Histoire : J'ai testé « Civilization 6 »  

Après 6 années d'attente, la version VI du célèbre jeu Civilization vient de sortir. Le jeu porte de nombreuses références historique set propose un modèle de développement de l'histoire du monde. Il est aussi très populaire et on peut penser qu'une partie de élèves ont déjà joué avec les versions antérieures et connaissant sa philosophie. Alors, est-il utilisable en classe d’histoire-géographie ?

 

Civilization n'est pas un inconnu pour moi. Professeur d'histoire-géographie j'ai présenté en 2015, lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois (1) , une utilisation en classe du jeu Civilization V pour aborder le thème du festival 2015 « les Empires ».

 

Avant de commencer notre première partie de Civilization VI, j'ai en mémoire l’expérience américaine de K.Squire d’une utilisation intensive de Civilization III en classe (3 jours par semaine sur une période de 6 semaines) pour construire des apprentissages en histoire. Cette expérimentation relatée dans le Games and Learning Report (2) , montre que les lycéens n’ont pas développé ou augmenté leurs connaissances historiques mais qu’ils « observent, expérimentent et commencent à expliquer en des termes conceptuels les effets des institutions sur leur civilisation » (3) .

 

Frédéric Yelle, professeur canadien, a utilisé Civilization V pour enseigner l’histoire de la chute de l’Empire romain dans le cadre d’un projet parascolaire d’une vingtaine d’heure (4) . Si le travail d’esprit critique visé par Frédéric Yelle semble atteint, il a aussi montré les limites de l’usage de ce jeu en classe. Enfin, la société Glass Lab Games,  en partenariat avec l’éditeur du jeu Civilization, va proposer aux étudiants d’Amérique du Nord une version éducative du 5e opus du jeu de stratégie en 2017 (5).

 

Adieu Napoléon...

 

Le jeu téléchargé, nous débutons notre partie et nous retrouvons avec plaisir l’environnement habituel qui a fait le succès du jeu. Nous avons le choix entre 19 civilisations incarnées par un ou une chef emblématique. Certains personnages emblématiques ont été remplacés tel Napoléon Ier par Catherine de Médicis, d’autres familiers comme Gandhi sont encore là.

 

Nous choisissons d’incarner Saladin et nous configurons la partie : carte, niveau de difficultés, type de victoire etc. Nous notons que la victoire diplomatique (lorsque vous étiez élu à la présidence  de l’ONU dans le 5e opus) a été remplacée par une victoire religieuse… Les aspects culturels et religieux semblent prendre de l’importance. Une fois dans la partie, nous ne sommes pas vraiment dépaysés par l’interface de jeu, toujours « complexe ».

 

Des nouveautés sont intéressantes, la possibilité de changer de « dogme » selon les contextes de jeu, des combats « religieux » et de fait la place de la foi. Enfin, la gestion du territoire est aussi importante, le joueur étant obligé de réfléchir vraiment à l’organisation spatiale de son empire. La presse spécialisée a développé largement les nouveautés de la version 6.

 

Des freins à un usage en classe

 

Dès les premières minutes de jeu, les premiers freins apparaissent quant à un usage en classe. Premier frein, le prix rendra difficile l’acquisition de plusieurs licences par un établissement scolaire et/ou les familles. Le deuxième frein est la longueur du temps de jeu inadapté au temps scolaire (une quinzaine d’heure au moins pour une partie complète). Cela nous rappelle les expériences outre-atlantique qui ont  fait l’objet d’un cadre « exceptionnel » d’expérimentation.

 

Un troisième obstacle demeure la complexité du jeu qui nécessite une connaissance de ce type de jeu pour mettre en œuvre des stratégies rapidement opérationnelles. Le jeu s’adresse à un public averti et plutôt de lycéens, d’étudiants voire de professeurs d’histoire !  A noter que pour les néophytes, un tutoriel vous accompagne en début de partie. Enfin, le jeu nécessite des ressources techniques importantes, de l’espace disque, de la mémoire vive, un processeur puissant….nous ne sommes pas sûr que les salles informatiques du secondaire puissent faire tourner la bête en fin de jeu.

 

Pistes et dilemmes moraux

 

Laurent Trémel  (6) a bien expliqué que le jeu Civilization développait de par son contenu « historique », son gameplay, ses règles une certaine vision du monde, très occidentalo-centrée dès le 1er opus de 1991. Le 6e volet permet de poursuivre l’analyse. La place des femmes se confirme ainsi que celle des puissances émergentes. La Chine, l’Inde et maintenant le Brésil sont bien présents dans le jeu. L’Afrique est aussi représentée par le Congo.

