SVT : Des lycéens envoient des graines dans l’espace  

Comment faire découvrir l'espace aux lycéens ? Comment des lycéens peuvent-ils échanger directement avec l’astronaute Thomas Pesquet ? Les élèves de Fabrice Diot, enseignant de SVT au lycée international Charles-de-Gaulle de Dijon (21) testent les effets de la gravité sur la croissance des végétaux.  Après avoir élaboré le protocole expérimental et passé les tests nécessaires en lien avec le Cnes et l’ESA, les lycéens suivent désormais leur expérience placée en orbite à 400 km. Fabrice Diot détaille pour le Café Pédagogique la chronologie et les enjeux de ce projet hors du commun.

 

Comment résumer le projet mené avec vos élèves depuis 1 an et demi ?

 

Avec des élèves de 2nde nous avons participé à la conception d’un protocole permettant de comprendre pourquoi les racines poussent en général vers le bas. Pour tester l’hypothèse du rôle de la gravité, nous allons comparer la croissance de racines au sol et en microgravité, à bord de l’ISS. L’expérience a été baptisée « Cérès » par le Cnes, du nom de la déesse romaine des moissons et d’une planète naine du système solaire.

 

Initialement vous avez répondu à un appel à projet du Cnes. En quoi consiste cette démarche ? Qui a été sélectionné ?

 

Début 2015, le Cnes a proposé à des collèges et des lycées de participer à la mission Proxima de Thomas Pesquet, 10ème astronaute français. 5 lycées ont été choisis, dont 3 pour des protocoles sur le rôle de la gravité dans la croissance des plantes : le lycée international Charles de Gaulle de Dijon, le lycée Léon Blum du Creusot (2 lycées bourguignons…) et le lycée de l’espace près de Toulouse.

 

Le lycée Lachenal d’Annecy a proposé de tester le rôle de la gravité dans une réaction enzymatique, et le lycée de la mer de Gujan-Mestras le rôle de la gravité dans la croissance cristalline.

 

Vous avez donc mis au travail deux groupes d’élèves de seconde en MPS. Que font-ils pendant les séances ? Comment leurs travaux sont-ils ensuite validés ou non ?

 

Nous sommes partis de l’hypothèse à vérifier, et les élèves ont proposé différents protocoles. Nous avons discuté de leur faisabilité, puis avons testé les plus pertinents. Il a fallu bricoler, percer des boîtes, fixer les graines pour qu’elles supportent le décollage et l’impesanteur, imaginer un dispositif d’hydratation… Et puis il a fallu choisir une espèce, et ce fut… Brassica juncea, la moutarde de Dijon ! Cette plante a fait la renommée de notre ville et n’a jamais été dans l’espace.

 

A chaque étape, le CADMOS (branche du Cnes qui prépare les vols habités) nous disait oui (parfois) ou non (souvent…) après avoir consulté l’ESA et la NASA. Les contraintes sont très strictes pour l’envoi d’êtres vivants à bord de l’ISS.

 

D’où viennent les graines sélectionnées pour l’espace ? Avez-vous fait des tests au lycée ? Quelles ont été les principales contraintes à prendre en compte ?

 

Nos graines ont été fournies par Agrosup (Institut national supérieur des sciences agronomiques de l’alimentation et de l’environnement), qui est à l’origine du retour de la culture de moutarde en Bou

rgogne.

Les graines qui sont à bord de l’ISS viennent d’un champ près de Dijon. Il a fallu leur obtenir un certificat sanitaire pour qu’elles puissent rejoindre l’espace (recherche d’agents pathogènes et de substances interdites à bord).

 

Le Cadmos a fait fabriquer par les partenaires du Cnes une enceinte correspondant à nos propositions, où chacun des 3 lycées aurait un compartiment : 1 pour nos moutardes, 1 pour le Creusot (radis), 1 pour Toulouse (lentilles). Ils nous ont demandé de proposer un protocole commun afin de réduire de temps de travail de l’astronaute. Cependant, notre lycée travaille sur les racines, les 2 autres sur les tiges.

 

Les tests de vibration (résistance au décollage) ont été effectués par le Cnes, les matériaux ont été choisis parmi ceux qui avaient le droit de voler : polycarbonate transparent, scotch double face spécial ISS, feutre absorbant non inflammable, etc.

Des dizaines de pages de procédures ont été rédigées par le Cnes, en anglais, pour valider notre expérience.

 

Comment le centre spatial suit-il votre progression tout au long des séances ? Quelques mots sur ces voyages entre Dijon et Toulouse …

 

Nous sommes allés plusieurs fois au Cnes à Toulouse avec les élèves ou seulement les professeurs des 5 lycées. A chaque fois, les échanges entre nos élèves et les ingénieurs du Cnes et de l’ESA étaient très riches. Tous ont été impressionnés par les locaux ultra-sécurisés du Cnes, par le nombre de partenaires de différents pays (d’où la nécessité d’utiliser souvent l’anglais…), et par les moyens mis en œuvre pour réaliser notre expérience. Tout le monde, élèves et professeurs, avait le sentiment de participer à quelque chose d’unique et de rare.

 

Et puis en juin 2016, des élèves se sont rendus au GSBMS à Toulouse pour installer les graines dans le modèle de vol, sous hotte flux laminaire pour éviter les contaminations.

 

Le 18 octobre 2016, intense émotion pour ces élèves : les graines qu’ils ont fixées sur leur support sont mises en orbite par la fusée Antarès depuis les Etats-Unis. En route pour l’ISS !

