec ces jeunes enfants construire du social. Philippe Meirieu nous rappelle que par les rituels, « l’enfant apprend à s’inscrire dans le monde, à développer sa liberté dans une collectivité. » C’est une notion fondamentale à instaurer chez les jeunes élèves : « Comment peut-on gagner en liberté en acceptant les règles du groupe ? ». La journée d’un élève de maternelle est « balisée » par ces rituels qui rendent intelligibles et repérables les différents temps de la classe. Ils ont une fonction rassurante en permettant aux tout jeunes enfants de se repérer dans le temps : ils rythment et structurent le temps de la journée, de l'année (à l'accueil le matin, avant de chanter), avant une histoire en fin de journée, lors des diverses fêtes, à la fin de l'année ... Comme ils sont plus âgés en moyenne et grande section, les rituels sont investis comme des jeux symboliques ou des jeux à règles ; c’est particulièrement le cas pour le rituel du vote. Les élèves se prennent au jeu des élections : une belle façon d’apprendre dans le plaisir.

 

Vous avez déjà participé au Forum des Enseignants Innovants : pourquoi cette envie de revenir ?

 

Effectivement, j’ai participé aux 4 dernières éditions du Forum. Avant tout, c’est je crois l’occasion de rencontrer des gens. Des gens qui cherchent, se posent des questions, essayent au quotidien d’inventer une pédagogie au plus près des élèves qu’ils ont en face d’eux, donc forcément toujours renouvelée. Ce Forum porte vraiment bien son nom. Pendant 2 jours, on y échange, on y discute ferme, au gré des rencontres et des découvertes comme sur la place du marché. C’est éprouvant de parler pendant deux jours, soirée comprise, sans pause, mais quel plaisir ! On y retrouve aussi parmi les participants des gens que l’on croise sur les réseaux sociaux tout au long de l’année. L’occasion d’une rencontre IRL pour s’apercevoir que finalement ce n’est pas pour rien que l’on « se suit » sur Twitter ou que « l’on est ami » sur Facebook …

 

Ces rencontres permettent de pouvoir sortir d’une certaine solitude que l’on peut ressentir au sein de nos établissements. Non pas que les enseignants présents au forum soient des « bêtes à part » enfermés dans leurs « pratiques innovantes » impartageables, mais force est de constater qu’il y a une certaine communauté de pensée entre tous les enseignants présents ; une salle des profs un peu particulière quand même, et qui s’enrichit au fil des éditions.

Après le Forum, l’effet persiste. Il beaucoup plus facile d’aller vers les gens, de demander de l’aide, d’en proposer : si tu ne sais pas, demande, et si tu sais, partage !

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Présentation sur Prezi

Le site de Philippe Guillem

 

 

 

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 23 novembre 2016.

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