 

Intéressant aussi de se questionner sur les personnages historiques qui incarnent les civilisations. Les conquérants Alexandre le Grand, César, Napoléon Ier, laisseraient-ils la place à des dirigeants « éclairés » Catherine de Médicis, Queen Victoria, Périclès ou Gandhi ?

 

Nous pourrions cartographier les cités-états avec les élèves et  confronter cette cartographie avec les sites Unesco, questionner la notion d’insularité et d’indépendance. La victoire religieuse  remplace la victoire diplomatique de l’ONU… Faut-il y voir une lecture plus ou moins consciente chez les concepteurs des conflits du monde actuel ? Les anachronismes et/ou l’uchronie sont aussi porteurs de sens.

 

Nous pourrions en classe replacer sur une frise chronologique les dirigeants et leur civilisation, rechercher les stéréotypes civilisationnels véhiculés par le jeu comme celle qui fait des U-Boot l’arme de prédilection de Frédéric Ier. On pourrait en classe comparer les personnages des opus, réfléchir aux choix effectués par l’éditeur, à la manière dont il présente les personnages et civilisations et ce qu’il dit de l’Histoire et de son déroulement.

 

Le teaser du jeu  (7) serait à ce titre très intéressant à analyser avec des élèves afin de percevoir ce qu’est pour les concepteurs « une civilisation  et le sens de l’histoire humaine ». La présentation du jeu faite par le journal du gamer proposant une relecture de l’histoire de France est amusante  (8).

 

Ce 6ème volet pourrait être aussi l’occasion de questionner les valeurs développées par les jeux dit 4X : « exploration, expansion, exploitation and extermination»… Le jeu peut aussi susciter des dilemmes « moraux » en EMC. Sur les forums de fans, des discussions d’ordre éthique ont lieu. Peut-on utiliser l’arme atomique ? Peut-on jouer le personnage d’Hitler (qui a été créé par des joueurs dans le 5e opus) ?

 

Civilzation VI n’est pas un « serious game », c’est un divertissement, produit de la première industrie culturelle mondiale, celle du jeu vidéo. Il confirme que le jeu vidéo dans un monde numérique est un média, véhicule d’informations, de valeurs, d’idéologies qu’il convient de décrypter de manière rigoureuse et scientifique. Le numéro spécial de Sciences et Vie junior du 26 octobre 2016 qui examine à la loupe des sciences le jeu vidéo Assassin’s creed en témoigne tout comme l’ouverture en mars 2016 du portail national « Apprendre avec le jeu numérique ». Enfin, l’examen de Civilization 6 confirme que les connaissances, outils et méthodes scientifiques utilisés par les historiens et les géographes construisent les compétences nécessaires à l’exercice de la pensée critique des élèves et que le média « jeu vidéo » a de fait sa place en classe d’histoire-géographie.

 

Pascal Mériaux

Professeur et IAN d’histoire-géographie, Académie de Lyon

 

Pour aller plus loin :

Laurent Trémel, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : les faiseurs de mondes. Paris. PUF (coll. "Sociologie d'aujourd'hui"). 2001, Préface de Jean-Louis Derouet.

Pascal Mériaux, Éducation aux médias : idéologies des jeux vidéo, Apprendre avec le jeu numérique,2016,  http://eduscol.education.fr/jeu-numerique/#/article/1849   

Corentin Lamy, On a joué à… « Civilization VI », le simulateur d’empires qui raconte des histoires, Le Monde, 25.10.2016

Le wiki de Civilization VI

 

Notes :

1  ML Jalabert, H.Ter Minassian, P. Mériaux et J. Luque-Romero, L'Empire en jeux (numérique) : quels enjeux pour l'enseignement de l'histoire ?, Table ronde, RVH, Blois, 2015,

Games and Learning Report,2006, 

 3 Op.cit

4  Frédéric Yelle, J’ai utilisé Civilzation en cours d’histoire, 2015

5  A lire, un point presse des éditeurs (en anglais)

6 Laurent Trémel, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : les faiseurs de mondes. Paris. PUF (coll. "Sociologie d'aujourd'hui"). 2001, Préface de Jean-Louis Derouet

7 Teaser officiel de civilization VI à voir sur Youtube (en français),

8  Lire l’historicotest du journal du gamer,

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 04 novembre 2016.

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