 

Votre travail se poursuit encore sur Terre, avec les mêmes élèves désormais en 1ère S, notamment par l’étude d’un gène impliqué dans le développement racinaire. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche avec Génome à l’école en lien avec Agrosup ?

 

Tout d’abord, Thomas Pesquet hydratera nos graines en janvier ou février 2017 puis les installera dans l’enceinte, qui sera fixée dans la serre Veggie du module européen Columbus. Thomas programmera l’éclairage adapté aux végétaux (LED rouges-bleues-vertes) puis photographiera quotidiennement chaque compartiment pendant 12 jours. Il nous transmettra ensuite les photos, que nous comparerons au témoin réalisé au sol par nos élèves, maintenant en 1ère S.

 

Notre objectif est de mettre en évidence dans l’apex racinaire la position des amyloplastes (grains d’amidon) qui seraient les capteurs de pesanteur des racines. Avec Agrosup, Valérie Legué et François Bizet (chercheurs à l’Université de Clermont-Ferrand et spécialistes du gravitropisme racinaire), nous souhaitons également mettre en évidence un gène impliqué dans la courbure de la racine. Nous avons prévu d’utiliser l’expérience acquise avec le projet « génome à l’école » depuis 3 ans pour extraire un ARNm d’un gène susceptible d’être impliqué. L’équipe du projet « génome à l’école » nous a fourni les réactifs, puis nous devrons amplifier par PCR quantitative cet ARNm avec un thermocycleur de l’INRA de Dijon, en partenariat avec Agrosup. Nous avions donc proposé de récupérer les plantes ayant poussé dans l’espace, mais les contraintes techniques ont conduit le Cnes à renoncer à cette possibilité.

 

Cependant, le lycée du Creusot a construit un clinostat qui permet de faire pousser des plantes en les faisant tourner en permanence pour simuler l’absence de gravité. Nous avons donc prévu une coopération entre nos 2 lycées pour obtenir des plantes proches de celles ayant poussé dans l’ISS, puis pour réaliser des coupes de racines et des extractions d’ARNm. Tout ce travail est réalisé dans le cadre des TPE par des élèves de 1ère S participant depuis l’an dernier à l’aventure.

 

Vos lycéens ont pu rencontrer et échanger avec Thomas Pesquet. Que pensent les élèves de ce projet ? Ambitionnent-ils des études sur ce thème ?

 

Nos élèves au départ de l’aventure semblaient un peu sceptiques… Et petit à petit, le rêve est devenu réalité. Ils ont le sentiment de participer un peu à l’aventure spatiale, et certains ont choisi de poursuivre des études scientifiques à la suite de ce projet. Certains se sont même levés la nuit du 27 au 28 octobre pour suivre en direct le décollage de l’expérience à bord de la fusée Antarès ! Quant à Thomas Pesquet, son parcours et son aisance sont impressionnants. Les élèves ont à cœur d’être à la hauteur…

 

Un travail de communication est également effectué, il se décline sur plusieurs plans : au niveau des collèges, des médias locaux et nationaux mais également un film en préparation. Comment se préparent ces événements ?

 

Le Cnes va fournir à des collèges et des lycées volontaires des kits pour réaliser le témoin sol en même temps que nous. Je les invite à prendre contact avec nous pour échanger sur le protocole.

 

Ensuite, il est prévu début 2017 un contact radio avec Thomas Pesquet (réseau ARISS) où nos élèves pourront discuter avec lui. Ce contact aura lieu au lycée du Creusot, le nôtre ayant déjà bénéficié de 2 contacts avec l’ISS les années précédentes…

 

Depuis le début, nous filmons chaque étape du travail, et les élèves volontaires de 1ère S réaliseront cette année après les TPE un film retraçant toute l’expérience Cérès. Ils sous-titreront le film dans les différentes langues enseignées au lycée : anglais, allemand, espagnol, russe et arabe. Ce film permettra d’expliquer le gravitropisme aux élèves de collège et de lycée.

 

Votre parcours atypique vous a conduit à enseigner au lycée français de Moscou en début de carrière. Désormais, vous proposez 1h de SVT en russe au lycée. En quoi est-ce important d’enseigner les sciences dans une autre langue ? Quel regard portez-vous sur l’enseignement du « spatial » en France ?

 

J’ai effectivement commencé ma carrière au lycée français de Moscou. A Dijon, j’ai la chance d’être dans un lycée international, et donc de pouvoir assurer une option SVT en russe. Les élèves acquièrent du vocabulaire scientifique simple, qu’ils peuvent réutiliser ensuite en cours de russe. Ce petit « plus » linguistique dans leur cursus pourra leur servir plus tard (ils maîtrisent déjà tous l’anglais !). Je me souviens d’un éminent chercheur qui m’avait expliqué avoir obtenu plusieurs postes grâce à sa maîtrise du russe. Et j’ai pu constater chez d’anciens élèves qu’ils n’avaient pas oublié ce qu’ils avaient appris avec moi, même plusieurs années après.

 

Quant au domaine spatial, il permet souvent de motiver les élèves à faire des sciences. Evidemment, tous ne seront pas astronautes, mais beaucoup d’autres métiers sont nécessaires à l’aventure spatiale, en ce début de XXIème siècle qui verra sans doute l’Homme fouler le sol de Mars. Et qui sait, peut-être les futurs Armstrong (pourquoi pas Thomas Pesquet ?) pourront-ils assaisonner leur salade martienne avec un peu de moutarde de Dijon…

 

Entretien par Julien Cabioch

 

Le site du projet

Cnes enseignants

 

 

Par fjarraud , le mardi 08 novembre 2016.

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